NL | FR
Hot Line session 1 - THEMIS
  • Walter Desmet 

Le dimanche 1er septembre, lors du congrès de la Société Européenne de Cardiologie à Paris, l'étude THEMIS allait être présentée dans l'auditorium principal. Un peu plus de 20 minutes avant le début de la session, la salle était pleine à craquer, et les portes ont été fermées.

Le premier orateur, Deepak Bhatt du Brigham and Women's Hospital de Boston, a présenté les résultats globaux de l'étude THEMIS (Effect of Ticagrelor on Health Outcomes in diabEtes Mellitus patients Intervention Study).

Les patients souffrant de maladies coronariennes et d'un diabète de type 2 courent un risque élevé de problèmes cardiovasculaires. Le ticagrelor inhibe les plaquettes de manière plus homogène que l'acide acétylsalicylique ou le clopidogrel, et il a un effet protecteur lorsqu'il est ajouté à l'acide acétylsalicylique chez les patients présentant un syndrome coronarien aigu et chez les patients à haut risque, après un infarctus myocardique. Cette étude visait à évaluer si les patients atteints de maladies coronariennes stables et de diabète n'ayant pas d'antécédent d'infarctus ou d'AVC tireraient également des bénéfices d'une double thérapie antiplaquettaire à base de ticagrelor et d'acide acétylsalicylique. Il s'agit d'une étude clinique de phase 3, randomisée, en double aveugle et contrôlée par placebo, conduite dans 1 325 hôpitaux répartis dans 42 pays. Les patients entraient en ligne de compte pour l'étude s'ils étaient âgés d'au moins 50 ans et s'ils souffraient de diabète de type 2 pour lequel ils étaient traités par médicaments hypoglycémiants depuis au moins 6 mois. En outre, ils devaient présenter une maladie coronarienne stable avec au moins un des 3 critères suivants, non mutuellement exclusifs: antécédent d'intervention coronaire percutanée (PCI) ou de pontages coronariens, ou présence documentée d'une sténose angiographique de 50 % ou plus dans au moins 1 artère coronaire. Les patients ayant déjà présenté un infarctus myocardique ou un AVC ont été exclus de l'étude.

Finalement, 19 220 patients ont été randomisés vers un traitement par ticagrelor plus acide acétylsalicylique ou vers un placebo plus acide acétylsalicylique, et ils ont été suivis pendant une durée médiane de 39,9 mois. Durant l'étude, la dose de ticagrelor a été diminuée, en l'occurrence de 2 fois 90 mg par jour à 2 fois 60 mg par jour. Le critère d'efficacité primaire était un critère composite de décès cardiovasculaire, d'infarctus myocardique ou d'AVC. Le critère de sécurité primaire était une hémorragie majeure, définie selon les critères TIMI (Thrombolysis in Myocardial Infarction).

Si un patient devait subir une PCI au cours de l'étude, le médicament à l'étude était temporairement interrompu et remplacé par une double thérapie antiplaquettaire (DAPT) ouverte, pendant une période déterminée par les recommandations et le médecin traitant. S'il y avait une indication d'anticoagulation, le médicament à l'étude était arrêté et un traitement anticoagulant était instauré.

L'arrêt définitif du traitement est survenu plus fréquemment avec le ticagrelor qu'avec le placebo (34,5 vs 25,4 %), principalement en raison d'une dyspnée et d'hémorragies plus fréquentes avec le ticagrelor. Les patients étaient bien équilibrés entre les deux groupes de traitement. L'âge médian était de 66 ans, et on comptait 31,4 % de femmes. 58,0 % des patients avaient déjà subi une PCI, 21,8 % avaient subi un CABG et 7,0 % avaient un double antécédent de PCI et de CABG. Le diagnostic de diabète avait été posé 10 ans (valeur médiane) avant la randomisation. Plus de la moitié des patients prenaient de la metformine et plus de 20 % recevaient de l'insuline.

Le critère d'efficacité primaire composite a été observé chez 736 des 9 601 patients (7,7 %) du groupe ticagrelor et chez 818 des 9 601 patients (8,5 %) du groupe placebo. Au bout de 36 mois, ceci a entraîné un hazard ratio de 0,90 (intervalle de confiance à 95 % 0,81-0,99; p = 0,04). Le nombre de patients qu'il faudrait traiter pour éviter un événement primaire sur une période de 3 ans est donc de 138. La différence était surtout attribuable à une incidence moindre d'infarctus myocardiques et d'AVC dans le groupe ticagrelor comparativement au groupe placebo, tandis que l'incidence de mortalité globale ou de décès d'origine cardiovasculaire ne différait pas entre les deux groupes.

Cependant, on a observé nettement plus d'hémorragies TIMI majeures dans le groupe ticagrelor que dans le groupe placebo (2,2 % vs 1,0 %, hazard ratio 2,32; IC 95 % 1,82-2,94; p < 0,001). Le nombre de patients qu'il faudrait traiter pendant 3 ans pour provoquer une hémorragie majeure supplémentaire serait alors de 93. Les hémorragies fatales étaient numériquement plus fréquentes dans le groupe ticagrelor, mais le chiffre n'était pas statistiquement significatif. Par contre, la différence sur le plan des hémorragies intracrâniennes était significative, au détriment du ticagrelor. Cette incidence plus élevée dans le groupe ticagrelor était totalement attribuable à des hémorragies intracrâniennes traumatiques, tandis que le nombre d'hémorragies spontanées était identique dans les deux groupes.

Le Dr Bhatt a conclu que, dans cette étude ayant inclus des patients atteints de maladies coronariennes stables et de diabète, l'ajout de ticagrelor à l'acide acétylsalicylique faiblement dosé était associé à un risque moindre d'un événement ischémique et à un risque plus élevé d'hémorragie majeure. Dans une analyse exploratoire tenant compte à la fois de l'efficacité et de la sécurité, le risque de 'dommage irréversible net' n'était pas significativement plus faible avec le ticagrelor qu'avec le placebo. Ceci suggère qu'un traitement par ticagrelor n'est pas associé à un rapport bénéfices/ risques positif dans cette population spécifique de patients.

Les résultats de THEMIS ont été publiés en ligne dans The New England Journal of Medicine1, immédiatement après l'exposé.

Ensuite, le Pr Gabriel Steg a présenté l'étude THEMIS-PCI, qui portait sur le sous-groupe préalablement spécifié de patients de l'étude THEMIS, qui avaient déjà subi une PCI. La justification sousjacente de cette sous-étude est que les patients diabétiques chez qui on a déjà implanté un stent courent un risque supplémentaire de nouveaux problèmes ischémiques, et que ces patients ont vraisemblablement un risque hémorragique moindre sous double thérapie antiplaquettaire (DAPT) prolongée, étant donné qu'ils avaient déjà reçu une DAPT pendant plusieurs mois après leur stenting, sans problèmes hémorragiques majeurs. Comme nous l'avons dit précédemment, les patients ayant déjà subi une PCI représentaient la majorité (58 %) des patients inclus dans l'étude THEMIS. Le délai médian depuis la PCI la plus récente était de 3,3 ans. Les critères d'évaluation étaient essentiellement les mêmes dans l'étude THEMIS-PCI que dans l'étude THEMIS globale.

Le ticagrelor a donné lieu à moins de critères d'efficacité primaire (7,3 %) que le placebo (8,6 %; HR 0,85 (IC 95 % 0,74- 0,97); p = 0,03) chez les patients ayant un antécédent de PCI. Le nombre de patients qui ont dû être traités pour éviter un événement ischémique au cours de l'étude était de 84. Chez les 8 066 patients (42 % de la population de l'étude THEMIS globale)n'ayant aucun antécédent de PCI, on n'a observé aucun avantage du ticagrelor par rapport au placebo (8,2 % vs 8,4 %; HR 0,98 (0,81-1,14); p = 0,76). Chez les patients ayant déjà subi une PCI, on a observé une incidence de thrombose du stent non significativement plus faible avec le ticagrelor qu'avec le placebo. Chez ces patients ayant un antécédent de PCI, un infarctus myocardique avec sus-décalage du segment ST (STEMI) est survenu chez 0,3 % des patients du groupe ticagrelor, contre 0,9 % du groupe placebo (HR 0,32 (IC 95 % 0,18-0,55, p < 0,0001). On a noté une augmentation significative des hémorragies sous ticagrelor, tant chez les patients ayant un antécédent de PCI que chez les autres. Cependant, la valeur P pour l'interaction était significative, ce qui suggère un risque hémorragique plus élevé dans le groupe n'ayant pas subi de PCI auparavant, par rapport au groupe ayant un antécédent de PCI. Les hémorragies intracrâniennes ne différaient pas entre le groupe ticagrelor et le groupe placebo, chez les patients ayant déjà subi une PCI. Cependant, chez les patients sans antécédent de PCI, l'incidence d'hémorragies intracrâniennes atteignait 0,9 % sous ticagrelor, contre 0,4 % sous placebo (HR 2,74, p = 0,00098).

Lorsque le bénéfice clinique net a été redéfini par après comme le composite de mortalité toutes causes, de STEMI, d'AVC, d'hémorragie fatale ou d'hémorragie intracrânienne, on a observé un bénéfice significatif avec le ticagrelor chez les patients ayant déjà subi une PCI (7,0 % vs 8,4 % (HR 0,83 [IC 95 % 0,73- 0,95], p = 0,081). En termes de chiffres, ce bénéfice semblait plus prononcé au fur et à mesure que la PCI précédente était plus récente, mais cette relation n'était pas statistiquement significative. Ce bénéfice était totalement absent chez les patients qui n'avaient jamais subi de PCI auparavant.

Le Pr Steg a conclu que les patients diabétiques ayant déjà subi une PCI par le passé peuvent tirer des bénéfices d'un traitement prolongé par ticagrelor, même s'ils n'ont pas d'antécédent d'infarctus myocardique, parce qu'ils présentent une réduction plus importante des problèmes ischémiques avec le ticagrelor et que le risque hémorragique, il est vrai plus élevé, est moins marqué que chez les patients n'ayant pas d'antécédent de PCI. Toutefois, il a souligné que le risque ischémique et le risque hémorragique doivent être évalués le mieux possible, dans chaque situation individuelle. En outre, il a souligné l'utilité de l'administration d'inhibiteurs de la pompe à protons, pour réduire le risque hémorragique.

Les résultats de THEMIS-PCI ont été publiés en ligne dans The Lancet2, immédiatement après l'exposé.

Considérations

L'étude THEMIS est au ticagrelor ce que CHARISMA3 était au clopidogrel: après que les deux médicaments ont prouvé leur utilité significative dans des situations impliquant un risque ischémique (très) élevé, on a évalué si des patients présentant un risque ischémique moindre, quoique toujours élevé, pourraient également tirer des bénéfices de l'ajout d'un inhibiteur plaquettaire plus puissant au traitement. Et cela s'est avéré de ne pas être le cas. Si les patients traités par ticagrelor dans l'étude THEMIS présentaient effectivement une diminution significative des problèmes ischémiques, il fallait traiter 138 patients par ticagrelor pendant 3 ans pour éviter 1 événement ischémique. Ceci n'est pas compensé par l'augmentation significative d'hémorragies majeures. Sur ce plan, au bout de 3 ans, ce traitement entraîne une hémorragie majeure chez 1 patient sur 93.

Dans la sous-population préalablement spécifiée de patients de l'étude THEMIS, ayant un antécédent de PCI, un traitement prolongé par ticagrelor semble être associé à un bénéfice clinique net, quoique dépendant de la composition précise du critère d'évaluation combiné en question. Les résultats de l'étude THEMIS- PCI doivent d'ailleurs être interprétés avec une certaine prudence, étant donné que la valeur p pour l'interaction pour le critère d'efficacité primaire dans le groupe 'antécédent de PCI' par rapport au groupe 'pas d'antécédent de PCI' n'était pas significative. Par conséquent, on peut tout au plus envisager, prudemment, d'administrer du ticagrelor de manière prolongée à un patient diabétique de 50 ans ou plus, qui a déjà subi une PCI, si on estime que le risque ischémique de ce patient est élevé, et que le risque hémorragique semble faible.

Références

  1. Steg, P.G., Bhatt, D.L., Simon, T., et al.. Ticagrelor in patients with stable coronary disease and diabetes. N Engl J Med, 2019, doi: 10.1056/NEJMoa1908077. [Epub ahead of print]
  2. Bhatt, D.L., Steg, P.G., Mehta, S.R., et al. Ticagrelor in patients with diabetes and stable coronary artery disease with a history of previous percutaneous coronary intervention (THEMIS-PCI): a phase 3, placebo-controlled, randomised trial. Lancet, 2019, doi: 10.1016/ S0140-6736(19)31887-2. [Epub ahead of print].
  3. Bhatt, D.L., Fox, K.A., Hacke, W. et al. Clopidogrel and aspirin versus aspirin alone for the prevention of atherothrombotic events. N Engl J Med, 2006, 354, 1706-1717.

Aucun élément du site web ne peut être reproduit, modifié, diffusé, vendu, publié ou utilisé à des fins commerciales sans autorisation écrite préalable de l’éditeur. Il est également interdit de sauvegarder cette information par voie électronique ou de l’utiliser à des fins illégales.