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Vers de nouveaux défis en 2018?
  • Olivier Gurné

L'année 2017 s'achève et inévitablement durant cette période de l'année, on regarde l'année écoulée et l'année à venir.

L'année 2017 n'a pas vu de révolution sur le plan scientifique en cardiologie et constitue à ce titre une année de transition, de mise en application des données antérieures. Coïncidence ou pas, c'est aussi une année anniversaire de la première angioplastie coronaire (40ème anniversaire) et de la première transplantation cardiaque (50ème anniversaire). Le mot qui revient le plus souvent sur toutes les lèvres cette année est celui de la qualité. Un peu comme la quête du Saint Graal, tout le monde désire s'en approcher mais plus on en discute, moins on a l'impression que la situation se simplifie en Belgique.

Parmi les discussions, l'établissement de bassins de soins est certainement un bon exemple. Sur le plan théorique, l'idée d'un redéploiement locorégional du paysage hospitalier parait séduisante. Les moyens financiers qui ne sont pas illimités sont une évidence et optimaliser le cadre de travail parait évident sur le papier. Alors que l'échéance annoncée par la ministre fédérale de la santé publique est courte, force est de constater que sur le terrain, cela ne bouge pas aussi rapidement pour de multiples raisons. Nos régions et voir même plus, nos sousrégions ont pris à tort ou à raison progressivement des options parfois divergentes et les manières de travailler y sont parfois fort différentes. Même au sein de la même région, voir de la même ville, il peut exister des différences qui ne rendent pas facile la fusion et forcer des hôpitaux à une intégration de leurs activités sans le consentement des acteurs de terrain est voué à l'échec. En termes imagés, il pourrait être plus facile de mélanger des pommes et des poires que combiner avec des oranges ou des fraises. Que dire en outre si un gros ananas doit être intégré. Cela va prendre du temps de discuter mais avec un peu d'imagination, on peut imaginer des solutions plus harmonieuses que d'en faire de la bouillie. Le problème financier n'est pas négligeable non plus. Un exemple concret en cardiologie est certainement les salles de cathétérisme cardiaque. Il y a quelques années, on a ouvert de nouveaux centres: il fallait une médecine de 'proximité' pour pouvoir réaliser entre autres les angioplasties primaires en cas d'infarctus et plusieurs hôpitaux ont donc investi dans ce but. Maintenant, on leur demanderait pratiquement l'opposé et d'envoyer leurs patients se faire dilater ailleurs (… et de fermer leur salle toute neuve). Il est facile de dire maintenant que l'on aurait du faire autrement et qu'il est inutile de continuer dans 'l'erreur' mais faire marche arrière ne va pas se faire sans grincement des dents. Rappelons également que la notion de bassins de soins ne comprend pas que la cardiologie mais de nombreuses autres spécialités et vous multipliez par autant les problèmes. Heureusement, de nombreux centres avaient déjà abordé 'rationnellement' une politique de regroupement mais il est intéressant de remarquer que cela ne s'est pas fait avec juste l'un ou l'autre petit décret et que cette démarche prend du temps. Beaucoup de concertation sera certainement encore nécessaire pour optimalise notre système médical, tout en argumentant sur la valeur vraiment ajoutée avec les modifications réalisées.

Toujours avec le même souci d'améliorer cette qualité des soins, on parle d'instaurer des trajets de soins, des filières qui permettraient une prise en charge optimale du patient. Chaque clinique du royaume a dû (ou aurait dû) dans ce sens rédiger son propre 'manuel pluridisciplinaire' de prise en charge du patient expliquant la structure locale de prise en charge des pathologiques cardiaques. Cela pose de mon point de vue au moins deux problèmes de base. En cardiologie, nous avons déjà des guidelines qui sont développés et remis à jour régulièrement par la Société Européenne de Cardiologie, avec l'aides d'experts internationalement reconnus. Il a été prouvé que l'application de ces guidelines améliore la survie des patients et leur qualité de vie. Pourquoi donc faut-il en Belgique, à l'échelle de notre petit pays, vouloir toujours réinventer la roue? Essayer de faire connaitre ces guidelines et les appliquer serait certainement efficace et plus simple et éviterait un gâchis d'énergie. Cela n'empêche pas d'instaurer une réflexion à chaque niveau pour savoir comment les utiliser au mieux et quand on parle de 'chaque niveau', il ne faut pas seulement regarder vers le bas mais aussi vers le haut, vers nos décideurs politiques et se poser la question si ceux-ci nous donnent les moyens d'appliquer tous ces guidelines … La seconde question est de savoir si un patient donné correspond bien à la filière établie. Certaines pathologies sont effectivement bien stéréotypées pour ce genre d'approche comme par exemple la prise en charge du STEMI ou d'une sténose aortique, clairement encore redéfinis … dans les nouveaux guidelines ESC de septembre 2017. Par contre, par exemple, la prise en charge de l'insuffisance cardiaque à fonction ventriculaire gauche préservée prête plus à discussion. Nous avons souvent dans ce cas à traiter des patients la plupart du temps âgés avec bien souvent plusieurs comorbidités comme entre autres l'hypertension, la fibrillation auriculaire, l'insuffisance rénale ou une infection respiratoire ou autre. Il n'existe pas dans les guidelines de solutions aussi détaillées pour cette entité 'polymorphe' que pour l'insuffisance cardiaque à fonction réduite, qui est une entité bien mieux définie, et même plus, aucune médication dans cette pathologie, pourtant de plus en plus fréquente vu le vieillissement de la population, n'a fait ses preuves dans une étude randomisée. On se trouve donc typiquement dans une situation où le traitement doit être individualisé, bien souvent dans un cadre idéalement pluridisciplinaire et où le médecin peut faire la preuve de son art autant que de sa science!

Quand on parle de qualité et de trajet de soins, on rencontre inévitablement une autre problématique typiquement propre à nos autorités: l'évaluation de la qualité des soins donnés. La devise scoute 'faire de notre mieux' fait sourire de nos jours mais elle a fonctionné pas si mal car la Belgique a (encore) un bon système de santé publique dont on devrait être globalement fier. À la clé, on fait miroiter le terme magique de l'accréditation qui récompenserait les bons élèves de la classe, ceux qui pourraient présenter les bonnes filières avec les bons chiffres car vouloir quantifier tout fait partie de notre quête du Saint Graal. De nouveau, sur le plan fondamental, le concept est attractif: évaluer ses compétences, ses résultats, se remettre en question pour pouvoir progresser … Sur le plan pratique, cela devient rapidement plus compliqué. Il faut d'abord définir ces fameux indices de qualité et c'est loin d'être évident. Ensuite, il faut encoder ces résultats, ce qui prend du temps et de l'énergie. Une vérification des résultats doit être organisée avant que finalement une analyse sérieuse et une mise en perspective selon le type de pratique n'en soit faite. Tout cela demande une quantité de travail importante allant de pair avec des moyens financiers. Il faudrait donc se donner les moyens de sa 'vision politique'. Ce n'est pas sans raison que la réalisation d'une étude réalisée selon les 'good clinical practice' pour tester par exemple un médicament ou une nouvelle technique coûte très cher. Ce n'est donc pas sans raison non plus qu'un pays pionnier dans le domaine comme le Danemark a fini par abandonner le concept! Cela ne veut pas dire qu'il faut oublier toute idée d'avoir un sens critique sur notre activité médicale mais il faut être réaliste sur les moyens à mettre en oeuvre pour arriver au meilleur résultat possible, sans se perdre dans des taches administratives toujours de plus en plus lourdes et en respectant le temps nécessaire à notre pratique médicale proprement dite.

L'année 2018 (et les suivantes!) présentent donc bien des défis et cet éditorial ne fait qu'esquisser l'un ou l'autre point. La quête du Saint Graal et la recherche vers une médecine de qualité sont certainement un enjeu majeur et feront encore l'objet de nombreuses discussions. En attendant, je suis certain que la majorité des médecins continuera à faire de son mieux dans la mesure de ses moyens et de ceux qui lui sont 'octroyés' mais il ne faudrait pas que le fossé entre d'une part les décideurs et autres penseurs et d'autre part les 'simples'acteurs de terrain ne s'agrandisse, source fréquente de désillusion et de démotivation.

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