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Etude STRONG-HF : implications potentielles pour le nébivolol
  • Philippe Van de Borne

Le nombre de patients en insuffisance cardiaque est en augmentation

Une étude, parue dans la prestigieuse revue The Lancet en 20181, met en lumière l'incidence de l'insuffisance cardiaque (IC) dans une population de quatre millions d'individus. Le diagnostic d'IC, s'appuyant sur les codes de la Classification internationale des maladies (CIM), témoigne de l'évolution de l'incidence entre 2002 et 2014. Il est indéniable que l'incidence de l'IC commence à s'élever à partir de l'âge de 40-45 ans, atteignant son apogée entre 75 et 84 ans. Par comparaison à 2002, l'incidence normalisée pour le nombre de personnes en 2014 a diminué, signe que nos efforts thérapeutiques portent leurs fruits et que moins de nouveaux patients deviennent IC. Toutefois, les données absolues dans les différentes tranches d'âge confirment le rôle prépondérant de l'âge dans l'apparition de l'IC, et il est intéressant de noter que, au sein de la tranche d'âge allant de 85 à 90 ans, le nombre de cas d'IC s'accroît.

à cette étude, nous pouvons attribuer des aspects positifs et négatifs. Le point positif, lorsque l'on corrige les données pour l'âge et le sexe, est une diminution de 7 % de l'incidence de l'IC entre 2002 et 2014. Le point négatif, toutefois, est une augmentation de 12 % du nombre total de nouveaux cas (en valeur absolue) et, par conséquent, du nombre de patients à traiter. Cette augmentation est le fruit d'une population en croissance et de plus en plus âgée.

Pour définir l'IC, une distinction doit être faite entre l'IC à fonction réduite, celle à fonction légèrement réduite et celle à fonction préservée.2 Le premier critère qui s'impose est la présence de symptômes et de signes concordant avec l'IC, quelle que soit la variante. Le second critère, déterminant le diagnostic, se rapporte à la fraction d'éjection ventriculaire gauche. L'IC à fraction d'éjection réduite se caractérise par une fraction d'éjection ventriculaire gauche inférieure à 40 %. Une fraction d'éjection ventriculaire gauche comprise entre 41 et 49 % conduit au diagnostic d'une IC à fonction modérément altérée. Enfin, lorsque la fraction d'éjection ventriculaire gauche atteint ou dépasse 50 %, on parle d'une IC à fonction préservée, à condition que cela soit corroboré par des critères objectifs démontrant des anomalies cardiaques structurelles ou fonctionnelles, compatibles avec une élévation de la pression ventriculaire gauche diastolique. Ces critères peuvent englober l'augmentation des peptides natriurétiques, la dilatation de l'oreillette gauche, ou encore des signes échographiques témoignant d'une augmentation des pressions de remplissage.

L'incidence de l'IC à fonction réduite et à fonction préservée change

Comparons l'évolution de l'IC abaissée (fraction d'éjection < à 50 % dans cette étude) vs préservée (cad fraction d'éjection > 50 %), entre deux périodes : 1990-1999 et 2000-2009.3 Ces données sont issues de la Framingham Heart Study (Framingham Heart American Health Study). Au cours de la première décennie (années 1990), chez les sujets masculins, l'incidence de l'IC à fonction abaissée est bien plus importante que celle de la fonction préservée. Durant cette même décennie 1990, l'incidence de deux formes d'IC est relativement comparable chez les femmes. Il y a ensuite une modification majeure en ce qui concerne les sujets masculins durant les années 2000 : l'IC à fonction réduite régresse, alors que l'IC à fonction préservée devient plus prévalente. Les mêmes tendances sont observées chez les sujets féminins durant les années 2000, mais dans une proportion beaucoup plus modeste.

La nature de l'IC est donc en train de changer, avec une balance de plus en plus en faveur de l'IC à fonction préservée, au détriment de l'IC à fonction réduite.

Efficacité des bêtabloquants dans le traitement de l'IC à fraction d'éjection réduite

Une méta-analyse, publiée dans le BMJ en 2013, explore l'impact des bêtabloquants sur la mortalité toutes causes confondues, chez les patients atteints d'IC à fraction d'éjection réduite. Les données de plus de 20 000 patients issus de 21 essais cliniques randomisés ont été incluses. Le résultat de cette méta-analyse est édifiant. Les bêtabloquants réduisent la mortalité toutes causes confondues de 31 %.4 Cette réduction substantielle de la mortalité signifie que les bêtabloquants jouent un rôle crucial dans la prise en charge de l'IC à fraction d'éjection réduite.

Il est néanmoins nécessaire de rappeler que les posologies recommandées dans ces essais cliniques étaient souvent bien plus élevées que celles qui sont utilisées en pratique clinique courante.5 Ceci amène à la question suivante : est-il réaliste, dans la « vraie vie », d'atteindre des doses aussi élevées ?

Posologie des bêtabloquants dans le traitement de l'IC à fraction d'éjection réduite

Les bêtabloquants font partie des traitements de première ligne, aux côtés des inhibiteurs du système rénine-angiotensine/ néprilysine (IEC ou ARA/sacubitril), des inhibiteurs du SGLT2 et des antagonistes des récepteurs de l'aldostérone, pour le traitement des patients souffrant d'IC à fonction réduite.2 L'introduction de bêtabloquants chez un patient atteint d'IC à fonction réduite, stable et de gravité légère à modérée, relève de la responsabilité de tous les médecins. En revanche, dans les cas de gravité très élevée, l'adjonction de bêtabloquants est davantage du ressort d'un spécialiste. Il est aussi important de connaître les contre-indications des bêtabloquants, qui sont bien établies2 : l'asthme (à ne pas confondre avec la bronchite chronique, qui n'est pas aggravée par la prise de bêtabloquants) ; la présence d'un bloc auriculo-ventriculaire de deuxième ou de troisième degré, sauf si le patient est porteur d'un stimulateur cardiaque ; une grande prudence est par ailleurs de mise en cas de troubles de la conduction, d'une fréquence cardiaque au repos inférieure à 60 bpm, ainsi que de signes persistants de congestion, d'hypotension et de réduction de la pression systémique, et de signes de surcharge volémique, tels qu'une augmentation de la pression veineuse jugulaire, de l'ascite et des oedèmes périphériques. Dans de telles situations, l'administration de bêtabloquants n'est pas appropriée.2 Il convient d'abord de traiter la surcharge volémique et de ramener le patient à un état d'euvolémie. Une fois cet état atteint, le traitement par bêtabloquants pourra être envisagé. Lors de l'instauration d'un tel traitement, il est impératif de surveiller attentivement les interactions médicamenteuses. Un patient déjà traité par vérapamil, diltiazem, digoxine ou amiodarone avant le début du traitement par bêtabloquants est susceptible de présenter des complications. Il est donc préférable d'éviter l'association de bêtabloquants avec ces médicaments, car elle pourrait entraîner des intoxications potentielles. Le choix du lieu de début du traitement par bêtabloquants dépend de la stabilité du patient, de l'absence de surcharge volémique et de l'absence de détérioration récente de ses symptômes.2 Si le patient est hospitalisé en raison d'une aggravation de son IC, le traitement par bêtabloquants peut être initié après stabilisation, résolution de la congestion et retour à l'euvolémie, idéalement peu avant que le patient ne retourne à domicile. Dans ces conditions, une faible dose de bêtabloquants peut être instaurée. Cette dose peut être doublée après un intervalle d'au moins deux semaines, bien que certains patients puissent nécessiter une augmentation plus lente des doses. L'objectif est d'atteindre la dose cible et, si cela n'est pas possible, d'atteindre la dose maximale tolérée. En règle générale, il est recommandé de privilégier un traitement par bêtabloquants, même à dose modérée, plutôt que de s'en abstenir. Il est conseillé de surveiller régulièrement la fréquence cardiaque, la pression artérielle et l'état clinique du patient, en particulier les signes et les symptômes évoquant une congestion, tout en suivant régulièrement son poids. L'augmentation des doses de bêtabloquants peut également être facilitée par l'intervention de personnel infirmier spécialisé dans ce domaine, qui peut assister le patient, lui fournir des informations, assurer un suivi, voire augmenter la dose de bêtabloquants lors de consultations en personne ou virtuelles, selon les circonstances.2 Rappelons enfin qu'il est primordial de ne négliger aucune des quatre classes thérapeutiques mentionnées précédemment.6

Place du nébivolol dans les recommandations de 2021 de la Société européenne de cardiologie (ESC)

L'ESC cite SENIORS, une étude portant sur les effets du nébivolol sur le pronostic et les réhospitalisations chez les patients souffrant d'IC.7 Cette étude se distingue particulièrement en raison de sa durée de suivi, prolongée par rapport à d'autres études sur l'IC. Alors que les études Copernicus, CIBIS II et MERIT ont présenté des suivis médians allant de 0,9 à 1,3 an, l'étude SENIORS a été menée sur une période médiane de 1,8 an, renforçant ainsi sa crédibilité.2 Elle se démarque également par la remarquable tolérance du nébivolol, en particulier par rapport aux études antérieures. La dose moyenne de nébivolol administrée était de 7,7 mg7, ce qui est proche de la dose maximale recommandée de 10 mg par jour.2 80 % des patients maintenaient notamment une dose supérieure ou égale à 5 mg, et 68 % recevaient une dose de 10 mg par jour, ce qui témoigne de la grande tolérance du médicament.7 Une analyse comparative des pourcentages de patients atteignant la dose cible dans diverses études d'IC est également instructive. Le nébivolol, à une dose de 10 mg une fois par jour, montre une excellente tolérance, avec 68 % des patients atteignant la dose cible.7 Ceci peut être partiellement attribué à une incidence moindre de bradycardie avec le nébivolol. Une analyse de sous-groupes de l'étude SENIORS, portant sur les patients âgés de moins de 75 ans et présentant une fraction d'éjection ventriculaire gauche inférieure à 35 %, a été réalisée.7 Les résultats montrent que, lorsqu'ils reçoivent du nébivolol, ces patients connaissent une évolution similaire à celle de patients investigués dans des études plus anciennes qui investiguaient des patients plus jeunes avec fraction d'éjection ventriculaire gauche altérée (CIBIS II, MERIT-HF, COPERNICUS). Cela se traduit par une réduction significative du critère de jugement primaire et une réduction de la mortalité totale, confirmant ainsi l'efficacité du nébivolol dans l'IC à fonction altérée. En outre, le nébivolol montre son efficacité dans la prévention des événements ischémiques chez les patients âgés atteints d'IC secondaire à une pathologie coronarienne.8 La courbe de Kaplan-Meier présente un pourcentage réduit de décès subits en présence d'une pathologie ischémique, soulignant ainsi la capacité du nébivolol à prévenir ces événements graves.

Les recommandations les plus récentes de la ESC reconnaissent pleinement l'importance du nébivolol dans le traitement de l'IC à fraction d'éjection ventriculaire gauche réduite.2 Il est classé comme un traitement fondamental aux côtés d'autres bêtabloquants et traitements, tels que les inhibiteurs de l'enzyme de conversion, les antagonistes de la néprilysine, les anti-aldostérone et les inhibiteurs du SGLT2. De plus, le nébivolol est également mentionné comme un indicateur de qualité des soins pour les patients atteints d'IC, ce qui souligne la confiance placée en cette molécule dans le traitement de cette maladie.2

Une caractéristique distinctive du nébivolol réside dans son intérêt potentiel pour le traitement de l'IC modérément altérée (fraction d'éjection de 41 à 49 %). Cette particularité découle de l'inclusion de patients présentant une fraction d'éjection supérieure à 35 % dans l'étude SENIORS.2 Par conséquent, le nébivolol trouve sa place dans le traitement de l'IC modérément altérée, à la différence des autres bêtabloquants. Cependant, concernant l'IC à fraction d'éjection préservée (fraction d'éjection > 50 %), les recommandations soulignent que l'étude SENIORS, bien que montrant des avantages du nébivolol, comprenait seulement 15 % de patients présentant cette condition. Par conséquent, les preuves dont on dispose actuellement ne sont pas encore suffisantes pour recommander formellement l'utilisation du nébivolol chez cette catégorie de patients.2

Mise à jour 2023 des lignes directrices de pratique clinique de l'ESC

Depuis la publication des lignes directrices 2021 de l'ESC pour le diagnostic et le traitement de l'IC aiguë et chronique, plusieurs essais contrôlés randomisés ont été réalisés.6 L'étude STRONG-HF a ainsi récemment montré la sécurité et l'efficacité d'une approche basée sur l'initiation et l'ajustement du traitement médical oral de l'IC et sur le titrage du traitement médical oral de l'IC dans les deux jours précédant la sortie anticipée de l'hôpital, et lors des visites de suivi effectuées peu après cette sortie.9 Dans le cadre de cet essai, 1 078 patients hospitalisés pour une IC aiguë ont été assignés au hasard, avant leur sortie, aux soins habituels ou aux soins de haute intensité. Ces patients ne recevaient pas encore de doses de thérapie d'IC basées sur des preuves et étaient hémodynamiquement stables, avec des concentrations élevées de NT-proBNP et une diminution supérieure à 10 % de la concentration entre le dépistage et la randomisation. Les patients assignés à des soins intensifs ont bénéficié d'une intensification précoce et rapide du traitement oral de l'IC, avec un IEC ou un ARA/sacubitril, des bêtabloquants et la spironolactone. Ces patients étaient plus susceptibles de recevoir des doses complètes de thérapie orale que ceux du groupe de soins habituels (inhibiteurs du système rénine-angiotensine : 55 % vs 2 % ; bêtabloquants : 49 % vs 4 % ; et ARM : 84 % vs 46 %). Le critère d'évaluation principal, à savoir la réadmission pour IC ou un décès toutes causes confondues à 180 jours, est survenu chez 15 % des patients du groupe de soins intensifs et chez 23 % des patients du groupe de soins habituels (p = 0,0021). Les réadmissions pour IC ont été réduites (p = 0,0011).9 Cet essai n'a pas spécifiquement investigué le nébivolol, mais a le mérite de montrer qu'il est possible d'administrer un traitement comportant trois des quatre principales classes thérapeutiques dans l'IC (les patients ne recevaient pas encore d'iSGLT2 lorsque cette étude a été initiée), avec près d'un patient sur deux recevant les doses recommandées, et que ceci apporte des bénéfices cliniques substantiels dans l'IC. Cette étude renforce dès lors l'intérêt probable du nébivolol dans cette indication, du fait de sa bonne tolérance.

En conclusion, le nébivolol est une option thérapeutique fondée sur des preuves solides, applicable aux patients atteints d'IC à fonction ventriculaire gauche réduite. Il est également envisageable dans le traitement de l'IC modérément altérée. Cependant, il n'y a actuellement pas suffisamment de preuves pour recommander son utilisation dans l'IC à fraction d'éjection préservée.

Références

  1. Conrad, N., Judge, A., Tran, J., Mohseni, H., Hedgecotte, D., Perez Crespillo, A. et al. Temporal trends and patterns in heart failure incidence : a population-based study of 4 million individuals. The Lancet, 2018, 391 (10120), 572-580.
  2. McDonagh, T.A., Metra, M., Adamo, M., Gardner, R.S., Baumbach, A., Böhm, M. et al. 2021 ESC Guidelines for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure. Eur Heart J, 2021, 42 (36), 3599-3726.
  3. Tsao, C.W., Lyass, A., Enserro, D., Larson, M.G., Ho, J.E., Kizer, J.R. et al. Temporal Trends in the Incidence of and Mortality Associated With Heart Failure With Preserved and Reduced Ejection Fraction. JACC Heart Fail, 2018, 6 (8), 678-685.
  4. Chatterjee, S., Biondi-Zoccai, G., Abbate, A., D'Ascenzo, F., Castagno, D., Van Tassell, B. et al. Benefits of β blockers in patients with heart failure and reduced ejection fraction: network meta-analysis. BMJ, 2013, 346, f55.
  5. Bozkurt, B. Target Dose Versus Maximum Tolerated Dose in Heart Failure: Time to Calibrate and Define Actionable Goals. JACC Heart Fail, 2019, 7 (4), 359-362.
  6. McDonagh, T.A., Metra, M., Adamo, M., Gardner, R.S., Baumbach, A., Böhm, M. 2023 Focused Update of the 2021 ESC Guidelines for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure: Developed by the task force for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure of the European Society of Cardiology (ESC) With the special contribution of the Heart Failure Association (HFA) of the ESC. Eur Heart J, 2023, ehad195.
  7. Flather, M.D., Shibata, M.C., Coats, A.J.S., Van Veldhuisen, D.J., Parkhomenko, A., Borbola, J. et al. Randomized trial to determine the effect of nebivolol on mortality and cardiovascular hospital admission in elderly patients with heart failure (SENIORS). Eur Heart J, 2005, 26 (3), 215-225.
  8. Ambrosio, G., Flather, M.D., Böhm, M., Cohen- Solal, A., Murrone, A., Mascagni, F. et al. β-blockade with nebivolol for prevention of acute ischaemic events in elderly patients with heart failure. Heart, 2011, 97 (3), 209-214.
  9. Mebazaa, A., Davison, B., Chioncel, O., Cohen- Solal, A., Diaz, R., Filippatos, G. et al. Safety, tolerability and efficacy of up-titration of guideline-directed medical therapies for acute heart failure (STRONG-HF): a multinational, open-label, randomised, trial. The Lancet, 2022, 400 (10367), 1938-1952.

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