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Fardeau des facteurs de risque: mythe ou réalité?
  • Angel Lozano Y Camacho 

Les '39es Journées françaises de l'Hypertension Artérielle' ont eu lieu à Paris les 19 et 20 décembre. Découvrez ici le rapport du symposium 'Fardeau de facteurs de risque: mythe ou réalité?'.

1er exposé

Impact du risque cumulé de l'hypertension et de l'hypercholestérolémie

Jean-Jacques MOURAD, Paris

L'athérosclérose est un ensemble de phénomènes inflammatoires qui débouchent sur un événement clinique inquiétant, qui met en exergue l'échec du dépistage et de la prévention.

Depuis l'étude de Framingham, on sait que pour un même niveau de pression artérielle systolique, un taux de cholestérol LDL croissant induit un excès de risque parallèle.

Dès lors, nous sommes confrontés à un modèle classique de risques cumulés qui a été confirmé dans l'étude INTERHEART, en particulier avec ses 6 facteurs de risque (FR).

Ceci est à la base de toutes les recommandations qui estiment un calcul du risque CV.

Dans la grande majorité des cas, toutes les échelles qui calculent le risque CV oublient la durée d'exposition à ces facteurs de risque, qui correspond toutefois beaucoup mieux à la physiopathologie de l'athérosclérose.

Le premier modèle incluant la durée d'exposition à un FR donné est le modèle tabagique. Nous ne cessons de dire à un patient jeune qui ne fume que depuis 1 an qu'il est impératif d'arrêter de fumer très rapidement, en raison entre autres d'un risque de cancer à long terme. Pourquoi ne faisons-nous pas de même chez de jeunes patients souffrant d'HTA ou d'hypercholestérolémie? Pourquoi agissons-nous uniquement dès que leur risque CV 'global' est élevé, et pas avant?

Le vieillissement artériel normal que nous connaissons tous, dès lors que nous survivons aux maladies infantiles ou aux accidents, va être impacté à différents moments par la survenue d'un ou de plusieurs FR. à quel moment pouvons-nous agir? Tout le débat est là, sur cette ligne de vieillissement artériel, en corrigeant le FR qui survient. Actuellement, on a plutôt tendance à intervenir tardivement, et on commence à entrevoir qu'une intervention plus précoce dans l'évolution de la pathologie permettrait de résister au vieillissement normal et de corriger mieux le risque résiduel induit par ces FR.

Une bonne manière d'approcher cette perspective est de dépasser le cadre extrêmement étroit du calcul du risque CV global, reflété par les échelles utilisées (SCORE), qui donnent un risque à 5 ans ou à 10 ans, et de réfléchir plutôt en termes de risque au cours de la vie (lifetime risk).

L'effet du fardeau du LDL sur la paroi artérielle a été bien démontré par Ference, qui a montré l'effet d'un LDL bas d'origine génétique et l'effet d'un LDL bas induit par une statine.

Il existe différents polymorphismes génétiques capables de générer des taux de LDL différents. Une différence de -1 % au niveau du cholestérol LDL entre 2 patients dont le polymorphisme est différent va entraîner une diminution du risque CV de 50 %.

L'abaissement de 1 % du cholestérol LDL induit par les statines prises pendant 2 à 4 ans, durant la durée de l'étude, réduit le risque CV de maximum 30 à 40 % dans les essais cliniques réalisés. La différence s'explique par la durée d'exposition. Dans les polymorphismes génétiques qui donnent un cholestérol LDL bas, la durée d'exposition est de 40-50 ans, voire 60 ans, tandis que l'efficacité l'effet bénéfique d'une statine démontré dans les études va s'exercer pendant les 2 à 4 ans que dure l'étude. C'est la plus belle démonstration de l'effet cumulatif du LDL sur la paroi artérielle. Plus le cholestérol LDL est bas dès le jeune âge, plus on arrivera à un risque CV significativement plus faible à un âge plus avancé. Une personne ayant un cholestérol LDL bas (80 mg) vivra statistiquement plus longtemps qu'une personne ayant un LDL à 200 mg/dl.

Sur le plan thérapeutique, les dernières recommandations mettent en exergue la durée d'exposition. Les statines seront d'autant plus efficaces si on les donne tôt. Le modèle humain de vieillissement artériel prématuré dans l'IRC nous le montre. Il est illusoire de corriger le cholestérol LDL chez un patient dialysé. L'efficacité des statines est inversement corrélée au degré d'insuffisance rénale.

En ce qui concerne l'HTA, des données récentes suggèrent que, dans une population donnée, plus la durée de l'exposition à l'HTA est longue, plus le risque de survenue d'une démence est augmenté, surtout quand l'hypertension apparaît tôt. Une HTA qui débute après 65 ans n'aura pas la même durée d'exposition qu'une HTA qui débute chez un sujet jeune.

La durée d'exposition et l'effet cumulatif des FR ainsi que leurs changements va bien mieux prédire le risque de maladie CV et peut-être nous conduire à cette fameuse médecine personnalisée que l'on cherche dans les gènes, alors qu'elle se trouve plutôt dans nos banques de données. La valeur cumulative de la pression artérielle systolique sera un bien meilleur élément prédictif, pour autant qu'on ait un moyen simple de l'évaluer. Les données de SCORE sont trop simples, trop basiques. Des patients détectés, mais non traités parce qu'ils ont un risque CV trop faible, ne bénéficient pas d'une authentique prévention CV.

2e exposé

Fardeau du cholestérol: vision complémentaire des recommandations ESC/EAS 2019

Jacques BLACHER, Paris

Pour atteindre les objectifs de l'ESC 2019, il va falloir changer nos habitudes. Il faut viser un cholestérol LDL < 116 mg/dl chez les patients à faible risque et < 55 mg/dl chez les patients à très haut risque. Pour cela, il faut utiliser les statines les plus puissantes, aux doses les plus élevées (diminution de 50 %). Il faudra probablement chez beaucoup de patients ajouter de l'ézétimibe à la dose de 10 mg, comme l'a démontré l'étude IMPROVE-IT (diminution de 65 %). Et il faudra certainement chez certains patients aussi utiliser les anti-PCSK9, qui sont les seuls à induire une diminution de 60 % mais qui, en combinaison avec les statines les plus puissantes aux doses les plus élevées, donneront une diminution de 75 % du cholestérol LDL, voire de 85 % si on ajoute 10 mg d'ézétimibe à cette combinaison.

Avec ces hautes doses, on est confronté aux problèmes d'effets indésirables, comme les douleurs musculaires, qui sont d'une part relativement rares, mais qui d'autre part peuvent être secondaires à autre chose que la statine prise, et aux effets nocebo, qui représentent la méfiance vis-à-vis des statines, laquelle est induite par des théories aussi fausses l'une que l'autre. L'arrêt de la statine entraînera inévitablement une augmentation du nombre d'événements CV, cela ne fait aucun doute.

Le calcul du risque selon SCORE est insuffisant, fort limité, il ne tient pas compte de certains autres facteurs de risque, certes moins palpables, mais qui ont leur importance sur le plan de l'incidence du risque CV (obésité, troubles psychiques, FA, IRC …). Si on suit uniquement les tables SCORE, on ne traite pas les jeunes patients souffrant d'hypercholestérolémie, se basant sur le risque global donné par les tables SCORE. On attend qu'ils aient un risque CV élevé … mais il est trop tard: leur risque CV 'lifetime' est entamé. Pour nous aider à mieux dépister ces patients jeunes qui ont un risque potentiel de développer une athéromatose, nous devrions justement nous en donner les moyens, en recourant peut-être à un scanner coronaire, à une évaluation de leur score calcique ou à une échographie des carotides, mais cela reste à démontrer.

L'idéal serait de trouver le rapport bénéfices/ risques pour un patient donné, de dépister les patients qui pourraient avoir plus d'effets néfastes que de bénéfices et donc, d'être un peu moins sévères quant aux objectifs à atteindre, tout en ayant la possibilité de les traiter. Le rapport bénéfices/ risques adapté à chaque patient peut conduire à une médecine plus personnalisée, nous amenant à calculer un risque individuel qui prendra en compte la durée d'exposition au risque plutôt qu'un concept de risque global.

3e exposé

Comment agir sur le risque cumulé de l'hypertension et de l'hypercholestérolémie?

Atul PATHAK, Toulouse

Le concept de LIPITENSION comme nouvelle maladie exprime bien le fait que l'HTA et l'hypercholestérolémie sont souvent associées. Un Américain sur quatre souffre d'HTA, et 40 % d'entre eux ont un cholestérol total > 200 mg/dl. Sur les 30 millions d'Américains souffrant d'hypertension et d'hypercholestérolémie, seul un tiers de ces patients est détecté, et un tiers des patients détectés est correctement traité, avec atteinte des objectifs.

La corrélation entre l'HTA et l'hypercholestérolémie s'explique par la physiopathologie. La dyslipidémie athérogène entraîne des troubles vasomoteurs et une dysfonction endothéliale qui fait le lit de l'HTA. Celle-ci augmente la perméabilité aux lipoprotéines de la plaque, via ses effets vasculaires. Enfin, le rôle du système rénine angiotensine aldostérone est également important.

On peut envisager ces deux facteurs de risque par l'approche en SILO, simple, qui consiste à contrôler chacun des facteurs de risque. Malheureusement, notre contrôle des FR est souvent médiocre et nous n'y arrivons pas assez, d'autant plus que les patients se méfient du 'trop - trop bas'.

Pour vaincre ces résistances, il faut préférer une approche individuelle à une approche globale. Pour le patient, le fait de savoir qu'il a un risque de 4 % à 10 ans selon SCORE ne représente pas grand-chose de concret. Il aura difficile à l'objectiver et ne sera donc pas motivé à changer son hygiène de vie, à prendre sa médication. Par contre, si on lui explique que son HTA associée à un taux de cholestérol trop élevé va provoquer un AVC ou un infarctus s'il ne les contrôle pas, ce sera plus parlant. C'est la même chose quand on lui dit conseille d'arrêter de fumer car il s'expose à un risque un de cancer. Il faudrait éduquer le patient à cette notion de risque, vaincre aussi notre inertie thérapeutique en atteignant les objectifs cibles de manière conjointe - et non séquentielle - avec le patient.

Dans cette stratégie globale, 5 actions doivent être menées de front:

  • Gestion des mesures hygiéno-diététiques
  • Lutte contre les nouveaux facteurs de risque associés (dépression - stress au travail - maladies psychiatriques …)
  • HTA: les valeurs tensionnelles 'normales- hautes' sont de 130/80 mmHg. Nous devons agir, et dès 140/90 mmHg! Privilégier d'emblée une bithérapie associant un sartan ou un IEC avec un antagoniste calcique et/ou un diurétique. Ajouter de la spironolactone dans certains cas et des béta-bloquants dans des indications plus précises.
  • Dyslipidémie: qualifier le risque CV du patient, arriver à une appréciation globale de son risque
    • Statine, même si TG élevés
    • Statine + ézétimibe
    • Fibrate: NON
    • Fibrate + statine: NON
    • Oméga-3, peut-être EPA (étude REDUCE-IT)
    • Anti-PCSK9: traitement de choix en cas d'hypercholestérolémie familiale
  • Pour l'HTA et la dyslipidémie: the lower, the sooner, the longer, the better. Ces deux facteurs de risque ne représentent pas un risque additif, mais bien un risque potentialisé.

4e exposé

Exemple du risque cumulé dans l'hypertension: la démence

Olivier HANON, Paris

L'HTA fait 'perdre la tête'. Il existe une association entre une pression artérielle élevée et un déclin cognitif ou une démence. Une HTA non traitée pendant des années va induire une démence vasculaire, on va parler d'AVC ou de 'lacune'. Une HTA non traitée va entraîner une ischémie chronique, une leucoaraïose (MSB - classification de Fazekas), ou lésion de la substance blanche, visualisée sur une IRM. Une classe 3 selon Fazekas multiplie par 4 le risque de démence.

L'HTA va favoriser la maladie d'Alzheimer, car elle augmente le nombre de plaques liées à la maladie d'Alzheimer. Toutes les méta-analyses comparant un traitement antihypertenseur par rapport à un placebo montrent qu'une prise en charge correcte de l'HTA réduit de 20 à 30 % le risque de démence. Cela vaut pour toutes les classes thérapeutiques, excepté les béta-bloquants . L'étude SPRINT qui visait à traiter agressivement l'HTA des patients, a montré une réduction des troubles cognitifs ou de démence dans le groupe traité plus intensivement.

La prévention de la démence d'Alzheimer passe par une formation des professionnels, par la mise à disposition de moyens, via une large diffusion d'outils d'information simples, destinés au grand public.

Cela passe aussi par le suivi des recommandations concernant l'HTA et la promotion d'une prise en charge pluridisciplinaire de proximité.

Les associations médicamenteuses sont toutes possibles, et doivent être individualisées en fonction de chaque type de patient.

Il faut sensibiliser les patients à ce risque de démence, qui est moins abstrait qu'un pourcentage de risque CV ou d'insuffisance cardiaque. Cela permettra d'améliorer leur observance thérapeutique.

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