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Est-il encore judicieux de subdiviser l'insuffisance cardiaque en différentes sous-classes selon la fraction d'éjection ?
  • Christiaan Vrints

Lorsque vous lirez ces lignes, l'été sera derrière nous… un été très capricieux, avec de fortes pluies orageuses dévastatrices, surtout dans le sud du pays, le long de la Vesdre. La fin de l'été, lorsque tout le monde est encore en vacances ou vient juste de défaire ses valises, coïncide toujours avec le congrès annuel de la Société européenne de Cardiologie (ESC), qui est devenu la réunion cardiologique la plus importante au monde en termes de nombre de participants. C'est toujours le moment où on guette les nouveaux concepts basés sur les résultats des grandes études cliniques présentées lors du congrès, ou les nouvelles recommandations de la Société européenne de Cardiologie. Le numéro de novembre du Journal de Cardiologie sera largement consacré à ce congrès. Les résultats de l'étude clinique EMPEROR-Preserved et les nouvelles recommandations de l'ESC au sujet du traitement de l'insuffisance cardiaque, présentées lors du congrès, m'ont incité à réfléchir à la classification de l'insuffisance cardiaque sur la base de la fraction d'éjection ventriculaire gauche (FEVG).

Dans l'étude clinique EMPEROR-Preserved, un traitement par empagliflozine a entraîné une diminution de 27 % du nombre d'hospitalisations chez les patients souffrant d'insuffisance cardiaque, ayant une FEVG > 40 %, et ce, comparativement au placebo1. Durant le suivi, on a en outre constaté que les patients traités par empagliflozine avaient 20 à 50 % de chances de voir leur classe fonctionnelle s'améliorer. Par ailleurs, on a observé une diminution de 24 % du risque de devoir augmenter la posologie des diurétiques2. Dès lors, les résultats de cette étude offrent pour la première fois une perspective de traitement médical efficace de l'insuffisance cardiaque à fraction d'éjection préservée. Dans une analyse post-hoc des résultats groupés des études EMPEROR-Reduced3 et EMPEROR-Preserved, on a observé - à l'exception du sous-groupe présentant une fraction d'éjection ≥ 65 % - une diminution de 30 % du nombre d'hospitalisations pour insuffisance cardiaque, dans une large fourchette de fractions d'éjection (figure 1). L'empagliflozine semble donc constituer un traitement efficace de l'insuffisance cardiaque, et ce, que la fraction d'éjection soit réduite ou préservée. Une relation parallèle entre le risque de nouvelle hospitalisation pour insuffisance cardiaque et les sous-groupes de FEVG avait déjà été observée précédemment dans l'étude PARAGON-HF et dans les résultats groupés des études PARADIGM-HF et PARAGON-HF4. Cependant, l'effet sur la prévention d'une hospitalisation pour insuffisance cardiaque est plus important en cas de traitement par empagliflozine, comparativement au traitement par sacubitril/valsartan5.

L'effet équivalent du traitement par empagliflozine dans divers sous-groupes soulève des questions sur la classification de l'insuffisance cardiaque basée sur la FEVG. Les nouvelles recommandations au sujet du traitement et du diagnostic de l'insuffisance cardiaque, qui ont été publiées le même jour que la présentation des résultats de l'étude EMPEROR-Preserved, s'appuient assez largement sur cette classification et utilisent une FEVG de 50 % comme limite inférieure pour la définition de l'insuffisance cardiaque à fraction d'éjection préservée6.

La classification de l'insuffisance cardiaque sur la base d'une FEVG < 40 % s'est révélée utile pour la réalisation de grandes études cliniques visant à évaluer l'efficacité des médicaments pour le traitement de l'insuffisance cardiaque, mais on peut se demander si une subdivision supplémentaire des patients souffrant d'insuffisance cardiaque, ayant une fraction d'éjection > 40 %, est cliniquement judicieuse. Certains médicaments qui sont efficaces chez les patients souffrant d'insuffisance cardiaque avec une fraction d'éjection < 40 % ont un certain effet chez les patients présentant une fraction d'éjection légèrement réduite (de 40 à 49 %), mais ce groupe de patients est hétérogène en termes d'étiologie, d'activation neurohumorale et de réponse au traitement7. En outre, la précision de la détermination de la fraction d'éjection constitue un problème en pratique clinique quotidienne. L'échocardiographie bidimensionnelle, qui est habituellement utilisée à cette fin, présente une grande variabilité inter- et intra-observateur, et elle ne permet pas de mesurer la fraction d'éjection au pour cent près. De plus, la fraction d'éjection n'est pas une mesure fiable de la contractilité myocardique, qui dépend de la pré- et de la postcharge, lesquelles peuvent varier en fonction de l'état hémodynamique (e. a. hypertension), d'anomalies valvulaires structurelles, de modifications du volume sanguin circulant et du retour veineux. La définition universelle de l'insuffisance cardiaque récemment proposée, où l'insuffisance cardiaque n'est pas corrélée de manière univoque avec la fraction d'éjection, et qui classe l'insuffisance cardiaque selon différents stades cliniques, est dès lors beaucoup plus correcte8.

De même, l'insuffisance cardiaque n'est pas un diagnostic 'final', mais un ensemble complexe de symptômes et de signes cliniques qui s'expriment en raison de mécanismes physiopathologiques d'étiologies diverses et d'adaptations neurohumorales, hormonales et inflammatoires y associées. Puisque les études cliniques EMPEROR indiquent que le traitement médicamenteux de l'insuffisance cardiaque par empagliflozine est efficace dans tous les déciles de FEVG, il est préférable d'abandonner la subdivision de l'insuffisance cardiaque en différentes sous-classes de fraction d'éjection et d'utiliser l'échocardiographie principalement pour établir un diagnostic étiologique.

Références

  1. Anker, S.D., Butler, J., Filippatos, G., Ferreira, J.P., Bocchi, E., Böhm, M. et al. Empagliflozin in Heart Failure with a Preserved Ejection Fraction. N Engl J Med, 2021.
  2. Packer, M., Butler, J., Zannad, F., Filippatos, G., Ferreira, J.P., Pocock, S.J. et al. Effect of Empagliflozin on Worsening Heart Failure Events in Patients with Heart Failure and a Preserved Ejection Fraction: The EMPEROR-Preserved Trial. Circulation, 2021.
  3. Packer, M., Anker, S.D., Butler, J., Filippatos, G., Ferreira, J.P., Pocock, S.J. et al. Empagliflozin in Patients With Heart Failure, Reduced Ejection Fraction, and Volume Overload. J Am Coll Cardiol, 2021, 77 (11), 1381-1392.
  4. Solomon, S.D., Vaduganathan, M., Claggett, B.L., Packer, M., Zile, M., Swedberg, K. et al. Sacubitril/Valsartan Across the Spectrum of Ejection Fraction in Heart Failure. Circulation, 2020, 141 (5), 352-361.
  5. Packer, M., Zannad, F., Anker, S.D. Heart Failure and a Preserved Ejection Fraction: A Side-by-Side Examination of the PARAGON-HF and EMPEROR-Preserved Trials. Circulation, 2021.
  6. McDonagh, T.A. et al. 2021 ESC Guidelines for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure: Developed by the Task Force for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure of the European Society of Cardiology (ESC) With the special contribution of the Heart Failure Association (HFA) of the ESC. Eur Heart J, 2021.
  7. Bozkurt, B., Ezekowitz, J. Substance and Substrate. Circulation, 2020, 141 (5), 362-366.
  8. Bozkurt, B., Coats, A.J., Tsutsui, H., Adbelhamid, M., Adampoulos, S., Albert, N. et al. Universal definition and classification of heart failure: a report of the Heart Failure Society of America, Heart Failure Association of the European Society of Cardiology, Japanese Heart Failure Society and Writing Committee of the Universal Definition of Heart Failure. Eur J Heart Fail, 2021, 23 (3), 352-380.

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