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To clip or not to clip en cas d'insuffisance cardiaque : qui croire ? Les Français ou les Américains ?
  • Marc Claeys

On constate une régurgitation mitrale fonctionnelle sévère chez 25-35 % des patients souffrant d'insuffisance cardiaque à fraction d'éjection réduite (HFrEF).1, 2 La régurgitation mitrale fonctionnelle est la conséquence de la dilatation de l'anneau et/ou de la rétraction de l'appareil valvulaire mitral, dues à une dilatation et une dysfonction du coeur gauche. Une régurgitation mitrale fonctionnelle sévère est associée à une augmentation du nombre de réhospitalisations pour insuffisance cardiaque et à une mortalité plus élevée. Ce mauvais pronostic de la régurgitation mitrale est lié à la dilatation progressive du ventricule gauche (remodelage négatif du ventricule gauche), consécutive à la surcharge volumique continuelle (figure 1). Une étude récente a montré qu'un traitement optimal de l'insuffisance cardiaque, incluant un TRC et une dose adéquate de diurétiques, peut réduire significativement la sévérité de la régurgitation mitrale chez environ 40 % des patients, et que cette réduction était associée à un ralentissement du remodelage négatif et à un meilleur pronostic1. Les patients chez qui l'insuffisance mitrale est restée sévère malgré un traitement optimal de l'insuffisance cardiaque avaient un mauvais pronostic et présentaient un remodelage négatif important. Dans ce groupe, la question était de savoir si la réparation percutanée de la régurgitation mitrale au moyen d'un MitraClip aurait un effet bénéfique sur la morbi-mortalité. Les études observationnelles non randomisées étaient prometteuses et indiquaient un bénéfice du MitraClip en plus d'un traitement optimal de l'insuffisance cardiaque, mais l'indication du MitraClip dans ce contexte a reçu une recommandation IIb dans les dernières recommandations de la ESC, et ce par manque d'études randomisées.3 C'est pour cette raison que la communauté cardiologique attendait impatiemment les résultats de MITRA-FR et COAPT, deux études cliniques randomisées, toutes deux publiées dans The New England Journal of Medicine, avec une conception et une inclusion de patients apparemment identiques, mais avec des résultats totalement différents4, 5.

MITRA-FR4

Cette étude a inclus 304 patients souffrant d'une RM fonctionnelle sévère et ayant une fraction d'éjection du VG comprise entre 15 % et 40 % qui recevaient tous un traitement optimal de l'insuffisance cardiaque, et dont la moitié a bénéficié d'une procédure MitraClip. Le critère d'évaluation primaire était un critère composite constitué des décès et des hospitalisations non planifiées pour insuffisance cardiaque, jusqu'à un an après la randomisation. L'implantation du MitraClip s'était avérée techniquement fructueuse chez 96 % des patients, 46 % d'entre eux ayant reçu un seul MitraClip. Au moment de leur sortie, 92 % des patients MitraClip avaient une RM < 3 (et 75 % une RM de grade < 2). On n'a pas constaté de différences sur le plan du critère d'évaluation primaire : 55 % dans le groupe intervention vs 51 % dans le groupe contrôle. La mortalité à 1 an n'était pas non plus différente : 24 % vs 22 %.

COAPT5

Cette étude a inclus 614 patients souffrant d'une RM fonctionnelle sévère et ayant une FEVG variant entre 20 % et 50 %. Tous les patients recevaient un traitement optimal de l'insuffisance cardiaque, et la moitié a subi une procédure MitraClip. Le critère d'évaluation primaire était le nombre total d'hospitalisations pour insuffisance cardiaque pendant les 2 ans de suivi. L'implantation du MitraClip était techniquement réussie chez 97 % des patients, avec en moyenne 1,7 implantation de clip par patient. Au moment de leur sortie, 95 % des patients MitraClip avaient une RM < 3 (et 82 % une RM de grade < 2). On a noté une différence importante sur le plan du critère d'évaluation primaire : 36 % par an dans le groupe intervention vs 68 % par an dans le groupe contrôle. Il y avait également une importante différence sur le plan de la mortalité totale à 2 ans : 29 % vs 46 %.

Explication exploratoire

Pour expliquer ces différences au niveau des critères d'évaluation, nous avons tout d'abord analysé plus en détail les différences de populations d'étude et de conceptions de ces études. Le tableau 1 reprend les principales caractéristiques des groupes de patients. Les deux populations d'étude sont bien comparables. Toutefois, la RM est moins sévère dans l'étude MITRAFR, alors que les dimensions du coeur sont plus importantes. Ceci pourrait partiellement expliquer pourquoi l'effet de l'intervention était beaucoup plus limité dans l'étude MITRA-FR que dans l'étude COAPT.

Le critère d'évaluation de l'étude est également très différent. COAPT utilise un critère d'évaluation moins classique, en l'occurrence le nombre total d'hospitalisations pour insuffisance cardiaque, tandis que MITRA-FR utilise un critère d'évaluation plus standard, qui inclut une première hospitalisation pour insuffisance cardiaque. Pour pouvoir faire une comparaison entre ces deux études, j'ai uniformisé davantage le critère d'évaluation: en l'occurrence le nombre de patients ayant au moins une hospitalisation pour insuffisance cardiaque et la mortalité totale à un an. Le tableau 2 illustre les résultats de ces critères d'évaluation.

Il persiste un effet bénéfique net du Mitra- Clip dans l'étude COAPT, mais pas dans l'étude MITRA-FR. L'effet sur la mortalité n'a été observé qu'au bout d'un an dans COAPT (figure 2). Le groupe contrôle de ce tableau nous permet de déduire que les deux populations de patients ont bien un profil de risque comparable.

Comment pouvons-nous expliquer les différences d'efficacité de l'intervention ? Le grade de la régurgitation mitrale est vraisemblablement un important facteur explicatif. Dans l'étude COAPT, 95 % des patients avaient une RM ≤ 2 à un an, vs 80 % dans l'étude MITRA-FR. Ces excellents résultats de l'étude COAPT sont remarquables, et ils résultent probablement d'une grande expérience en matière d'implantations de Mitra- Clip et d'une optimalisation persistante du traitement de l'insuffisance cardiaque. Les effets cliniques favorables ont également été observés sur les critères d'évaluation secondaire tels que le test de marche de 6 minutes et la classification NYHA. Au bout de douze mois, 70 % des patients MitraClip de l'étude COAPT étaient en classe NYHA 1-2, vs 50 % des patients du groupe contrôle. Dans l'étude MITRA-FR, 70 % des patients MitraClip étaient également en classe NYHA 1-2, mais il en allait de même pour 70 % des patients du groupe contrôle. Ceci suggère que, dans l'étude MITRA-FR, le traitement médicamenteux de l'insuffisance cardiaque était suivi de manière plus stricte dans le groupe contrôle que dans le groupe intervention. Dans l'étude COAPT, on a strictement veillé à ce que le traitement médicamenteux ne soit pas diminué dans le groupe intervention.

Conclusion

Les effets cliniques favorables observés dans l'étude COAPT confirment les résultats de multiples études d'intervention observationnelles avec le MitraClip, et ils sont solidement étayés par une conception d'étude stricte qui prêtait également attention aux critères d'évaluation secondaire. En ce sens, j'accorde plus de valeur à l'étude américaine qu'à l'étude française. Toutefois, les résultats négatifs de l'étude MITRA-FR soulignent qu'il est important de prêter attention à quelques conditions préalables importantes pour obtenir de bons résultats cliniques lors de l'implantation d'un MitraClip. Il est important de tendre à une réduction optimale de la fuite valvulaire mitrale, non seulement via le placement optimal d'un ou plusieurs MitraClips, mais aussi via un traitement durablement optimal de l'insuffisance cardiaque (incluant des diurétiques). Par ailleurs, nous avons intérêt à n'inclure que des patients ayant une FE > 20 % et une importante régurgitation mitrale (ERO > 30 mm2). Dans ce contexte, je suppose que les recommandations européennes pour le MitraClip en cas d'insuffisance cardiaque seront revalorisées, et j'espère que les critères de remboursement belges seront également rapidement révisés.

Références

  1. Nasser, R., Van Assche, L., Vorlat, A., Vermeulen, T., Van Craenenbroeck, E., Conraads, V. et al. Evolution of Functional Mitral Regurgitation and Prognosis in Medically Managed Heart Failure Patiënts With Reduced Ejection Fraction. JACC Heart Fail, 2017, 5, 652-659.
  2. Rossi, A., Dini, F.L., Faggiano, P., Agricola, E., Cicoira, M., Frattini, S. et al. Independent prognostic value of functional mitral regurgitation in patiënts with heart failure. A quantitative analysis of 1256 patiënts with ischaemic and non-ischaemic dilated cardiomyopathy. Heart, 2011, 97, 1675-1680.
  3. Vahanian, A., Alfieri, O., Andreotti, F., Antunes, M.J., Baron-Esquivias, G., Baumgartner, H. et al. Guidelines on the management of valvular heart disease (version 2012). Eur Heart J, 2012, 33, 2451-2496.
  4. Obadia, J.F., Messika-Zeitoun, D., Leurent, G., Iung, B., Bonnet, G., Piriou, N. et al. Percutaneous Repair or Medical Treatment for Secondary Mitral Regurgitation. N Engl J Med, 2018, doi: 10.1056/NEJMoa1805374. [Epub ahead of print].
  5. Stone, G.W., Lindenfeld, J., Abraham, W.T., Kar, S., Lim, D.S., Mishell, J.M. et al. Transcatheter Mitral-Valve Repair in Patiënts with Heart Failure. N Engl J Med, 2018, doi: 10.1056/NEJMoa1806640. [Epub ahead of print].

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