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J'ai le coeur brisé, c'est grave?
  • Olivier Gurné

Depuis sa description initiale par Sato en 1990, le syndrome de Tako Tsubo a fait couler beaucoup d'encre et la pieuvre que les pêcheurs japonais essayaient d'attraper dans un petit vase est probablement plus sournoise qu'on ne le pensait au départ! D'une curiosité au départ, ce syndrome a été diagnostiqué de plus en plus fréquemment, en bonne partie depuis qu'on a introduit l'angioplastie primaire comme traitement de choix … pour les syndromes coronariens aigus. Déception pour l'angioplasticien de se rendre compte en pleine nuit (la déception passe mieux la journée) qu'il n'avait pas un petit ressort à mettre dans une coronaire alors qu'on lui faisait miroiter un infarctus du myocarde. On s'est ainsi rendu compte que cette pieuvre avait plus de tentacules que prévues. Ce charmant céphalopode de 8 bras a été mis à l'honneur il y a peu lors de plusieurs publications parues 'de concert' dans un numéro de l'European Heart Journal, avec des données entre autres à partir d'un gros registre international, InterTAK (International TakoTsubo registry).

Dans sa description initiale, Sato décrit (en japonais) des cas d'infarctus aigu chez des femmes, avec un ballooning de l'apex et des coronaires normales. Au départ considéré comme une maladie bénigne car la fonction ventriculaire gauche se normalisait assez rapidement, on sait maintenant que c'est loin d'être le cas. Non seulement la mortalité et la morbidité aigue n'est pas nulle, mais aussi les conséquences à plus long terme sont loin d'être négligeables, si bien qu'on peut le considérer comme un syndrome coronarien aigu à part entière tout comme les STEMI et non- STEMI. Strictu sensu, on a une douleur, des modifications de l'ECG et une dénivellation enzymatique. La différence c'est que le Tako Tsubo ne touche pas les artères épicardiques mais plutôt la microvasculature!

La mortalité hospitalière est de l'ordre de 3-5 %, comparable à un STEMI (5-7 %) ou à un non-STEMI (2-4 %), les patients pouvant faire des troubles du rythme ventriculaire voir un état de choc de façon similaire. La survenue de complications cardiovasculaires peut atteindre 9,9 % par année avec une mortalité annuelle de 5,6 % dans le registre interTAK.

La maladie touche surtout les femmes (89 % des cas), la plupart du temps âgées de plus de 50 ans. Le symptôme prédominant à l'admission est la douleur thoracique (76 % des cas) suivi de l'essoufflement (47 %) mais la syncope peut être le mode de présentation dans presque 8 % des cas.

Fréquemment cela survient après un stress, qui peut être physique, plus souvent que psychique. L'élément déclencheur physique est plus fréquent chez les hommes alors que l'élément psychique est plus classique chez la femme. Dans presque 30 % des cas, on ne trouve pas d'élément déclencheur. Très rarement, cela peut faire suite à un évènement heureux (Happy Heart Syndrome). À l'admission, la troponine est élevée dans presque 90 % des cas, avec des taux similaires aux syndromes coronariens 'classiques'. Par contre, les CPK ne sont pas très élevées chez la majorité des patients alors que les taux de BNP sont plus élevés. Les modifications de la repolarisation sont comparables rendant la coronarographie indispensable pour faire le diagnostic, surtout en aigu lors d'un sus-décalage du segment ST.

On sait maintenant qu'à côté de la forme classique avec le ballooning apical qui est la plus fréquente (82 % des cas), il existe des formes medioventriculaires dans 15 % des cas. Plus rarement, on décrit des formes basales (2,2 %) et focales (1,5 %).

La physiopathologie du syndrome de Tako Tsubo reste mystérieuse mais on évoque de plus en plus un lien avec l'activation sympathique cérébrale et une vasoconstriction de la microvasculature. Il n'y a pas de relation entre les anomalies de la cinétique régionale et un territoire coronarien épicardique. Par contre, il est d'ailleurs curieux de noter que la distribution des nerfs sympathiques du ventricule gauche est telle qu'il existe un gradient de concentration de la base vers l'apex, la densité étant environ 10 fois plus élevée à l'apex qu'à la base. De là, à voir une relation avec le ballooning du ventricule gauche observé, il n'y a qu'un (petit) pas à franchir.

De la même façon, on ne connait pas le traitement spécifique qu'on devrait apporter à cette pathologie. En aigu, le traitement est classiquement celui donné pour un infarctus avec essentiellement un support pour passer le cap hémodynamique. Par après et une fois le diagnostic posé, nous ne disposons pas d'études pouvant nous inciter à favoriser tel ou tel autre traitement. En d'autres termes, alors que les publications sur le sujet montrent une croissance exponentielle ces 15 dernières années, atteignant presque 500 pour l'année 2015, nous restons sur plus de questions que de réponses sur cette curieuse pathologie. À s'en briser le coeur …

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