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Hotline ESC: APAF-CRT
  • Maxime Tijskens 

Présentation

C'est à l'occasion de l'une des sessions Hotline du congrès de l'ESC que Michele Brignole (Lavagna, Italie) a présenté les résultats tant attendus de l'étude APAFCRT. Dans le même temps, ces résultats étaient publiés dans le European Heart Journal.1 Cette étude a comparé une stratégie de type « pace and ablate » (stimulation et ablation) par TRC à un contrôle pharmacologique strict de la fréquence cardiaque chez des patients avec fibrillation auriculaire permanente et insuffisance cardiaque avancée.

Chez les patients atteints de fibrillation auriculaire et d'insuffisance cardiaque, la vitesse et l'irrégularité du rythme cardiaque contribuent toutes deux aux symptômes, et possiblement aussi au pronostic.2 Une ablation de la jonction atrio-ventriculaire (JAV) ralentit le rythme cardiaque et le régularise, ce qui a un effet positif sur la symptomatologie et sur la qualité de vie. Autrefois, on implantait généralement un stimulateur VVI pour compenser le bloc AV du troisième degré permanent. Mais une stimulation permanente au niveau du ventricule droit peut conduire à une dyssynchronie ventriculaire, annulant les effets positifs de cette stratégie « pace and ablate ».3 Cette stimulation « non physiologique » dans le ventricule droit peut être contrée par l'utilisation d'une thérapie de resynchronisation cardiaque (TRC) par stimulation biventriculaire.4

APAF-CRT est une étude européenne multicentrique, prospective, randomisée, conduite parmi des patients avec fibrillation auriculaire fortement symptomatique et QRS fin, qui s'est déroulée en deux phases. Les résultats de la phase d'évaluation de la morbidité avaient déjà été présentés par le passé: l'application d'une ablation de la JAV après implantation d'un dispositif de TRC réduisait le nombre d'hospitalisations pour insuffisance cardiaque et améliorait les symptômes d'insuffisance cardiaque par rapport à une stratégie de contrôle pharmacologique de la fréquence cardiaque dans une population de patients âgés avec fibrillation auriculaire permanente et QRS fin après 2 années de suivi.5 Le présent article se penche sur les résultats de la phase d'évaluation de la mortalité.

La phase d'évaluation de la mortalité de l'étude a été menée dans 11 centres européens sur la période courant d'octobre 2014 à décembre 2020. Les patients ont été suivis pendant 4 ans au maximum. Les critères d'inclusion se composaient comme suit : patients avec fibrillation auriculaire permanente (> 6 mois) gravement symptomatique, considérés comme non éligibles à l'ablation classique de la fibrillation auriculaire (isolation des veines pulmonaires [IVP]) ou chez qui l'IVP avait échoué, présentant un complexe QRS fin (≤ 110 ms) et hospitalisés au moins à une reprise pour insuffisance cardiaque au cours de l'année écoulée.

Les patients ont été randomisés selon un rapport 1:1 vers une ablation de la JAV avec TRC (bras interventionnel ou ablation + TRC) ou vers un contrôle pharmacologique optimal de la fréquence cardiaque (bras témoin ou médication). Dans ce dernier groupe, la valeur cible pour la fréquence cardiaque au repos était fixée à < 110 bpm. Dans les deux bras de l'étude, un DAI pouvait être implanté s'il était indiqué conformément aux recommandations actuelles. Le critère d'évaluation principal était la mortalité toutes causes confondues. Le critère d'évaluation secondaire était un critère d'évaluation composite formé de la mortalité toutes causes confondues ou de l'hospitalisation pour insuffisance cardiaque. Les critères d'évaluation ont été analysés selon le principe ITT (intention de traiter).

Au total, 140 patients ont été randomisés (figure 1). En fin de compte, 133 de ces patients ont été inclus pour analyse : 63 patients dans le bras ablation + TRC et 70 patients dans le bras médication. Les patients des deux groupes présentaient des caractéristiques comparables : la moitié environ était de sexe masculin, l'âge moyen était de 73 ans et les symptômes étaient de classe ≥ III de la NYHA chez environ 2/3 des patients. La fraction d'éjection ventriculaire gauche moyenne s'élevait à 41 % et un peu moins de la moitié des patients avait une fraction d'éjection ventriculaire gauche ≤ 35 %. Le pourcentage des patients avec insuffisance cardiaque à fraction d'éjection ventriculaire gauche préservée (ICFEp) ou avec insuffisance cardiaque à fraction d'éjection ventriculaire gauche moyennement réduite (ICFEmr) n'était pas mentionné. Environ 1/10 des patients des deux bras de l'étude avaient subi une ablation par IVP par le passé.

Après une période d'optimisation, le rythme cardiaque médian était de 70 bpm (IQR : 70 - 75) dans le bras ablation + TRC et de 82 bpm (IQR : 65 - 90) dans le bras médication (p = 0,003). La proportion de patients traités par digoxine était comparable entre les deux bras de l'étude avant la période d'optimisation, mais supérieure dans le bras médication après la période d'optimisation (32 % vs 60 % ; p < 0,001).

Il est convient toutefois de souligner que 18 patients ont été permutés au départ du bras médication (26 %). Parmi ces patients, 16 ont été hospitalisés pour insuffisance cardiaque et ont ensuite pu subir malgré tout une ablation de la JAV et une implantation de dispositif de TRC selon le protocole de l'étude. Les 2 autres patients ont subi une ablation de la JAV et une TRC sur avis du médecin traitant. Selon le principe ITT, ces patients ont été analysés dans le bras médication.

Le suivi médian a duré 29 mois. Le critère d'évaluation principal (mortalité toutes causes confondues) a été atteint chez 7 patients (11 %) du bras ablation + TRC et chez 20 patients (29 %) du bras médication (HR : 0,26 ; IC à 95 % : 0,10 - 0,65 ; p = 0,004). Le risque estimé de décès était respectivement de 5 % vs 21 % après 2 ans et de 14 % vs 41 % après 4 ans. Ces chiffres correspondent aux impressionnants résultats suivants : réduction du risque relatif de 74 %, réduction du risque absolu de 27 % et NNT de 3,7 (figure 2). Une différence significative a également été relevée au niveau du critère d'évaluation secondaire (mortalité toutes causes confondues ou hospitalisation pour insuffisance cardiaque) : 18 patients (29 %) du bras ablation + TRC et 36 patients (51 %) du bras médication (HR : 0,40 ; IC à 95 % : 0,22 - 0,73 ; p = 0,002) ont atteint le critère d'évaluation secondaire au cours du suivi.

Les résultats relatifs au critère d'évaluation principal (mortalité toutes causes confondues) étaient en outre comparables chez les patients avec fraction d'éjection ventriculaire gauche ≤ 35 % (HR : 0,34 ; IC à 95 % : 0,06 - 1,92 ; p = 0,22) et > 35 % (HR : 0,27 ; IC à 95 % : 0,08 - 0,84 ; p = 0,024). Pour le reste, l'analyse post-hoc a montré un même effet du traitement dans les différents sous-groupes sur la base de l'âge, du sexe, de l'IMC, de la fréquence cardiaque, du score sur l'échelle des symptômes spécifiques (SSS), de l'atteinte coronarienne et de la classe NYHA.

Michele Brignole a clôturé sa présentation sur les conclusions suivantes : une stratégie de contrôle de la fréquence cardiaque par TRC et ablation de la JAV réduit la mortalité chez les patients avec fibrillation auriculaire permanente et QRS fin par rapport à une stratégie de contrôle pharmacologique strict. Ce bénéfice a été observé tant chez des patients avec une fraction d'éjection ventriculaire gauche ≤ 35 % que chez des patients avec une fraction d'éjection ventriculaire gauche > 35 %. Cela s'explique vraisemblablement par la combinaison du contrôle strict de la fréquence cardiaque et de la régularisation du rythme cardiaque par ablation de la JAV et stimulation biventriculaire, laquelle inhibe les effets négatifs de la stimulation du ventricule droit. Les résultats de l'étude APAF-CRT avancent cette stratégie au rang de traitement de première intention pour les patients avec fibrillation auriculaire permanente et complexe QRS fin ayant déjà été hospitalisés pour insuffisance cardiaque.

Discussion

L'étude a reçu un accueil très positif lors de sa discussion par le panel de l'ESC. Michael Glikson (Jérusalem, Israël) a souligné que l'étude APAF-CRT démontre pour la première fois un bénéfice de survie pour une stratégie de stimulation (par TRC) et d'ablation (par ablation de la JAV) dans cette population de patients en comparaison avec une stratégie de contrôle pharmacologique strict de la fréquence cardiaque, et ce grâce à un suivi plus long que dans les études antérieures. Cette stratégie était déjà utilisée dans divers centres, mais cette étude offre aujourd'hui un argument solide pour justifier cette approche

Les résultats positifs de l'étude APAF-CRT se sont avérés indépendants de la fraction d'éjection ventriculaire gauche initiale. Les auteurs de l'étude n'ayant toutefois pas mentionné le nombre de patients avec ICFEp ou ICFEmr, on ne sait pas clairement si ces résultats concernent également cette population de patients. La question est pertinente puisque, lors de l'élaboration des recommandations flambant neuves en matière de stimulation, aucun consensus clair n'a été atteint sur l'existence d'une fraction d'éjection ventriculaire gauche limite au-delà de laquelle une TRC n'était pas requise après une ablation de la JAV. D'une part, les recommandations préconisent la TRC en traitement de premier choix chez les patients avec une indication d'ablation de la JAV et une faible fraction d'éjection ventriculaire gauche. D'autre part, la stimulation au niveau du ventricule droit s'est vu attribuer une recommandation supérieure à la TRC (classe IIa vs classe IIb) chez les patients avec une indication d'ablation de la JAV et une fraction d'éjection ventriculaire gauche préservée.6 Des recherches complémentaires s'imposent dès lors dans la population de patients ICFEp. On note par ailleurs une attention croissante portée à la stimulation du tissu de conduction (« conduction tissue pacing »). Une étude APAF-CTP semble donc se profiler à l'avenir comme une belle étude complémentaire.

Références

  1. Brignole, M., Pentimalli, F., Palmisano, P., Landolina, M., Quartieri, F., Occhetta, E. et al. AV junction ablation and cardiac resynchronization for patients with permanent atrial fibrillation and narrow QRS: the APAF-CRT mortality trial. Eur Heart J, 2021.
  2. Maisel, W.H., Stevenson, L.W. Atrial fibrillation in heart failure: epidemiology, pathophysiology, and rationale for therapy. Am J Cardiol, 2003, 91 (6A), 2D-8D.
  3. Vernooy, K., Dijkman, B., Cheriex, E.C., Prinzen, F.W., Crijns, H.J. Ventricular remodeling during long-term right ventricular pacing following His bundle ablation. Am J Cardiol, 2006, 97 (8), 1223-1227.
  4. Brignole, M., Botto, G., Mont, L., Iacopino, S., De Marchi, G., Oddone, D. et al. Cardiac resynchronization therapy in patients undergoing atrioventricular junction ablation for permanent atrial fibrillation: a randomized trial. Eur Heart J, 2011, 32 (19), 2420-2429.
  5. Brignole, M., Pokushalov, E., Pentimalli, F., Palmisano, P., Chieffo, E., Occhetta, E. et al. A randomized controlled trial of atrioventricular junction ablation and cardiac resynchronization therapy in patients with permanent atrial fibrillation and narrow QRS. Eur Heart J, 2018, 39 (45), 3999-4008.
  6. Glikson, M., Nielsen, J.C., Kronborg, M.B., Michowitz, Y., Auricchio, A., Barbash, I.M. et al. 2021 ESC Guidelines on cardiac pacing and cardiac resynchronization therapy. Eur Heart J, 2021, 42 (35), 3427-520.

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