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Publish or perish: from steady pace to mad rush
  • Olivier Gurné

Ce n'est pas un scoop: nous vivons une période historique avec une épidémie qui laissera des traces dans l'histoire. Nos aïeux disaient qu'ils avaient connu la Grande Guerre … suivie de la grippe espagnole. En 2020, nous vivons le Covid-19 qui sera suivi probablement par une crise socio-économique qui risque de faire davantage de dégâts et dont on risque de se souvenir longtemps. Epidémie signifie si on en croit le dictionnaire l'apparition et la propagation d'une maladie infectieuse contagieuse qui frappe en même temps et en un même endroit un grand nombre de personnes, d'animaux (épizootie) ou de plantes (épiphytie) mais cette définition est peut-être un peu trop restrictive?

La recherche scientifique conventionnelle en médecine se voit traditionnellement dans un contexte de sérénité relative. Si on prend l'exemple d'un médicament, il est testé d'abord chez l'animal, puis on passe sur des personnes saines avant d'essayer sur des petits groupes de patient pour enfin tester l'hypothèse dans une étude randomisée à grande échelle. L'histoire de la thalidomide nous a appris la prudence. Actuellement, il faut donc des années à une molécule pour recevoir la bénédiction: l'arrivée dans les guidelines internationaux. Cela prend même encore plus de temps pour recevoir la consécration suprême: l'utilisation en pratique quotidienne par les médecins, conditionnée en Belgique par l'obtention d'un remboursement et le passage par un système qui nous est propre, le circuit du médecin conseil … Combien de publications dans des revues plus ou moins prestigieuses avant d'en arriver là! En cardiologie, les exemples ces dernières années sont multiples et il suffit de s'en référer à quelques molécules innovatrices récentes: les anticoagulants directs (DOAC) qu'on a appelés longtemps les 'nouveaux' anticoagulants (NOAC) dans la fibrillation auriculaire et autres indications, le sacubitril-valsartan dans l'insuffisance cardiaque - les 'nouveaux' antidiabétiques, comme les agonistes GLP 1 et les inhibiteurs de la SGLT 2. Concernant ces derniers d'ailleurs, on sait non seulement depuis des années qu'ils réduisent de façon considérable les problèmes cardiovasculaires chez les patients diabétiques mais on sait aussi que les inhibiteurs de la SGLT 2 réduisent chez eux l'insuffisance cardiaque d'environ 30 %. Il y a un an, la dapaglifozine dans une étude portant sur 4 744 patients (DAPA-HF) a montré chez des patients avec une fonction ventriculaire gauche altérée, une réduction de 26 % de la mortalité cardiovasculaire et des hospitalisations pour insuffisance cardiaque et cela indépendamment du diabète! EMPEROR avec l'empaglifozine est attendue avec impatience cette année pour voir si une voie impériale s'ouvre pour les glifozines dans le monde de l'insuffisance cardiaque. Prudence et petits pas peut-être, mais les conditions de remboursement en Belgique sont de nouveau très loin des publications plus ou moins récentes pour ces médicaments et d'autres …

Curieusement, ce qui semble être la règle en médecine pour les médicaments n'est pas toujours équivalent dans tous les domaines. L'exemple des stents en angioplastie coronaire est frappant. Depuis 1986, les modèles se sont succédés plus rapidement que les études étaient réalisées. Lorsque les premières études randomisées ont été publiées en 1994, montrant leur supériorité par rapport au ballon, on utilisait déjà assez couramment les stents … de la génération suivante, poussés par l'industrie, basé sur de petites études de faisabilité. Chaque année ou presque, nous disposions d'un nouveau modèle 'juste un peu modifié' et les études randomisées servaient surtout à consacrer cette évolution technologique irréversible. En Belgique, les stents sont aussi passés transitoirement par la case 'médecin conseil' et étaient au départ remboursés si dissection 'au moins de type C'. Nous sommes arrivés à cette époque en quelques semaines, assez mystérieusement, à devenir le seul pays où quasi toutes les dilatations coronaires au ballon se compliquaient 'malheureusement' d'une dissection de type C. Heureusement et devant peut-être l'impossibilité à contrôler l'enthousiasme des cathé-terroristes, l'utilisation des stents est devenue rapidement la règle plutôt que l'exception. Nous sommes passés aussi plus ou moins de la même manière des stents BMS aux stents DES, avalisés par quelques études vites dépassées par la réalité du terrain mais la technologie a galopé pour en arriver à l'époque actuelle, où il faut reconnaitre que nous disposons de modèles performants permettant de traiter avec succès des lésions de plus en plus complexes avec de bons résultats. Cette course vers l'avant semble donc avoir été positive même s'il faut reconnaitre que peu d'études existent prouvant que nous sauvons beaucoup de vies à dilater tout ce qui bouge, mais ceci est une autre histoire qui mériterait un chapitre entier.

Tous les essais médicamenteux ne se sont pas révélés positifs et certaines hypothèses séduisantes au départ ont été infirmées par les études multicentriques randomisées. L'exemple le plus didactique à ce sujet reste probablement la fameuse étude CAST (Cardiac Arrhythmia Suppression Trial), publiée en 1991. Partant du fait que les patients après un infarctus du myocarde présentaient un risque de mort subite pouvant être lié à des arythmies ventriculaires, on avait spéculé à l'époque que la réduction/suppression des extrasystoles ventriculaires par des médicaments efficaces (la fameuse classe Ic) allait sauver des vies. Le syllogisme n'était malheureusement pas parfait car l'étude a dû être stoppée pour un excès de mortalité dans le groupe traité. Cet exemple n'est pas unique dans la littérature médicale et montre bien que la prudence et la rigueur sont nécessaires dans le développement d'un nouveau traitement.

Evidemment, le hasard peut sourire au chercheur qui peut avoir la chance d'avoir une contamination de ses boîtes de Petri par des colonies de moisissure mais la probabilité d'une grande découverte par cette méthode reste hasardeuse. Fleming n'a d'ailleurs pas compris directement l'importance de cet accident survenu en 1928. Ce n'est qu'une dizaine d'années plus tard que la pénicilline est revenue sur le devant de la scène. C'est seulement lors de la Seconde Guerre Mondiale que les premiers essais cliniques ont été réalisés sur des blessés britanniques. Les circonstances tragiques stimulent donc parfois la recherche qui peut aboutir à une application thérapeutique encore utile des années après.

Nous vivons actuellement une épidémie causée par un méchant petit virus qui touche un grand nombre de personnes au point qu'on parle de pandémie. En parallèle à cette maladie, on peut se poser beaucoup de questions tant sur le plan médical pur que sur le plan des conséquences au niveau économique, social, éducatif … Un autre point de réflexion est la multitude des publications qui est au moins aussi exponentielle que le virus. On pourrait peut-être donc parler d'épidémie à ce niveau également avec la connotation de nuisible qui pourrait être sous-jacente! Actuellement, tout le monde ou presque veut publier son petit article et les revues y compris les plus prestigieuses se prêtent au jeu. Des remarques sont régulièrement faites sur la qualité de ces études sur le plan méthodologique, sur l'absence (ou le peu) de contrôle par des experts en la matière, le peer reviewing. Certaines études publiées ont été démenties par la suite. Chacun veut partager sa petite expérience et dans un certain sens cela peut se révéler positif, créant un brainstorming. L'internet facilite la diffusion et tout le monde peut être au courant simultanément. Le concept est que de ce bouillonnement intellectuel jaillisse une étincelle qui par chance, comme Fleming, donne le bon départ. Beaucoup de dangers existent toutefois à surfer sur cette vague: disperser les efforts et les moyens financiers, s'engager dans des voies stériles, susciter des espoirs et/ou des craintes non fondées et les media sont actuellement à l'affut de tout frémissement pour publier eux aussi, cherchant parfois le côté sensationnel. Un simple case report ou la publication d'une petite série peut se révéler ainsi délétère, apportant un faux espoir ou une crainte irrationnelle. A côté de la célèbre expression 'statistiquement significatif', il y a la notion de la puissance d'une étude qui est beaucoup plus complexe à comprendre pour le lecteur lambda. Par exemple, on peut trouver par hasard un résultat significatif sur peu de patients et pas de confirmation quand une étude bien construite portant sur un nombre suffisant de patients est réalisée. Autre exemple à méditer de nos jours: une corrélation ne signifie pas une relation de cause à effet.

La recherche de solution(s) mérite de faire l'objet d'une recherche sérieuse avec une méthodologie rigoureuse. L'exemple de l'hydroxychloroquine est caricatural. Beaucoup de 'petites publications plus ou moins sérieuses' et au bout de l'histoire, des doutes subsistent encore dans l'esprit de certains. Les efforts doivent donc être canalisés par des autorités compétentes sur le plan scientifique. La recherche prend du temps, ce qui est malheureux dans un sens, mais cela permet d'éviter dans la mesure du possible des erreurs qui pourraient se révéler tragiques. C'est la vieille histoire du lièvre et de la tortue qui reste d'actualité.

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