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Fibrillation ventriculaire révélant une non-compaction du ventricule gauche: cas clinique et revue de la littérature
  • Hélène Bellens 
Nous rapportons le cas d'un patient de 63 ans, réanimé avec succès d'un arrêt cardiorespiratoire sur fibrillation ventriculaire, dont le bilan étiologique va conclure à une cardiomyopathie à fonction ventriculaire gauche altérée d'origine non ischémique sur non-compaction du ventricule gauche et séquelle de myocardite. Cet article nous permettra, sur base d'une revue de la littérature, d'en apprendre plus sur cette entité méconnue et rare qu'est la non-compaction du ventricule gauche.

Introduction

La non-compaction du ventricule gauche est une cause rare de cardiomyopathie congénitale résultant de l'arrêt de l'embryogenèse normale du myocarde dont les manifestations cliniques principales sont l'insuffisance cardiaque, les troubles du rythme et les accidents thromboemboliques. Nous rapportons le cas d'un patient, chez qui ce diagnostic est effectué au décours d'un arrêt cardiorespiratoire dû à une fibrillation ventriculaire.

Cas clinique

Il s'agit d'un patient de sexe masculin de 63 ans dont les seuls antécédents notables sont une hypertension artérielle traitée par antagoniste calcique (amlodipine) et deux opérations orthopédiques. Il n'est pas fumeur ni consommateur de boissons alcoolisées ou substances illicites. Il n'a pas d'antécédents familiaux de coronaropathie ou de mort subite.

Mi-décembre 2020, il se présente en salle d'urgences sur conseil de son médecin traitant pour des précordialgies et une dyspnée de grade I à II sur l'échelle NYHA évoluant depuis quelques semaines et la mise en évidence, en consultation, d'un bloc de branche gauche (BBG) à l'électrocardiogramme (ECG). Le bilan y sera rassurant avec, notamment, absence de dénivellation anormale de l'enzymologie cardiaque (CK, CK-MB et troponine I dosées à H0 et H3). Le patient sera donc autorisé à rentrer à domicile avec une consultation prévue trois jours plus tard en cardiologie.

Lors de celle-ci, une échographie transthoracique (ETT) sera réalisée et objectivera une altération modérée de la fonction ventriculaire gauche (VG) avec une fraction d'éjection (FE) estimée visuellement à 35-40 %, une dyskinésie septale franche sur asynchronisme lié au BBG, une dilatation de l'oreillette gauche mais l'absence de valvulopathie significative, dilatation des cavités droites ou signes d'HTAP (hypertension artérielle pulmonaire). Une adaptation de traitement sera effectuée, avec arrêt de l'antagoniste calcique et prescription d'une association d'inhibiteur de l'enzyme de conversion de l'angiotensine (IEC) et de bêtabloquant au vu de l'altération de la fonction VG et d'un certain degré de tachycardie. La présence d'un BBG empêchant le diagnostic de cardiomyopathie ischémique à l'épreuve d'effort, un angioscanner des artères coronaires sera programmé.

Ce dernier, réalisé six jours après la consultation, montre un score calcique à 1 avec absence de lésions coronaires significatives, absence d'épanchement péricardique ou de thrombus intracavitaire.

Finalement, dix jours après sa venue en salle d'urgences, le patient va présenter un arrêt cardiorespiratoire brutal dans l'allée d'un magasin. Les manoeuvres de réanimation de base - à savoir des compressions thoraciques continues - seront débutées immédiatement par un témoin. À l'arrivée du PIT (Paramedical Intervention Team), une fibrillation ventriculaire sera identifiée par le défibrillateur externe automatisé (DEA) et un choc électrique délivré. Celui-ci sera efficace puisque, à l'arrivée de l'équipe médicale du SMUR (Service Mobile d'Urgence et de Réanimation), un pouls central est palpable, une tension artérielle prenable et l'ECG réalisé enregistre un rythme sinusal avec BBG. Le patient sera, ensuite, intubé et transporté vers un centre hospitalier.

À son admission en salle d'urgences, une biologie sanguine et un contrôle d'ECG seront effectués. La première sera peu contributive avec une troponine I dosée à 0,066 ng/mL (pour une normale entre 0 et 0,045) mais des CK et CK-MB normaux, l'absence de syndrôme inflammatoire, trouble ionique ou glucidique et une toxicologie négative. Le second confirmera la persistance du BBG (figure 1) qui, après contact téléphonique avec un cardiologue interventionnel, motivera la réalisation d'une coronarographie. Les artères coronaires apparaitront angiographiquement normales mais, à la ventriculographie, sera visualisée une akinésie inféro-basale et une FEVG estimée à 40-45 % pouvant être compatibles avec une prise de cocaïne ou une séquelle de myocardite.

Le patient sera ensuite pris en charge dans l'unité de soins intensifs où il bénéficiera pendant 24h d'une hypothermie thérapeutique à visée neuroprotectrice. L'évolution ultérieure y sera marquée par la nécessité d'une ventilation mécanique de cinq jours en raison d'une insuffisance respiratoire aiguë hypoxémique sur suspicion d'inhalation (intubation trachéale pré-hospitalière décrite comme difficile) traitée empiriquement par amoxicilline/ clavulanate et un éveil lent et ponctué de nombreuses périodes d'agitation.

Devant la persistance d'un certain degré d'hypoxémie malgré l'antibiothérapie, une ETT sera demandée afin d'exclure une composante de surcharge vasculaire. Celle-ci objectivera une hypokinésie diffuse sévère avec altération très sévère de la fonction globale du VG (FE 20-25 %). Une NCVG sera évoquée devant le caractère particulièrement visible des trabéculations au niveau de la paroi antéro- et inféro-latérale (figure 2). Afin d'affiner l'étiologie de la cardiomyopathie, une RMN cardiaque sera réalisée. Elle objectivera la présence d'une faible compaction antérieure, latérale et inférieure en médian sans critère diagnostique (ratio zone compactée/non compactée entre 1 et 1,5) et une non-compaction en médian, en antérieur, latéral et inférieur et circonférentielle à l'apex avec ratio entre 2 et 2,6 (figure 3). Elle mettra également en évidence une probable séquelle post-myocardique.

Au niveau thérapeutique, le patient bénéficiera de la mise en place d'un défibrillateur automatique implantable en prévention secondaire, triple sonde (avec sonde de resynchronisation) vu le BBG et l'altération de fonction VG. De la spironolactone et des mesures hygiéno- diététiques dont un régime pauvre en sel complèteront le traitement d'insuffisance cardiaque (IC) dont bénéficie déjà le patient (IEC, bêta-bloquant).

Deux mois après l'hospitalisation, une consultation en cardiologie de suivi montrera une évolution favorable, tant d'un point de vue rythmologique avec absence de récidive d'arythmie maligne que cardiologique puisque la fonction VG est améliorée et de l'ordre de 40-45 % que clinique puisque le patient décrit une amélioration de sa dyspnée.

Discussion

La NCVG, aussi appelée myocarde spongieux, est une cardiomyopathie congénitale rare supposée résulter de l'arrêt de l'embryogenèse normale du myocarde entre la 5ème et la 8ème semaine de vie intra-utérine, qui correspond à la 'compaction' des ventricules par accolement des fibres musculaires cardiaques de l'épicarde vers l'endocarde et de la base vers l'apex, entrainant un aspect de double couche myocardique: une épicardique compacte et mince et une endocardique non compactée, constituée de trabéculations proéminentes séparées par des récessus profonds, surtout localisées au niveau de l'apex ou des segments médio-ventriculaires des parois inférieures et latérales du ventricule gauche. Ces trabéculations communiquent avec la cavité ventriculaire gauche, sans connexion avec le réseau coronaire, et sans anomalie morphologique associée. Il en résulte, d'une part, un défaut de contraction conduisant à une dysfonction systolique et, d'autre part, un substrat arythmogène.

Elle est de description récente puisque le premier cas vivant a été observé en 1984,1 la première définition échographique proposée en 1990,2 et la première reconnaissance par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) effectuée en 1996.

Pour l'OMS et la Société Européenne de Cardiologie (ESC), cette cardiomyopathie est considérée comme cardiomyopathie 'non classée' tandis que l'AHA (American Heart Association) l'a incluse en 2006 comme cardiomyopathie génétique.3

La NCVG peut être isolée, ou associée à d'autres malformations congénitales. Les formes familiales ne sont pas rares, bien que la majorité des cas soient sporadiques, et un certain nombre de gènes impliqués ont été identifiés, avec une transmission liée à l'X (syndrome de Barth, gène G4.5 en Xq28), autosomique dominante (mutations de l'alpha-dystrobrévine ou de la protéine FKB12 qui intervient au niveau du récepteur de la ryanodine 2) ou en lien avec une cytopathie mitochondriale.

L'arrêt de la morphogenèse du myocarde décrite ci-dessus ne semble pas être la seule étiologie possible de la NCVG puisque, parmi les cas sporadiques, celle-ci peut être acquise en condition physiologique (athlètes de haut niveau, grossesse)4 ou pathologique (drépanocytose),5 être transitoire ou permanente. En effet, des hypertrabéculations ventriculaires gauches se formeraient en réponse à une augmentation de la pré-charge cardiaque et pourraient disparaitre à la levée de celle-ci. Ceci laisse à penser que la NCVG est plutôt une variante anatomique structurelle du ventricule gauche qu'une maladie en soi et que les critères diagnostiques devraient peut-être être révisés.

La prévalence chez l'adulte n'est pas connue mais semble faible (le chiffre de 0,014 % est avancé)6 tandis que la NCVG représente la troisième cause de cardiomyopathie chez l'enfant après les cardiopathies dilatées et hypertrophiques. Elle touche préférentiellement les hommes (environ deux cas sur trois). La présentation clinique de la NCVG est non spécifique et son spectre est grand; elle peut être asymptômatique et de découverte fortuite à l'ETT. Les principales manifestations sont l'insuffisance cardiaque, les troubles du rythme et les accidents thromboemboliques.

L'insuffisance cardiaque est une des principales causes de décès. La dysfonction systolique du VG semble s'expliquer par une anomalie de la perfusion sous-endocardique, malgré l'absence d'atteinte des artères coronaires, et de la microcirculation et celle de la diastole par un relâchement anormal et donc un remplissage restrictif causé par les nombreuses trabéculations.

Des troubles du rythme et de la conduction sont constatés en cas de NCVG. Les arythmies les plus fréquentes sont la fibrillation auriculaire (FA) et la tachycardie ventriculaire (TV). Les arythmies ventriculaires peuvent être la cause de mort subite.

Concernant les accidents thromboemboliques, ce sont la dysfonction ventriculaire gauche et la présence de FA qui sont les principaux facteurs de risque puisque l'incidence de ceux-ci ne semble pas être supérieure en cas de NCVG par rapport aux autres cardiomyopathies. Dans la NCVG, les thrombi se forment au sein des récessus intertrabéculaires.

Le diagnostic repose sur l'imagerie et les examens de choix sont l'ETT et la RMN cardiaque. Le diagnostic échographique se base sur les critères de Jenni de 2001 qui sont au nombre de quatre:

  • absence de maladie du myocarde associée;
  • structure en bicouche avec rapport zone non compactée/zone compactée > 2 en systole;
  • lésions prédominantes à l'apex et à la portion médio-ventriculaire des parois inférieure et latérale;
  • communication des récessus avec la cavité ventriculaire gauche (visible en doppler couleur).7

Le diagnostic par RMN repose sur les critères de Petersen: relation entre couche non compacte et compacte > 2,3 en fin de diastole ou de Jacquier: masse trabéculée du VG > 20 % de la masse totale du VG en fin de diastole.

La prise en charge de la NCVG est celle de l'insuffisance cardiaque (IEC, bêtabloquant, diurétique), des troubles du rythme et l'anticoagulation afin de prévenir les événements thromboemboliques.

Le recours systématique à cette dernière est débattu et elle est donc surtout envisagée en cas de dysfonction VG sévère, de FA et en présence de thrombi intracavitaires. La mise en place d'un pacemaker- défibrillateur implantable peut être proposée en prévention primaire et secondaire. Il semblerait, également, que le recours à une thérapie de resynchronisation cardiaque améliore la classe fonctionnelle NYHA en cas de NCVG chez les patients avec FEVG sévèrement altérée et des signes d'asynchronisme cardiaque.8 En cas d'arythmies ventriculaires itératives, une procédure d'ablation peut être envisagée. Tout comme le recours à une transplantation cardiaque en cas d'atteinte sévère chez le sujet jeune.

Le pronostic vital va dépendre d'un diagnostic et d'une prise en charge précoces. Étant donné le caractère familial de cette pathologie, un screening devrait être proposé aux parents du premier degré.

Tout l'intérêt du cas clinique présenté ici réside dans le fait qu'il illustre parfaitement tous les points cités ci-dessus, tant au niveau de sa présentation clinique que de son diagnostic iconographique ou de son traitement.

Conclusion

L'histoire clinique de ce patient de 63 ans réanimé avec succès d'un arrêt cardiaque extrahospitalier sur fibrillation ventriculaire amène à revoir la littérature scientifique concernant cette cause rare et méconnue de cardiomyopathie qu'est la non-compaction du ventricule gauche dont les manifestations cliniques sont peu spécifiques mais potentiellement graves, voire mortelles. Son diagnostic repose sur la description d'anomalies structurelles de la paroi ventriculaire gauche à l'échographie ou à la résonnance magnétique cardiaques. Son traitement est symptômatique et repose sur la prise en charge de l'insuffisance cardiaque, des troubles du rythme et des événements thromboemboliques.

Celle-ci devrait être recherchée lors de toute mise au point cardiologique puisque le pronostic vital va dépendre de la précocité du diagnostic et de la prise en charge. Au vu de son caractère familial, un screening par ETT doit être proposé aux parents du premier degré. En cas de diagnostic avéré, la recherche de trouble du rythme et/ou conductif doit être systématique et, le cas échéant, l'implantation préventive d'un défibrillateur automatique proposée.

Références

  1. Engberding, R., Bender, F. Identification of a rare congenital anomaly of the myocardium by two-dimensional echocardiography: persistence of isolated myocardial sinusoids. Am J Cardiol, 1984, 53, 1733-1734.
  2. Chin, T.K., Perloff, J.K., Williams, R.G., Jue, K., Mohrmann, R. Isolated non-compaction of left ventricular myocardium. A study of eight cases. Circulation, 1990, 82 (2), 507-513.
  3. Maron, B.J., Towbin, J., Thiene G., et al. Contempory definitions and classification of the cardiomyopathies: an American Heart Association Scientific Statement from the Council on Clinical Cardiology, Heart Failure and Transplantation Committee; Quality of Care and Outcomes Research and Functional Genomics and Translational Biology Interdisciplinary Working Groups; and Council on Epidemiology and Prevention. Circulation, 2006, 113, 1807-1816.
  4. Gati, S., Chandra, N., Bennett, R.L., et al. Increased left ventricular trabeculation in highly trained athletes: do we need more stringent criteria for the diagnosis of left ventricular non-compaction in athletes? Heart, 2013, 99, 401-408.
  5. Gati, S., Papadakis, M., Van Niekerk, N., et al. Increased left ventricular trabeculation in individuals with sickle cell anemia:physiology or pathology? Int J Cardiol, 2013, 168, 1658-1660.
  6. Oechslin, E.N., Attenhofer Jost, C.H., Rojas, J.R., et al. Long-term follow-up of 34 adults with isolated left ventricular noncompaction: a distinct cardiomyopathy with poor prognosis. J Am Coll Cardiol, 2000, 36, 493-500.
  7. Jenni, R., Oechslin, E., Schneider, J., et al. Echocardiographic and pathoanatomical characteristics of isolated left ventricular non-compaction: a step towards classification as a distinct cardiomyopathy. Heart, 2001, 86, 666-671.
  8. Kobza, R., Steffel, J., Erne, P. et al. Implantable cardioverter-defibrillator and cardiac resynchronization therapy in patients with left ventricular non-compaction. Heart Rhythm, 2010, 7, 1545-1549.

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