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Compte-rendu du symposium satellite 'Oral anticoagulation in atrial fibrillation - From evidence-based medicine to daily clinical practice' le 26 août 2018 à l'ESC (Munich)
  • Eric Lecoq 

Après une brève introduction par le Prof. J. Weitz (Mc Master university, Canada), le Prof. C. Ruff (Boston) rappelle l'importance du traitement anticoagulant dans la fibrillation auriculaire, en soulignant l'efficacité (réduction de 64 % des accidents thromboemboliques) des coumariniques mais aussi leurs multiples inconvénients (multiples interactions médicamenteuses et alimentaires, variabilité individuelle dans la métabolisation, nécessité d'un monitoring de l'INR, temps de latence d'(in)efficacité …), ayant conduit à l'arrivée il y a dix années des nouveaux anticoagulants oraux; ceux-ci diffèrent entre eux par leur mode d'administration (une ou deux fois par jour), leur voie de métabolisation et leur degré d'élimination par voie rénale; ils ont été évalués sur un très grand nombre de patients (72 000) dans des études randomisées; ils peuvent difficilement se comparer entre eux, car étudiés sur des populations de patients différentes, notamment en terme de risque thromboembolique (CHADS2 plus élevé pour Rocket AF avec le rivaroxaban et pour ENGAGE AF-TIMI avec l'edoxaban). Globalement, les différents anticoagulants sur le marché montrent (en comparison avec la warfarine):

  • Efficacité équivalente ou légèrement supérieure pour la prévention des accidents thromboemboliques;
  • Réduction de 50 % des hémorragies cérébrales (mais davantage d'hémorragies digestives mineures);
  • Réduction de 10 % de la mortalité (pour la warfarine versus placebo, cette réduction atteint déjà 25-30 %).

Chacun des anticoagulants a ses propres indications d'ajustement de dosage, qu'il convient de respecter scrupuleusement (dans ENGAGE AF-TIMI, l'ajustement de dose avait également lieu après randomisation, et les patients ayant reçu la dose réduite de 30 mg n'ont pas présenté de risque accru d'accident vasculaire cérébral, tout en réduisant le risque de saignement majeur).

Dans ENGAGE AF-TIMI, la réduction de mortalité globale (et de la mortalité cardiovasculaire) est principalement attribuable à une réduction des saignements majeurs.

Par ailleurs, les études indiquent également que le bénéfice (principalement lié à une meilleure sécurité) est maintenu dans les sous-populations de sujets fragiles (patients âgés, insuffisants rénaux …).

Le risque de discontinuation du traitement est bien apparent dans l'étude ENGAGE AF-TIMI (surtout en cas d'arrêt pour événement indésirable), tant en terme d'événement cardiovasculaire que de mortalité; il est donc crucial de limiter au maximum les arrêts de traitement et de le reprendre dès que cela est possible.

Enfin, le prise unique versus la double prise semble équivalente en terme de risque thromboembolique en cas d'oubli d'une prise, la prise unique est toutefois associée à moins de prises manquées et moins d'intentions d'arrêt par le patient.

Le deuxième orateur, le Prof. Jan Steffel (Zurich), nous donne des recommandations pratiques pour un bon usage des nouveaux anticoagulants, basées sur les dernières publications de l'EHRA, en abordant des situations cliniques courantes, non résolues par les grandes études.

Une éducation soignée du patient pour une adhérence optimale au traitement et un suivi régulier (avec l'aide éventuelle d'un suivi électronique à distance) sont essentiels, ainsi qu'un dosage adéquat adapté (et régulièrement actualisé) à l'indication et au patient (âge, poids, fonction rénale), dans la stricte conformité de ce que les études ont démontré.

Même si les interactions médicamenteuses sont bien moins nombreuses qu'avec les antivitamines K, il convient de prendre en compte les interactions connues, spécifiques à chaque molécule, en particulier avec les médications métabolisées via la glycoprotéine P ou le cytochrome P3A4, les antiépileptiques et certaines médications anticancéreuses. L'orateur invite l'audience à se référer aux tableaux consultables dans les guidelines.

Le problème des saignements est ensuite abordé; l'usage d'antagoniste spécifique (actuellement seulement disponible en Europe pour le dabigatran) ou de concentrés de facteurs de coagulation (qui semblent aussi efficaces que pour la neutralisation des antivitamines K) doit être réservé pour les hémorragies graves menaçant la vie, la durée d'action de ces molécules étant assez courte. Pour les saignements mineurs, il convient de rediscuter si la molécule et le dosage choisis sont bien appropriés. L'opportunité de la reprise du traitement (ou d'un changement thérapeutique) doit être systématiquement discutée, en prenant en compte les facteurs de risque hémorragique (figure 1).

Un tableau pratique pour la gestion périopératoire (figure 2) et pour la chirurgie urgente non planifiée (figure 3), est présenté, en fonction du risque de saignement, la période d'arrêt préopératoire maximale étant de 48 heures pour les interventions à haut risque. L'utilisation des HBPM en 'bridge' est à proscrire (pharmacocinétique proche).

La situation de l'AVC survenant sous traitement est discutée; la thrombolyse (complétée éventuellement de thrombectomie) peut s'envisager si l'anticoagulant est indosable ou si la dernière prise date de plus de 48 heures; le timing de la reprise du traitement est fonction de l'importance du déficit neurologique et de la présence ou non d'une composante hémorragique à l'imagerie cérébrale.

Le troisième orateur, le Prof. P. Kirchhof (Birmingham), aborde les études observationnelles dans la pratique clinique (real world data, RWD).

Nos connaissances sur les antivitamines K sont essentiellement basées sur des études observationnelles. Ces études montrent qu'ils réduisent d'environ 2/3 les accidents vasculaires cérébraux, dont l'incidence chez le patient en fibrillation auriculaire se situe entre 2 et 10 % (0,2 à 0,8 % d'hémorragies intracérébrales). De manière étonnante, le pronostic d'un AVC sous warfarine est meilleure qu'un AVC sous acide acétylsalicylique ou sans traitement.

Un registre US (medicare) rassemblant 700 000 patients sous dabigatran ou warfarine met en évidence un taux d'AVC, de complications hémorragiques et une mortalité comparables à ceux observés dans l'étude RE-LY, ce qui en soit fort rassurant tenant compte du fait que l'adhérence au traitement est probablement moins bonne que dans les études randomisées.

à noter que les données de la vie réelle nous donnent également de bonnes raisons de penser que les différents antivitamines K présents sur le marché ont un profil d'efficacité et de sécurité comparables à celui de la warfarine et que l'on peut donc raisonnablement extrapoler les données des études sur les NOAC à ces autres antivitamines K.

En terme de sécurité, le registre Medicare nous indique une incidence de saignement majeur d'environ 2 % après un an de traitement (principalement au niveau gastro-intestinal).

En ce qui concerne l'edoxaban, un registre européen rassemblant 14 000 patients est en cours d'analyse (ETNA AF programme, suivi de 4 années); on sait déjà que la plupart des patients y reçoivent la haute dose d'edoxaban, ce qui fait penser que les dosages sont globalement bien respectés en pratique clinique.

Les patients avec un score CHA2DS2-VASc de 1 chez l'homme et 2 chez la femme ont une recommandation de classe 2A pour l'anticoagulation (ESC guidelines), sur base principalement d'études observationnelles indiquant que certains de ces patients ont un risque élevé d'AVC (alors que beaucoup ont un risque très faible); identifier les patients à risque faible est essentiel, il apparait ainsi que le diabète stable non insulino-dépendant ou l'hypertension bien contrôlée ont peu d'impact sur le risque thromboembolique et hémorragique (registre PREFER).

Le rôle thromboembolique des épisodes courts d'arythmie atriale fréquemment (30 %) constatés sur les monitoring des stimulateurs cardiaques reste à définir pour cibler les patients bénéficiant d'une anticoagulation (études en court, notamment AFNET 6). Pour rappel, la fibrillation auriculaire se définit par un ECG caractéristique et une arythmie d'une durée minimale de 30 secondes.

Nous avons également appris que de nombreux facteurs peuvent réduire le risque d'AVC sous traitement anticoagulant (activité physique régulière, abstinence de tabac, consommation modérée d'alcool, réduction stress, traitements antiarythmiques y compris les techniques ablatives …).

En conclusion, les études observationnelles sont complémentaires aux études randomisées, en apportant des informations complémentaires pertinentes pour notre gestion au quotidien de la fibrillation auriculaire.

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