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Inertie au changement
  • Olivier Gurné

à partir de quand devons nous changer une attitude thérapeutique? On pourrait se dire qu'à partir du moment où une étude multicentrique randomisée bien conduite montre un avantage évident, cela devrait aller de soi et pourtant …

Nous avons eu ces dernières années la chance de voir l'arrivée de thérapeutiques innovantes bouleverser nos habitudes. L'arrivée des NOACS en est un bon exemple. Quatre molécules sont actuellement sur le marché. Chacune avec des études largement positives par rapport aux anti-vitamines K utilisés depuis des décennies. L'arrivée du LCZ 696 (sacubitril/valsartan) par rapport au sacro-saint inhibiteur de l'enzyme de conversion, pierre angulaire du traitement de l'insuffisance cardiaque, en est un autre de même que l'arrivée des glifozines, les inhibiteurs de la SGLT2, montrant enfin dans 3 méga-trials des résultats nettement positifs au niveau cardiovasculaires chez les patients diabétiques. Les stents enrobés (DES) par rapport aux stents nus (BMS) sont un autre type d'exemple et on pourrait encore en citer bien d'autres.

Force est de constater que l'introduction de ces nouveaux traitements ne se fait que très lentement et très progressivement, contrairement à l'annonce souvent en fanfare lors de nos grands congrès internationaux européens ou américains. Lors de leur présentation, on en sort enthousiaste, persuadé d'avoir entendu la révélation, la réponse à la difficulté qu'on pensait insurmontable. Malheureusement, vient ensuite le dur parcourt du combattant pour ces molécules innovatrices.

Le temps des experts ou autres leaders d'opinion arrive avec leurs remarques, commentaires ou encore critiques envers l'étude, plus ou moins pertinentes, qui remettent en question notre belle assurance. La molécule doit franchir le cap des autorités régulatrices, comme la FDA pour les américains ou l'EMA pour les européens par exemple. La molécule doit également pour bien faire être incluse dans les guidelines internationaux qui sont devenus la bible des cardiologues modernes. Les autorités nationales sont un autre frein avant le décollage. D'un autre côté, il n'est pas illogique de penser qu'un contrôle extérieur est indispensable pour valider les données de l'étude réalisée mais on peut se dire également qu'il ne faut pas refaire le même travail à répétition!

Puis vient le jour où la molécule devient disponible sur le marché et où on pourrait penser que tout va changer du jour au lendemain puisqu'on l'attend … depuis des mois, des années. On se rend alors compte que de nombreux obstacles restent à franchir, à différents niveaux.

Bien évidemment, il y a le niveau du prescripteur qui reste incontournable et certains médecins sont plus méfiants, d'autres plus aventureux. La crainte de l'inconnu existe bel et bien avec le risque d'effets secondaires d'un médicament dont on n'a pas l'habitude d'utiliser. Tous les médecins savent qu'un patient sous anti-vitamine K peut saigner et cela fait partie du risque que l'on prend par rapport au bénéfice connu. Par contre, quand nous avons fait nos premiers pas avec un NOAC, le petit saignement qui survenait paraissait beaucoup plus menaçant par rapport au bénéfice escompté selon l'étude qui tout d'un coup devenait trop belle pour être vraie. L'éducation des médecins est donc indispensable à ce niveau, exactement comme lorsque nous l'avons appris lors de nos études de médecine ou lors de nos stages à utiliser les 'vieux' médicaments. Il est donc logique que les médecins se fassent leurs premières idées progressivement et s'aventurent plus loin par la suite. La discussion entre collègues plus ou moins expérimentés fait partie de cette démarche tout comme les études de registres 'dans le monde réel' peuvent nous donner des assurances à ce niveau. Ces études ont également leur importance car effectivement la population des études est relativement différente du patient moyen de notre consultation qui est souvent plus âgé et porteurs de plus de co-morbidités.

Les médias et nos autorités sont d'ailleurs à l'affut et pourraient être un moyen de contrôle. Malheureusement, les médias aiment trop souvent le côté spectaculaire de certaines annonces. On se souvient des histoires sur les statines, ces médicaments inutiles et dangereux selon certains, responsables de toutes les douleurs du monde. Cela a frisé le révisionnisme par moment. Nos autorités ne sont pas toujours innocentes car qui dit nouveau médicament dit malheureusement souvent aussi prix plus élevé. D'un côté nos politiciens ne veulent pas être en reste avec le progrès mais il faut savoir investir dans un long terme qui ne serait profitable pire encore qu'à un de leur concurrent, ce qui est d'autant plus vrai dans un système de santé aussi compliqué que le système belge, avec tous ces niveaux de pouvoir et de compétence. On peut se poser la question si certaines analyses réalisées par des organismes 'parfaitement neutres et indépendants' ne sont pas biaisées à la base par le seul problème du coût du médicament sans voir les bénéfices réalisés ailleurs. La problématique des études de coût / efficacité est là bien présente, avec toutes ses difficultés méthodologiques qui engendrent bien des discussions et des débats passionnés. On peut même aller plus loin: une fois le médicament arrivé au stade de générique, il sera moins cher et la situation devrait donc être re-débattue mais cela ne se ferra probablement pas, car il sera devenu un 'vieux médicament', utilisé par tous alors. Nos décideurs - payeurs ont donc un certain intérêt, si on voulait caricaturer, à freiner 'relativement un peu' le changement.

Et le patient dans tout cela, en théorie, il est au centre du débat et se doit d'être bien informé de façon neutre, ce qui en pratique est difficile car expliquer un changement à un patient dépend par définition de notre conviction personnelle. Modifier le traitement d'un patient qui ne va pas bien est relativement facile mais la situation est tout à fait différente chez un patient relativement asymptomatique, qui se sent confortable avec un médicament qu'il prend depuis des années. C'est toute la problématique des patients en prévention. Un patient diabétique ne 'souffre' pas directement de son diabète mais des conséquences de ce dernier. Diminuer la glycémie est certainement un must mais il faut y arriver avec des molécules gagnantes, tant sur le plan micro-circulatoire que sur le plan macro-circulatoire. La problématique des effets secondaires dans ce contexte est aussi importante pour ce type de patient. Pourquoi décrire toutes les complications imaginables écrites dans les notices qui sont trop lues par les patients? Même écrites en petit caractères, ils parviennent à les déchiffrer et à retrouver un point qui correspond 'parfaitement' à leur ressenti alors que bien peu lisent les clauses d'un programme informatique qu'ils téléchargent sur leur ordinateur, en cochant juste la case 'accepter'. Il faut donc une relation de confiance entre le médecin et le patient plutôt que la méfiance devant la nouveauté.

En conclusion, il faut aller de l'avant … avec prudence mais depuis des décennies, les progrès réalisés sont considérables et on a très rarement du faire marche arrière après de bonnes études randomisées.

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