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Complexe de de Winter: ayez l'oeil!
  • Inne Vanreusel , Christiaan Vrints

Un complexe de de Winter, caractérisé par des sous-dénivellations jonctionnelles du segment ST et de grandes ondes T symétriques, est une découverte électrocardiographique rare qu'on rencontre dans 1,6 % de tous les infarctus antérieurs. Il est capital de reconnaître ce complexe, afin de pouvoir débuter un traitement de reperfusion à temps.

Cas clinique

Un patient de 75 ans, souffrant d'hypothyroïdie, d'un diabète de type 1 et d'un syndrome d'apnées obstructives du sommeil (SAOS) traité par CPAP (ventilation en pression positive continue), s'est présenté aux urgences de l'hôpital universitaire d'Anvers (UZA) le 20 août 2018 à 03 h 40, en raison de douleurs épigastriques ayant débuté à 01 h. La douleur était oppressante et irradiait vers le bras gauche. Le patient ne présentait pas de palpitations, mais se sentait nauséeux et avait vomi une fois. Le reste de l'anamnèse systématique était négatif.

Le patient paraissait très affecté, il était pâle, moite et en sueur. à l'examen clinique, le rythme cardiaque était régulier, les bruits cardiaques étaient normaux et on n'auscultait pas de souffle. L'auscultation pulmonaire avait révélé des crépitants aux deux bases. Il n'y avait pas d'oedèmes périphériques. L'abdomen était diffusément sensible à la palpation, avec une défense musculaire. Il n'y avait pas de rebond ni d'hépatosplénomégalie, et l'ébranlement rénal était négatif.

Paramètres:

FC 68/min, tension artérielle 130/78 mmHg, température 36,0 °C, saturation 88 %, glycémie 238 mg/dl

Biologie:

leucocytes 9,25 × 10^9/l, protéine C réactive (CRP) < 2,9 mg/l, troponine I 0,475 μg/l

Gaz artériels:

pO2 60,2 mmHg, pCO2 39,8 mmHg, lactates 1,2 mmol/l

Le tracé électrocardiographique (ecg) était le suivant (figure 1).

Une écho transthoracique sommaire réalisée au lit, aux urgences, a révélé une diminution modérée à sévère de la fonction ventriculaire gauche avec une hypokinésie sévère, voire une akinésie, la contractilité n'étant préservée qu'au niveau des segments basaux. Par ailleurs, il y avait des traces d'insuffisance mitrale. Une RX thorax a révélé une stase au niveau des deux champs pulmonaires (figure 2).

Stratégie diagnostique et thérapeutique?

Ce patient souffrait de douleurs thoraciques persistantes, suspectes d'infarctus myocardique aigu. Cliniquement et radiologiquement, il présentait des signes de défaillance cardiaque gauche, avec un oedème pulmonaire interstitiel. L'ecg à 12 dérivations montrait un complexe de de Winter typique, compatible avec un infarctus antérieur aigu. Le tableau clinique doublé du complexe typique de de Winter constituait une indication de coronarographie invasive urgente en vue d'une intervention coronaire percutanée (PCI) primaire. La coronarographie a révélé une occlusion totale de l'IVA (interventriculaire antérieure) proximale, qui a été traitée par PCI primaire avec mise en place d'un stent médicamenteux (DES).

Le complexe de de Winter

Le complexe de de Winter, décrit pour la première fois en 2008 par de Winter R. J. et al.1, constitue un nouveau tracé ecg qu'on observe chez 2 % des patients présentant une occlusion de l'IVA proximale. Au lieu de sus-décalages du segment ST, on observait des sous-décalages ascendants du segment ST de 1-3 mm au niveau du point J, dans les dérivations précordiales. Ces sous-décalages étaient suivis de grandes ondes T symétriques, positives. Dans certains cas, il y avait également une perte de la progression des ondes R dans les dérivations précordiales. La plupart de leurs patients présentaient également une élévation du segment ST de 1-2 mm en dérivation aVR.

Les données disponibles suggèrent que ce complexe a une valeur prédictive positive élevée pour une occlusion aiguë.2

L'ecg de notre patient de 75 ans, présenté ci-dessus (figures 2 et 3), montre des ondes Q au niveau des dérivations V2-V6, les plus marquées en V3-V4. Dans ces dernières dérivations, on observe également un point J atypique avec des sous-décalages ascendants du segment ST et de grandes ondes T symétriques, positives, compatibles avec le complexe de de Winter. Par ailleurs, on note également un crochetage au niveau de la déflexion négative du complexe QRS en V2-V3 (voir ci-dessous).

Physiopathologie

Gorgels A.P.3 a donné une explication à ce tracé électrocardiographique indicatif d'ischémie antérieure, caractérisé par [1] une perte de l'onde R et [2] fréquemment, un crochetage positif au niveau de la portion négative du complexe QRS dans les dérivations précordiales, en combinaison avec [3] des sous-décalages du segment ST et [4] de grandes ondes T pointues1 (figure 4). Ce tracé avait déjà été associé à une occlusion subtotale ou à une occlusion totale avec circulation collatérale de l'IVA ou d'une branche diagonale, mais il serait également vu en cas d'occlusion totale sans collatéralisation.1

Dans les figures du dessus, les chiffres 1 et 2 indiquent la séquence d'activation de la paroi ventriculaire. La flèche ondulée indique le retard de conduction au niveau de la zone sous-endocardique ischémique. Les chiffres 1 à 4 dans la figure du dessous indiquent les modifications au niveau de l'ecg de surface, suite à cette ischémie sous-endocardique.

Les différences de voltage qui se produisent dans une situation normale, du fait que le potentiel d'action sous-endocardique commence plus tôt et dure plus longtemps que le potentiel d'action épicardique, entraînent respectivement un vecteur de dépolarisation et de repolarisation, qui expliquent la morphologie et la polarité du complexe QRS et de l'onde T. L'activation du ventricule gauche antéroseptal se produit avant que la partie postérolatérale se dépolarise, ce qui entraîne une onde r initiale avant l'onde S et par conséquent un aspect rS du complexe QRS. Il n'y a pas de différence de voltage pendant la phase en plateau, ce qui se traduit par un segment ST isoélectrique.

Au début de l'infarctus myocardique aigu, l'ischémie est plus marquée au niveau des couches myocardiques sous-endocardiques. Le myocarde ischémique au niveau des couches sous-endocardiques est plus dépolarisé en diastole, ce qui provoque une ascension de la ligne de base de l'ecg [figure 4, 1]. La conduction au niveau de la partie sous-endocardique de la zone ischémique est plus lente, suite à quoi c'est le ventricule gauche postérolatéral qui est le premier à déclencher la dépolarisation. L'onde r initiale est décalée, ce qui se traduit par un crochetage positif au niveau du jambage négatif du complexe QRS [figure 4, 2]. Les différences de potentiel d'action entre les couches sous-endocardiques profondément ischémiques et les couches sous-épicardiques où l'ischémie est moins marquée induisent l'apparition d'une différence de voltage durant la phase en plateau. Ceci se traduit par une dépression du segment ST [figure 4, 3]. Enfin, le potentiel d'action au niveau de la zone sous-endocardique ischémique va se repolariser plus tôt et plus rapidement, ce qui explique qu'une plus grande quantité de tissu se repolarise en un laps de temps plus court, entraînant ainsi une grande onde T pointue et symétrique [figure 4, 4].3

Prévalence, traitement et importance

Un électrocardiogramme avec des sous-dénivellations jonctionnelles du segment ST et de grandes ondes T symétriques est une découverte rare concernant 1,6 % de tous les infarctus antérieurs.4 Les patients présentant ces tracés électrocardiographiques, issus de la population d'étude de Verouden N.J. et al.5, étaient plus jeunes et souffraient plus souvent d'hypercholestérolémie, comparativement aux patients présentant un infarctus antérieur et des sus-décalages du segment ST. Ce groupe comptait également plus d'hommes que de femmes.

Initialement, ce complexe avait été décrit comme un phénomène statique.1, 5 Toutefois, en 2014, Goebel et al.6 ont décrit un cas dans lequel le tracé ecg a évolué en l'espace de 2 heures, jusqu'à l'apparition du classique STEMI (infarctus myocardique avec sus-décalage du segment ST).7

Bien que l'aspect électrocardiographique des ondes T en cas de complexe de de Winter ne soit pas repris dans les recommandations relatives aux syndromes coronariens aigus et qu'il n'y ait par conséquent pas de recommandations claires8, on dispose de preuves croissantes pour recommander une reperfusion coronaire immédiate dans cette situation également.4 Par conséquent, il est essentiel que les professionnels de la santé reconnaissent cet équivalent de STEMI sur les tracés ecg et qu'ils puissent offrir aux patients un traitement adapté immédiat, en l'occurrence un traitement de reperfusion au moyen d'une intervention coronaire percutanée.7, 9, 10 Si la PCI ne peut être pratiquée à temps, la fibrinolyse peut constituer un traitement adéquat, s'il n'y a pas de contre-indications et à condition que le début des symptômes ne remonte pas à plus de 3 heures.8 De plus amples études doivent encore évaluer si une revascularisation rapide améliore la mortalité.2

Références

  1. de Winter, R.J., Verouden, N.J., Wellens, H.J., Wilde, A.A., Interventional Cardiology Group of the Academic Medical C. A new ECG sign of proximal LAD occlusion. N Engl J Med, 2008, 359 (19), 2071-2073.
  2. Morris, N.P., Body, R. The De Winter ECG pattern: morphology and accuracy for diagnosing acute coronary occlusion: systematic review. Eur J Emerg Med, 2017, 24 (4), 236-242.
  3. Gorgels, A.P. Explanation for the electrocardiogram in subendocardial ischemia of the anterior wall of the left ventricle. J Electrocardiol, 2009, 42 (3), 248-249.
  4. de Winter, R.W., Adams, R., Amoroso, G., Appelman, Y., Ten Brinke, L., Huybrechts, B., et al. Prevalence of junctional ST-depression with tall symmetrical T-waves in a pre-hospital field triage system for STEMI patients. J Electrocardiol, 2019, 52, 1-5.
  5. Verouden, N.J., Koch, K.T., Peters, R.J., Henriques, J.P., Baan, J., van der Schaaf, R.J., et al. Persistent precordial "hyperacute" T-waves signify proximal left anterior descending artery occlusion. Heart, 2009, 95 (20), 1701-1706.
  6. Goebel, M., Bledsoe, J., Orford, J.L., Mattu, A., Brady, W.J. A new ST-segment elevation myocardial infarction equivalent pattern? Prominent T wave and J-point depression in the precordial leads associated with ST-segment elevation in lead aVr. Am J Emerg Med, 2014, 32 (3), 287 e5-8.
  7. Qayyum, H., Hemaya, S., Squires, J., Adam, Z. Recognising the de Winter ECG pattern - A time critical electrocardiographic diagnosis in the Emergency Department. J Electrocardiol, 2018, 51 (3), 392-395.
  8. Pranata, R., Huang, I., Damay, V. Should de Winter T-Wave Electrocardiography Pattern Be Treated as ST-Segment Elevation Myocardial Infarction Equivalent with Consequent Reperfusion? A Dilemmatic Experience in Rural Area of Indonesia. Case Rep Cardiol, 2018, 6868204.
  9. Goktas, M.U., Sogut, O., Yigit, M., Kaplan, O. A Novel Electrocardiographic Sign of an ST-Segment Elevation Myocardial Infarction- Equivalent: De Winter Syndrome. Cardiol Res, 2017, 8 (4), 165-168.
  10. de Winter, R.W., Adams, R., Verouden, N.J., de Winter, R.J. Precordial junctional ST-segment depression with tall symmetric T-waves signifying proximal LAD occlusion, case reports of STEMI equivalence. J Electrocardiol, 2016, 49 (1), 76-80.

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