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Que d'eau !
  • Olivier Gurné

La congestion, ou la rétention excessive d'eau, est un problème majeur pour de nombreux patients atteints d'insuffisance cardiaque. C'est une cause fréquente d'hospitalisation, qui représente presque 90 % des hospitalisations pour insuffisance cardiaque et est donc responsable non seulement d'une morbidité et d'une mortalité importantes, mais aussi d'un coût considérable. Les hospitalisations comptent pour environ 2/3 du coût lié à l'insuffisance cardiaque, ce qui représente bien plus que les médicaments et les honoraires médicaux ! En outre, il faut souligner que chaque hospitalisation accélère l'évolution de la maladie, ayant un effet délétère sur les fonctions cardiaque et rénale.

Quand on a un risque d'inondation, il faut agir en amont … Chez les patients présentant une insuffisance cardiaque chronique, un traitement optimal avec les quatre piliers diminue de façon drastique le risque d'hospitalisation. Cet effet se marque rapidement, d'où l'importance donnée à ces indications dans les dernières directives de 2021, où l'on recommande non plus une approche séquentielle (qui prend des mois), mais une titration plus rapide et combinée de ces quatre médications. Quand on regarde les dernières molécules, comme les ARNI (sacubitril/valsartan) et les inhibiteurs du SGLT2, on constate que, même chez des patients stables, l'effet bénéfique - et en particulier le risque d'hospitalisation pour insuffisance cardiaque - s'observe dès les premiers mois. Pourquoi « tolérer » de continuer à subir la contrainte du passage par la case « accord du médecin-conseil » pour des médications de première nécessité, situation en outre particulière à la Belgique ? Ce problème de traitement optimal se voit non seulement dans l'HFrEF, mais également dans l'HFpEF, comme l'ont montré deux récentes études, EMPEROR-Reduced et DELIVER (figure 1). Rappelons que, en Belgique, les inhibiteurs du SGLT2 ne sont toujours pas remboursés dans cette dernière indication, malgré ces deux études randomisées hautement significatives.

Dans le cadre de la prévention des hospitalisations, on doit ajouter le suivi régulier de ces patients chroniques que sont les patients avec une insuffisance cardiaque, même si, au risque de se répéter, on pourrait dire qu'il n'existe pas de trajet de soins reconnu en Belgique, comme pour le diabète ou l'insuffisance rénale. Cela doit se faire directement avec l'aide des patients, qui doivent également apprendre à se prendre en charge, le patient devenant un acteur de sa propre santé. C'est l'un des rôles majeurs de l'éducation des patients, qui devrait être une tâche fondamentale de tous les acteurs de la santé, avec un accent particulier pour les infirmiers et infirmières spécialisés en insuffisance cardiaque. Depuis plusieurs années, il existe, dans le nord et le sud du pays, une formation universitaire pour cette spécialisation … mais qui n'est toujours pas reconnue par nos autorités de santé, et donc pas valorisée en Belgique. Dans le suivi de ces patients avec insuffisance cardiaque, une simple balance est dès lors un élément clé, non coûteux et donc très rentable. Il faut toutefois leur apprendre comment se peser, et quand appeler à l'aide si la courbe pondérale décroche. Il existe des systèmes plus sophistiqués, comme la mesure de l'impédance thoracique via un pacemaker (système OptiVol), ou même l'implantation de systèmes permettant la mesure des pressions pulmonaires (CardioMEMS), mais cela nécessite l'implémentation d'un système beaucoup plus lourd, avec un suivi par télémonitoring. La mise en oeuvre d'un tel système pose à l'heure actuelle plus de questions qu'elle n'apporte de réponses. Avant ces techniques sophistiquées, n'oublions pas les choses les plus simples, comme l'hygiène de vie, avec un régime adéquat sur le plan du sel et de l'apport hydrique.

En cas d'insuffisance cardiaque aiguë, cela déborde et il faut éliminer l'accumulation qui s'est produite. Dans ces cas de figure, les diurétiques deviennent incontournables. Sur le plan clinique, n'oublions pas qu'il existe, pour schématiser la situation, deux grands tableaux. Le premier correspond davantage à une redistribution du liquide sans grosse accumulation, qui explique la congestion pulmonaire (vascular failure puffers), souvent dans un contexte d'hypertension artérielle. Les diurétiques doivent alors être maniés avec doigté, et la correction de facteurs favorisants, au moyen p.ex. d'hypotenseurs, va débloquer rapidement la situation. Celle-ci est souvent plus complexe dans le second tableau clinique, c.-à-d. chez les patients qui ont accumulé des litres, avec une prise de poids de plusieurs kilos (cardiac failure bloaters). Le traitement sera souvent plus long et plus difficile, avec parfois des problèmes d'interaction entre le coeur et le rein (le fameux « syndrome cardio-rénal »).

En termes de prise en charge de ces patients, la situation a progressé, avec l'apparition de directives plus précises pour doser ce traitement diurétique de façon plus scientifique, en spécifiant la dose initiale en fonction de la dose prise par le patient, et surtout, en se basant sur la réponse pour doser p.ex. le sodium urinaire (la mesure du débit urinaire étant plus difficile, surtout chez des patients âgés en dehors du contexte des soins intensifs), comme le montre l'algorithme de la figure 2. L'intérêt d'évaluer le sodium urinaire sur un spot deux à trois heures après la dose de furosémide IV est de pouvoir agir rapidement si celle-ci n'est pas efficace, avec l'espoir de raccourcir la durée du séjour en évitant de chercher empiriquement la dose optimale. L'adjonction d'un thiazidique en cas de résistance pouvait faire partie de cette démarche en cas de réponse insuffisante.

Récemment, deux grandes études ont permis une nouvelle poussée dans le traitement diurétique des patients. Présentée lors du dernier congrès de l'ESC en 2022 et publiée dans la foulée dans le NEJM, ADVOR est certainement une avancée dans le domaine. Cette étude belge a montré que l'utilisation d'acétazolamide, un diurétique agissant donc plus proximalement dans le tubule rénal (500 mg IV par jour), en combinaison avec le schéma classique, permettait une décongestion plus rapide des patients après trois jours, basée sur un score clinique (figure 3), ce qui aidait à raccourcir la durée du séjour à l'hôpital. Dans cette étude, les inhibiteurs du SGLT2 n'étaient pas utilisés. Il est également important de noter, pour notre pratique quotidienne, que 43 % des patients avaient une fraction d'éjection inférieure à 40 %. Dès lors, les résultats s'appliquent aussi aux patients avec une fraction d'éjection plus préservée, qui représentent 57 % de la population étudiée.

Tout récemment publiée, en 2023, dans le European Heart Journal, EMPULSE apporte une pierre complémentaire à l'édifice. Cette étude, qui porte également sur un peu plus de 500 patients hospitalisés pour insuffisance cardiaque aiguë, a montré que l'introduction précoce d'un inhibiteur du SGLT2, à savoir l'empagliflozine à la dose classique de 10 mg PO, diminuait les marqueurs de congestion, tels que le poids, l'hémoconcentration (basée sur la mesure de l'hématocrite), le NT-proBNP et un score clinique de congestion à 15, 30 et 90 jours, comme le montre la figure 4. Cela signifie que non seulement les inhibiteurs du SGLT2 ont leur place dans l'insuffisance cardiaque chronique, mais il existe également un intérêt à les introduire précocement. Dans cette étude, 1/3 des patients avaient une fraction d'éjection supérieure à 40 %.

Des progrès substantiels ont donc été récemment réalisés dans la prise en charge de la congestion chez des patients en insuffisance cardiaque. Ce point est très important dans la prise en charge des patients hospitalisés, car selon le registre de l'ESC, on sait que 31 % des patients hospitalisés quittent l'hôpital avec des signes de congestion encore présents, et que ces patients ont un risque plus élevé de ré-hospitalisation et de mortalité.

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