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Analyse approfondie de l'étude ORBITA
  • Stijn Devuyst 

L'étude ORBITA1 (Objective Randomised Blinded Investigation with optimal medical Therapy of Angioplasty in stable angina) a été présentée en novembre 2017 lors de la réunion TCT à Denver. Des articles rédactionnels ultérieurs, ayant pour titre 'Last nail in the coffin for PCI in stable angina?'2, indiquent que cette étude est source de controverse. Dans l'article ci-dessous, nous entrons dans les détails de l'étude ORBITA et vous donnons notre propre vision des résultats.

1. Introduction

Des études randomisées contrôlées telles que l'étude COURAGE3 nous ont appris que les interventions coronaires percutanées (PCI) effectuées chez des patients souffrant d'angor stable, en plus d'un traitement médicamenteux optimal, n'entraînent pas de différence en termes de mortalité et d'infarctus myocardiques (critères d'évaluation). Comme l'indiquent les recommandations de la ESC, la réduction des symptômes est le motif qui sous-tend la réalisation d'une PCI, en plus d'un traitement médicamenteux optimal, dans ce groupe de patients (classe de recommandation 1A).4

Ces recommandations sont basées sur plusieurs études randomisées qui ont en commun l'absence d'aveugle. L'effet placebo lors de procédures interventionnelles ne peut toutefois être négligé.5 Tant les patients que les cliniciens 'savent' en effet que la sténose coronaire est levée. Inversement, il y a aussi un effet nocebo, lors duquel le patient et le clinicien savent que la coronaire 'responsable des symptômes' est toujours rétrécie. Ces effets jouent un rôle important pour des paramètres plus subjectifs tels qu'angor, capacité à l'effort et qualité de vie. Les critiques estiment que ces effets sont les raisons pour lesquelles il a davantage fallu recourir à une revascularisation urgente dans le groupe bénéficiant du traitement médicamenteux optimal, comparativement au groupe PCI, dans l'étude FAME 2. Cette étude avait été conduite auprès de patients souffrant d'angor stable et chez qui les lésions coronaires étaient positives selon la réserve coronaire (FFR).

Comme on a constaté, il y a plus de cinquante ans, au moyen d'une étude prospective randomisée, que l'effet de la ligature de l'artère mammaire interne sur les plaintes angoreuses n'entraînait aucune plus-value comparativement à une procédure factice, il est à présent nécessaire de disposer d'études avec des procédures factices pour distinguer le véritable effet de la PCI de l'effet placebo sur la réduction des plaintes.6-8

C'est dans ce contexte qu'est apparue l'étude ORBITA, première étude randomisée en double aveugle comparant la PCI versus une procédure placebo.

2 L'étude

2.1 Conception

Les patients de l'étude ORBITA souffraient d'angor stable ou de symptômes équivalents, et avaient une atteinte monotronculaire à l'angiographie, soit une lésion significative (≥ 70 %) convenant cliniquement pour une PCI. Par ailleurs, les patients n'avaient pas de pathologie cardiaque importante.

Après l'inclusion, l'étude comportait deux phases, durant chacune six semaines.

Lors de la première phase, le traitement antiangoreux était intensifié. Après cette phase, 80 % des patients recevaient un bêtabloquant, 90 % un antagoniste calcique, 65 % un dérivé nitré à action prolongée, 50 % du nicorandil et 10 % de la ranolazine.

Par la suite, on procédait au bilan prérandomisation, consistant en:

  1. détermination de la sévérité de la symptomatologie au moyen de la classe selon la Canadian Cardiovascular Society (CSS) et du Seattle Angina Questionnaire (SAQ);
  2. détermination de la capacité fonctionnelle via cyclo-ergospirométrie;
  3. détermination de la sévérité de l'ischémie myocardique via une échocardiographie de stress à la dobutamine;
  4. détermination de la qualité de vie au moyen du questionnaire EQ-5D-5L.

Ensuite, tous les patients ont subi une nouvelle angiographie coronaire avec mesure de la FFR et de l'iFR (instantaneous wavefree ratio), après quoi les patients ont été randomisés selon un rapport 1:1 vers une PCI ou une procédure factice. Les deux procédures étaient effectuées sous sédation. On prévoyait chaque fois une protection auditive du patient via des écouteurs.

Dans le groupe PCI, toutes les lésions angiographiquement significatives du vaisseau cible ont été traitées au moyen d'un DES, après quoi la FFR et l'iFR ont été mesurées à nouveau.

Dans le groupe placebo, les patients étaient maintenus sous sédation pendant 15 minutes, après quoi on enlevait les cathéters sans avoir pratiqué aucune intervention.

Au bout de six semaines de suivi, les examens du bilan prérandomisation ont été répétés, après quoi on a levé l'aveugle.

Le critère d'évaluation primaire était constitué de la différence d'augmentation de la durée de l'effort entre les deux groupes. L'étude était conçue de telle manière qu'on pouvait détecter une différence de 30 secondes.

2.2 Résultats

Il n'y a pas d'augmentation significative de la durée de l'effort après une PCI, comparativement au placebo. La différence moyenne entre les deux groupes atteint 16 secondes (p = 0,200).

Il n'y a pas non plus de différence significative entre les deux groupes sur le plan de la sévérité de la symptomatologie, de la qualité de vie et de la capacité à l'effort (critères d'évaluation secondaire).

Par contre, la PCI améliore significativement la sévérité de l'ischémie myocardique mesurée lors d'une échocardiographie de stress à la dobutamine.

3 Remarques

3.1 Cherry picking?

Il est frappant de voir que cette étude, qui a recruté des patients dans 5 grands centres de PCI, n'a sélectionné que 368 patients souffrant d'angor stable et d'une maladie monotronculaire sur 3,5 ans. Cela correspond à 1 à 2 patients par centre et par mois.

Il eût été plus intéressant de sélectionner des patients consécutifs, ce qui aurait donné un groupe de patients plus représentatif. Le groupe actuel semble être une bonne population sélectionnée, ayant déjà une bonne durée d'effort (> 8 minutes avant la randomisation). De ce fait, il est plus difficile d'obtenir une augmentation significative dans ce groupe.

Il va de soi qu'il est difficile de dire si une différence statistiquement significative de 30 secondes représente également une différence cliniquement significative.

3.2 Pas d'effet placebo?

Il est frappant de voir que, dans le bras placebo, la durée d'effort avant la randomisation s'inscrivait dans l'intervalle de confiance à 95 % de la durée d'effort après le suivi. Ceci peut indiquer l'absence d'effet placebo dans le groupe placebo, pour le critère d'évaluation primaire de cette étude.

3.3 Maladies pluritronculaires

étant donné la conception de l'étude, les résultats ne peuvent être extrapolés aux patients souffrant d'une maladie stable et d'une atteinte pluritronculaire. On ne sait pas clairement si la revascularisation a un impact plus important sur les symptômes, si un territoire plus important est menacé.

3.4 Suivi court

Le suivi de l'étude n'atteint 'que' six semaines. Or, nous savons d'après des études précédentes que l'effet d'une PCI sur les symptômes est déjà atteint au bout d'un mois. De ce fait, il va de soi que ces six semaines seraient suffisantes, étant donné le but escompté de l'étude.

Malheureusement, on a déjà levé l'aveugle, de sorte que plus aucun suivi n'est possible. Or, c'est de cette manière que nous avons vu, dans l'étude COURAGE, au cours d'un suivi de 36 mois, que l'effet bénéfique initial de la PCI sur les symptômes diminuait systématiquement.9

Il nous semble peu probable que le type de symptômes puisse brusquement différer significativement après un suivi plus long, dans l'étude ORBITA.

3.5 Faisabilité de la titration?

La titration médicamenteuse au cours de la première phase de l'étude était intensive. Outre un monitoring du pouls et de la TA à domicile, on prévoyait également 1 à 3 contacts téléphoniques par semaine avec un cardiologue. Il est peu probable que ce type de suivi puisse être mis en oeuvre en pratique clinique. On ne sait pas clairement quelle est l'influence de cette titration médicamenteuse rapide sur l'efficacité d'une PCI.

3.6 FFR?

Bien que la FFR moyenne soit positive (0,69), environ 30 % des lésions présentent une FFR > 0,8. Ce sont les lésions à propos desquelles nous savons actuellement qu'une PCI n'apporte pas de valeur ajoutée. Dans les recommandations de la ESC, la PCI obtient une classe de recommandation IIIB dans ce groupe.4

Ces 30 % induisent dès lors une importante pollution des données. Il est dommage qu'on n'ait pas utilisé un seuil de FFR < 0,8 dans cette étude.

La FFR post-PCI atteint en moyenne 0,90, ce qui est plutôt faible. Les raisons de ceci ne sont pas claires (revascularisation insuffisante ou athérosclérose diffuse?). Des valeurs de FFR post-PCI > 0,90 sont associées à une réduction de 55 % du risque relatif de nouvelle PCI et à une réduction de 30 % du risque relatif d'événements cardiaques indésirables graves (MACE), comparativement aux valeurs de FFR post-PCI ≤ 0,90.10

4 Conclusion

L'étude ORBITA est une étude randomisée, contrôlée, en double aveugle bien conduite, qui indique que les études comparant une PCI avec des procédures factices sont réalisables. Ce faisant, elle crée un précédent grâce auquel nous verrons à l'avenir de plus en plus d'études avec des procédures factices. De ce fait, nous pourrons mieux comprendre la maladie coronaire stable, sans le biais qu'entraîne le placebo.

étant donné la population d'étude limitée, cette étude nous apprend essentiellement ce que nous savions déjà, en l'occurrence qu'un sous-groupe de patients souffrant d'angor stable ne tire pas de bénéfices d'une PCI, vraisemblablement ceux qui ont une FFR > 0,80 (absence d'ischémie démontrable). Nous pensons donc que l'étude ORBITA n'entraînera pas de changements en pratique quotidienne.

Références

  1. Al-Lamee, R., Thompson, D., Dehbi, H.-M., et al. Percutaneous coronary intervention in stable angina (ORBITA): A double-blind, randomised controlled trial. Lancet, 2017, 391 (10115), 31-40.
  2. Brown, D.L., Redberg, R.F. Last nail in the coffin for PCI in stable angina? Lancet, 2018, 391 (10115), 3-4.
  3. Boden, W.E., O'Rourke, R.A., Teo, K.K., et al. Optimal medical therapy with or without PCI for stable coronary disease. N Engl J Med, 2007, 356, 1503-1516.
  4. Montalescot, G., Sechtem, U., Achenbach, S., et al. The Task Force on the management of stable coronary artery disease of the European Society of Cardiology. 2013 ESC guidelines on the management of stable coronary artery disease. Eur Heart J, 2013, 34 (38), 2949-3003.
  5. Kaptchuk, T.J., Goldman, P., Stone, D.A., Stason, W.B. Do medical devices have enhanced placebo effects? J Clin Epidemiol, 2000, 53, 786-792.
  6. King, S.B. 3rd, Dickert, N.W., Miller, F.G. Learning from FAME: the need for sham controls in trials of stable coronary disease. JACC Cardiovasc Interv, 2014, 7 (3), 342-344.
  7. De Bruyne, B., Pijls, N.H., Kalesan, B., et al. Fractional flow reserve-guided PCI versus medical therapy in stable coronary disease. N Engl J Med, 2012, 367, 991-1001.
  8. Miller, F.G. The enduring legacy of sham-controlled trials of internal mammary artery ligation. Prog Cardiovasc Dis, 2012, 55 (3), 246-250.
  9. Weintraub, W.S., Spertus, J.A., Kolm, P., et al. Effect of PCI on quality of life in patients with stable coronary disease. N Engl J Med, 2008, 359, 677-687.
  10. Rimac, G., Fearon, W.F., De Bruyne, B., Ikeno, F., Matsuo, H., Piroth, Z., Costerousse, O., Bertrand, O.F. Clinical value of post-percutaneous coronary intervention fractional flow reserve value: A systematic review and meta-analysis. Am Heart J, 2017, 183, 1-9.

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