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Les NOAC, pierre angulaire du traitement antithrombotique en cas de diabète
  • Christiaan Vrints

Le diabète est compliqué par une morbi-mortalité cardiovasculaire fortement accrue. En plus d'être un facteur de risque cardiovasculaire général, le diabète est également associé à un risque accru de fibrillation auriculaire : les diabétiques sont presque deux fois plus susceptibles de développer tôt ou tard une fibrillation auriculaire (figure 1)1. Le stress oxydatif accru et l'inflammation induite par des glycémies élevées et très fluctuantes entraînent un remodelage structurel, électrique et électromécanique et une importante dysfonction de l'innervation autonome des oreillettes, favorisant l'apparition d'une fibrillation auriculaire1. étant donné que les diabétiques présentent souvent plusieurs autres facteurs de risque, ils ont également un risque plus élevé de complications thromboemboliques de la fibrillation auriculaire, par rapport aux non diabétiques2. En raison d'une dysfonction endothéliale vasculaire et cardiaque, le diabète est associé à un état prothrombotique marqué, avec une réactivité plaquettaire accrue, une coagulation sanguine plus puissante (taux sanguins et activité plus élevés des facteurs de coagulation) et une fibrinolyse affaiblie. L'état prothrombotique est surtout majoré chez les patients souffrant de diabète de longue date, traités par insuline3. Le diabète est donc à juste titre un facteur important dans le calcul du score CHA2DS2-VASc.

Une méta-analyse des quatre grandes études randomisées de phase III qui ont comparé des anticoagulants oraux non antagonistes de la vitamine K (NOAC) par rapport à la warfarine sur le plan de la prévention des complications thromboemboliques de la fibrillation auriculaire4-7 a montré un bénéfice clair d'un traitement par NOAC : une diminution de 19 % du critère d'évaluation combiné constitué des AVC ou des embolies systémiques, et une diminution de 14 % de l'incidence d'hémorragies majeures8. Comparativement aux non-diabétiques, les diabétiques souffrant de fibrillation auriculaire présentent un risque accru d'hémorragies majeures lorsqu'ils sont traités par anticoagulants, en plus d'un risque accru de complications thromboemboliques et d'une mortalité plus élevée (figure 2)9. La mortalité plus élevée est surtout d'origine vasculaire, et les hémorragies sont le plus souvent gastro-intestinales. Le nombre d'hémorragies intracrâniennes n'est pas augmenté chez les diabétiques, peut-être parce que la microangiopathie diabétique rend les vaisseaux cérébraux moins susceptibles de se rompre. Par rapport à la warfarine, un traitement par NOAC donne une même réduction relative et absolue des complications thromboemboliques et des AVC ischémiques chez les patients diabétiques et non diabétiques. Il n'y a également pas de différence sur le plan de la diminution des hémorragies intracrâniennes. La diminution des hémorragies majeures en cas de traitement par NOAC est plus faible que chez les non diabétiques, peut-être parce que les diabétiques sont plus susceptibles de présenter des hémorragies.

L'effet bénéfique d'un traitement par NOAC dans la prévention des hémorragies majeures est peut-être lié au degré de contrôle de l'anticoagulation par warfarine. Dans l'étude ENGAGE AF, où le contrôle du traitement par warfarine était plus strict, un traitement par edoxaban était associé à une diminution significative du nombre d'hémorragies majeures7. Dans l'étude ROCKET AF, où les patients traités par warfarine étaient moins longtemps sous anticoagulation optimale (TTR : temps moyen passé en zone thérapeutique), l'incidence des hémorragies majeures n'était pas différente chez les patients traités par warfarine ou rivaroxaban6.

Une récente sous-analyse de l'étude ENGAGE AF10 confirme qu'en plus d'une mortalité cardiovasculaire accrue, les diabétiques ont un risque accru d'hémorragies majeures (HR 1,28 [1,14-1,44]) comparativement aux non diabétiques traités par warfarine. Un traitement par une dose élevée d'edoxaban (60 mg par jour) était aussi efficace que la warfarine pour prévenir les AVC et les embolies systémiques, mais il a réduit le nombre d'hémorragies majeures et de décès cardiaques de manière identique chez les diabétiques et les non diabétiques, par rapport à la warfarine (figure 4).

Une récente étude real-world réalisée à Naples, en Italie, confirme les résultats de la sous-analyse de l'étude ENGAGE AF. Sur la base du score de propension avec des groupes égaux de diabétiques, un traitement par edoxaban - comparativement aux antagonistes de la vitamine K - a entraîné une diminution importante des complications thromboemboliques, des hémorragies cérébrales, mais aussi des hémorragies majeures11. Cependant, l'étude était trop petite pour avoir une signification statistique. Un traitement concomitant par antiagrégants plaquettaires était le seul facteur de risque significatif pour les hémorragies majeures dans cette étude. Le traitement par insuline et les taux élevés d'HbA1c étaient des facteurs prédictifs significatifs de complications thromboemboliques. La diminution des critères d'évaluation cliniques chez les patients traités par edoxaban était significativement plus importante que celle observée dans les grandes études cliniques. Ceci pourrait s'expliquer par le fait que le traitement par antagonistes de la vitamine K est moins optimal en pratique réelle que dans les grandes études cliniques. Des taux d'anticoagulation trop faibles et trop élevés, plus fréquents, entraînent vraisemblablement d'une part une prévention insuffisante des complications thromboemboliques et, d'autre part, des hémorragies majeures plus fréquentes.

Dans la méta-analyse des quatre grandes études randomisées, il est frappant de constater que le nombre de décès vasculaires chez les diabétiques traités par NOAC est significativement inférieur (-17 %) à celui observé chez les patients traités par warfarine9. Ceci indique que les NOAC ont une indication plus large dans la prévention des complications cardiovasculaires du diabète. Ils ont non seulement une place dans la prévention des complications thromboemboliques de la fibrillation auriculaire, mais aussi dans la prévention des complications athérothrombotiques du diabète en général, comme l'a récemment démontré une sous-analyse de l'étude COMPASS12. Par rapport à l'acide acétylsalicylique à faible dose, un traitement combinant du rivaroxaban 2,5 mg deux fois par jour et de l'acide acétylsalicylique a entraîné une diminution relative comparable des complications cardiaques, cérébrovasculaires et vasculaires périphériques chez les patients souffrant ou non de diabète. Cependant, comme le risque basal des diabétiques est 2 à 3 fois plus élevé, le bénéfice absolu de ce traitement était beaucoup plus important (figure 5). Les NOAC sont véritablement la pierre angulaire du traitement antithrombotique en cas de diabète, avec et sans fibrillation auriculaire.

Références
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  2. Klem, I., Wehinger, C., Schneider, B. et al. Diabetic atrial fibrillation patients: mortality and risk for stroke or embolism during a 10-year follow-up. Diabetes Metab Res Rev, 2003, 19 (4), 320-328.
  3. Varughese, G.I., Patel, J.V., Tomson, J. et al. The prothrombotic risk of diabetes mellitus in atrial fibrillation and heart failure, J Thromb Haemost, 2005, 3 (12), 2811-2813.
  4. Connolly, S.J. Ezekowitz, M.D., Yusuf, S., et al. Dabigatran versus Warfarin in Patients with Atrial Fibrillation. N Engl J Med, 2009, 361 (12), 1139-1151.
  5. Granger, C.B., Alexander, J.H. McMurray, J.J.V., et al. Apixaban versus Warfarin in Patients with Atrial Fibrillation, N Engl J Med, 2011, 365 (11), 981-992.
  6. Patel, M.R., Mahaffey, K.W., Garg, J. et al. Rivaroxaban versus Warfarin in Nonvalvular Atrial Fibrillation. N Engl J Med, 2011, 365 (10), 883-891.
  7. Giugliano, R.P., Ruff, C.T., Braunwald, E. et al. Edoxaban versus Warfarin in Patients with Atrial Fibrillation. N Engl J Med, 2013, 369 (22), 2093-2104.
  8. Ruff, C.T., Giugliano, R.P., Braunwald, E. et al. Comparison of the efficacy and safety of new oral anticoagulants with warfarin in patients with atrial fibrillation: a metaanalysis of random-ised trials. The Lancet, 2014, 383 (9921), 955-962.
  9. Patti, G., Di Gioia, G., Cavallari, I. et al. Safety and efficacy of nonvitamin K antagonist oral anticoagulants versus warfarin in diabetic patients with atrial fibrillation: A study-level meta-analysis of phase III randomized trials. Diabetes Metab Res Rev, 2017, 33 (3), e2876.
  10. Plitt, A., Ruff, C.T., Goudev, A. et al. Efficacy and safety of edoxaban in patients with diabe-tes mellitus in the ENGAGE AF-TIMI 48 trial. Int J Cardiol, 2020, 304, 185-191.
  11. Russo, V., Attena, E., Rago, A. et al. Clinical Outcome of Edoxaban vs. Vitamin K Antagonists in Patients with Atrial Fibrillation and Diabetes Mellitus: Results from a Multicenter, Propensi-ty-Matched, Real-World Cohort Study. J Clin Med, 2020, 9 (6).
  12. Bhatt, D.L., Eikelboom, J.W., Connolly, S.J. et al. Role of Combination Antiplatelet and Anti-coagulation Therapy in Diabetes Mellitus and Cardiovascular Disease. Circulation, 2020, 141 (23), 1841-1854.

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