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Complication rarissime d'une ablation de fibrillation atriale : nécrose oesophagienne aiguë sur sonde d'échographie transoesophagienne
  • Elena Lopez-Francos , Damien Badot, Caroline Lepiece , Antoine de Meester

Contexte

L'ablation de fibrillation atriale (FA) est une technique invasive qui, à l'heure actuelle, implique peu de complications grâce à l'évolution des cathéters, du système de navigation et de la procédure en elle-même. Dans le cas présent, nous décrivons une complication non pas liée à la procédure d'ablation même, mais à la sonde d'échographie transoesophagienne (ETO) per-procédurale : une « oesophagite nécrosante aiguë » (ONA) ou « oesophage noir ».

Résumé

Nous rapportons le cas d'une patiente de 69 ans présentant une FA persistante depuis plusieurs mois. De l'anesthésie générale à l'ablation, en passant par l'ETO, tout s'est déroulé sans particularité. Peu après la procédure, la patiente a présenté d'importantes douleurs thoraciques. Le diagnostic de nécrose aiguë de l'oesophage a rapidement été posé, grâce à un scanner thoraco-abdominal. La patiente a dû être transférée en soins intensifs puis dans un centre pratiquant la chirurgie oesophagienne, dans le cas où une perforation aurait lieu. In fine, une simple surveillance ainsi qu'une alimentation parentérale de quelques jours ont été le traitement de choix. Actuellement, la patiente a réintégré son domicile après 21 jours d'hospitalisation et ne garde aucune séquelle oesophagienne.

Conclusion

Les complications dues aux actes ayant lieu avant et après la procédure d'ablation de FA, ou dues à tout examen lié à celle-ci, devraient être envisagées. Bien que rarissimes, les complications de l'ETO peuvent être graves et mortelles. Il est dès lors bon de les connaître et d'y penser au moment voulu.

Points d'intérêt

L'ETO est un examen à visée diagnostique qui, habituellement, ne cause que très rarement des complications. Cependant, il convient de rester attentif et de garder à l'esprit qu'aucun acte médical ne doit être banalisé.

Nous connaissons les contre-indications d'un examen d'ETO : tumeur ou lésion oesophagienne (diverticule, sténose), irradiation médiastinale, tumeur ORL, instabilité hémodynamique ou respiratoire, patient agité ou non coopérant, fracture cervicale instable, patient non à jeun de 4 h. Il est toutefois aussi important d'en connaître les risques de complication. De ce fait, notamment en cas de précordialgie ou d'hématémèse, l'examen de choix à réaliser est le scanner. Si l'on suspecte une fistule ou une ONA, la réalisation d'une endoscopie digestive haute pourrait être néfaste, car elle pourrait aggraver le pronostic du patient, comme dans notre cas.

Chronologie

26.10.2021 : procédure d'ablation

  • Ablation de fibrillation atriale : ETO réalisée en salle d'électrophysiologie afin d'exclure un thrombus ; examen banal, pas de thrombus visualisé ; sonde d'ETO ôtée rapidement après ponction transseptale ;
  • Durée de l'examen : 60 minutes

26.10.2021 : post procédure, unité de cardiologie après être remontée de la salle de réveil

  • Apparition de douleurs thoraciques se majorant progressivement ;
  • Pas d'anomalie de l'hémodynamique cardiaque ;
  • Réalisation rapide d'un bilan : ECG normal et échographie cardiaque transthoracique normale.

27.10.2021 : diagnostic d'ONA ou « oesophage noir »

  • Douleurs thoraciques insupportables et hématémèse ;
  • Réalisation d'un scanner thoraco-abdominal, qui objective une nécrose de l'oesophage.

27.10.2021 : prise en charge initiale

  • Transfert en soins intensifs dans notre hôpital.

27.10.2021 : transfert vers un autre centre

  • Transfert dans un autre centre, expert en chirurgie digestive oesophagienne.

27.10.2021 - 30.10.2021 : surveillance aiguë en soins intensifs

  • Surveillance en soins intensifs, alimentation parentérale ;
  • Temporisation pour une intervention chirurgicale.

30.10.2021 - 15.11.2021 : prise en charge de la complication

  • Hospitalisation dans le service de chirurgie digestive ;
  • 3.11.2021 : gastroscopie confirmant la nécrose oesophagienne ;
  • 15.11.2021 : contrôle par scanner abdominal montrant une évolution favorable.

15.11.2021 : sortie

  • Fin de l'hospitalisation et retour au domicile ;
  • Alimentation orale classique.

Cas clinique

Nous rapportons le cas d'une patiente de 69 ans présentant une FA persistante symptomatique venant par épisodes depuis plusieurs mois. La patiente a subi une ablation de l'isthme cavo-tricuspide pour flutter atrial droit typique 12 ans plus tôt. Elle ne présente pas de facteur de risque cardiovasculaire.

Une ETO est systématiquement réalisée dans notre service, pour exclure un thrombus dans l'auricule gauche et guider sans risque la ponction transseptale.

Notre patiente a donc bénéficié d'une ETO sous sédation avant la procédure, en salle technique de cardiologie. La sonde a été remise en place plus tard, au moment de la ponction transseptale (sous anesthésie générale). Les procédures, d'une durée de cinq minutes, n'ont pas été compliquées ; la sonde d'ETO est passée sans difficulté puis a été retirée une fois l'examen terminé. Notons la présence d'un filet de sang en retirant la sonde lors du deuxième examen, élément initialement banalisé. Cela pouvait être un simple petit traumatisme au moment de l'insertion du tube lors de l'intubation, ou une petite lésion sans gravité due à la sonde d'ETO.

La procédure d'ablation par radiofréquence a alors commencé. Elle a consisté en une isolation classique des quatre veines pulmonaires ; l'examen a duré 60 minutes. Les paramètres de tir ont été respectés, 30-40 watts en power control. Après l'examen, la patiente a été suivie en salle de réveil par le personnel infirmier et l'anesthésiste de garde, puis elle est remontée en cardiologie après une surveillance de 30 minutes. à nouveau, rien n'a été signalé lors de son arrivée dans notre service.

Quelques heures après la procédure, la patiente a commencé à décrire d'importantes douleurs thoraciques voire épigastriques, évaluées à 9/10. Elle a également rapporté l'apparition de crachats sanguinolents, initialement mis sur le compte de l'intubation traumatique. Une biologie, un ECG et une échographie ont été réalisés afin d'exclure une tamponnade. L'ECG était normal, l'échographie mettait en évidence un péricarde sec, et la biologie montrait une augmentation de la troponine, non significative étant donné la procédure réalisée.

Pendant la soirée, le médecin de garde a été contacté, car les douleurs étaient insupportables et la tension artérielle de la patiente diminuait. Elle a rapidement été stabilisée au niveau tensionnel, mais sans amélioration des douleurs, malgré l'administration d'un anti-inflammatoire et d'un inhibiteur de la pompe à protons (IPP). étant donné la persistance des douleurs et des crachats hémoptoïques, un scanner abdominal injecté a été réalisé. Ce dernier n'a pas montré de fistule, mais bien la présence d'un épaississement diffus très important de l'oesophage, s'étendant à la jonction oesogastrique sans rehaussement et suggérant une nécrose étendue.

à la suite de ce diagnostic, la patiente a immédiatement été prise en charge en soins intensifs puis transférée dans un centre expert en chirurgie digestive oesophagienne, dans le cas où un geste chirurgical serait nécessaire. La situation s'est finalement améliorée peu de temps après. En effet, une surveillance hémodynamique ainsi qu'une alimentation parentérale durant quelques jours ont été suffisantes. Aucune intervention chirurgicale n'a dû être effectuée. Une première gastroscopie a été réalisée après quelques jours, au vu de la stabilité clinique de la patiente. Cet examen a permis de confirmer le diagnostic de nécrose du bas oesophage. Un scanner de contrôle, deux semaines après le premier, a mis en évidence une évolution favorable de la situation et un début de cicatrisation de la zone nécrotique. La patiente n'a finalement gardé aucune séquelle et a pu reprendre une alimentation orale classique. Elle a pu retourner à son domicile près de 21 jours après sa procédure d'ablation.

Un mois après sa sortie, une gastroscopie de contrôle nous a indiqué que la situation continuait à évoluer positivement. La clinique était en corrélation avec les examens effectués.

Quant à nos investigations pour comprendre les raisons de cette complication, elles se sont malheureusement montrées non concluantes. Nous n'avons jamais trouvé d'élément nous permettant d'expliquer un tel effet indésirable.

Discussion

L'ablation est indiquée pour les patients souffrant de FA persistante symptomatique malgré un traitement anti arythmique, comme dans le cas susmentionné. Cette procédure améliore les symptômes et la qualité de vie de nombreux patients.1 Les complications sont rares, mais comportent des possibilités de tamponnade, de fistule oesophagienne, de sténose des veines pulmonaires, d'accident vasculaire cérébral, d'atteinte des nerfs phrénique et vague, et exceptionnellement, de décès.

Les complications liées à un geste tel que l'ETO sont rarissimes. Parmi celles-ci, nous retiendrons la perforation digestive 0,02 à 0,03 %, survenant en général chez les patients présentant au préalable des maladies de l'oesophage, avec décès dans moins de 0,01 % des cas.2

La nécrose oesophagienne aiguë est une pathologie extrêmement rare, avec une prévalence estimée à 0,2 % dans les séries d'autopsies. Sa survenue a été décrite dans le cadre d'une défaillance d'organes, d'une hypoperfusion, d'une pathologie vasculaire, d'une septicémie, d'une acidocétose diabétique, d'une intoxication alcoolique sévère, d'un volvulus gastrique, d'une section traumatique de l'aorte thoracique, de phénomènes thromboemboliques, ou encore d'une malignité.3

Dans des séries d'endoscopies, la prévalence de l'ONA varie de 0,01 à 0,28 % des cas.4 L'incidence de l'ONA semble être plus de quatre fois supérieure chez les hommes, et l'âge moyen des patients au moment du diagnostic est de 68 ans.5 L'ONA survient chez des patients présentant un mauvais état nutritionnel et de multiples comorbidités.

L'étiologie reste peu claire. Il semblerait que l'événement initial soit lié à une diminution du flux vasculaire, ce qui prédisposerait ensuite la muqueuse oesophagienne à une lésion topique grave par reflux acide et sécrétion de pepsine. Le plus souvent, c'est le tiers distal de l'oesophage, déjà plus faiblement vascularisé, qui est touché.6 Dans le cas de notre patiente, celle-ci ne présentait aucun élément la prédisposant à ce type de complication. La présentation clinique est souvent une hémorragie digestive, telle que l'hématémèse ou le méléna, retrouvée chez 70 % des patients.7

Généralement, le pronostic de cette pathologie est sombre. Une surveillance accrue en soins intensifs et une alimentation parentérale sont recommandées, étant donné le risque lié au passage de la sonde naso-gastrique.5 On estime qu'environ 60 % des patients récupèrent avec un traitement purement conservateur. Cependant, notons que des sténoses de l'oesophage peuvent apparaître chez un patient sur quatre.8

Conclusion

L'ablation de FA persistante est une procédure dont les complications sont rares. L'ETO, effectuée de manière constante à la fois avant la procédure pour exclure un thrombus, mais également pendant la procédure pour effectuer une ponction transseptale sans risque, est un examen habituellement sans conséquence.

L'oesophage noir ou oesophagite nécrosante aiguë est une complication rarissime, qui n'a d'ailleurs presque jamais été décrite dans ce contexte d'ETO. Notre patiente a pu bénéficier d'un traitement purement conservateur, évitant ainsi de subir une chirurgie lourde qui aurait probablement entraîné des conséquences bien plus délétères. Enfin, il importe surtout de retenir, bien que cela n'ait pas été le cas ici, que, en cas de douleurs épigastriques importantes après une ablation de FA, le scanner thoraco-abdominal injecté reste le premier choix, avant d'envisager une endoscopie digestive haute.

Références

  1. Blomstrom-Lundqvist, C., Gizurarson, S., Schwieler, J., Jensen, S.M., Bergfeldt, L., Kenneback, G. et al. Effect of catheter ablation vs antiarrhythmic medication on quality of life in patients with atrial fibrillation: the CAPTAF randomized clinical trial. JAMA, 2019, 321, 1059-1068.
  2. Khanderhia, B.K., Seward, J.B., Tajis, A.J. Transesophageal Echocardiography, Mayo Clin Proc, 1994, 69 (9), 856-863.
  3. Gurvits, G.E. Black esophagus: Acute esophageal necrosis syndrome. World J Gastroenterol, 2010, 16 (26), 3219-3225.
  4. Conrad, L., Pinheiro, M., Mais, L. OEsophagite nécrosante aiguë : une complication rare. Acute oesophageal necrosis: A rare complication. Rev Med Interne, 2022, 43 (8), 506-508.
  5. Gurvits, G.E. Black esophagus: acute esophageal necrosis syndrome. World J Gastroenterol, 2010, 16 (26), 3219-3225.
  6. Conrad, L., Pinheiro, M., Mais, L. OEsophagite nécrosante aiguë : une complication rare. Acute oesophageal necrosis: A rare complication. Rev Med Interne, 2022, 43 (8), 506-508.
  7. Gurvits, G.E. Black esophagus: acute esophageal necrosis syndrome. World J Gastroenterol, 2010, 16 (26), 3219-3225.
  8. Haviv, Y.S., Reinus, C., Zimmerman, J. "Black esophagus": a rare complication of shock. Am J Gastroenterol, 1996, 91 (11), 2432-2434.
  9. Gurvits, G., Shapsis, A., Lau, N. Gualtieri, N., Robilotti, J.G. et al. Acute esophageal necrosis: a rare syndrome. J Gastroenterol, 2007, 42 (1), 29-38.
  10. Siddiqi, A., Chaudhary, F.S., Naqvi, H.A., Salah, N., Farooqi, R., Yousaf, M.N. Black esophagus: a syndrome of acute esophageal necrosis associated with active alcohol drinking, BMJ Open Gastroenterol, 2020, 7 (1), e000466.

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