Compte rendu du congrès - ESC Preventive Cardiology 2025
La session 'Wearables in preventive cardiology' s'est déroulée le vendredi 4 avril dans le cadre du congrès de cardiologie préventive de l'ESC. Présidée par Gary Tse (Hong Kong Metropolitan University) et Sevda Ece Kizilkilic (Universiteit Hasselt), cette session a mis en lumière le rôle des technologies portables (wearables) en cardiologie préventive. Les dispositifs portables sont de plus en plus souvent utilisés et leur popularité a explosé ces dernières années, leur croissance ayant presque atteint le facteur 20 sur la décennie écoulée.1 C'est dans ce contexte que trois orateurs ont présenté leurs points de vue sur la fiabilité et les applications des wearables dans les soins de première ligne, dans la cardiologie du sport et dans le soutien de l'autogestion des patients.
Wearables in primary cardiovascular care: reliable data for clinical decision making?
Eugene Yang - University of Washington, Seattle, États-Unis
Eugene Yang a ouvert la session par une présentation relative à la fiabilité des données issues de dispositifs portables pour la prise de décision clinique dans les soins de première ligne. Il y a dressé un état des lieux et s'est notamment focalisé sur deux applications prometteuses : la mesure de la tension artérielle et l'analyse du sommeil au moyen de dispositifs portables.
Tensiomètre sans brassard
Les mesures traditionnelles de la tension artérielle, effectuées avec un brassard, sont souvent sujettes à erreur en raison d'une mauvaise taille de brassard ou de mauvaises conditions de mesure. Sans oublier qu'il ne s'agit le plus souvent que d'un instantané, pris dans un contexte clinique, ce qui peut entre autres engendrer le fameux 'effet blouse blanche'. Qui plus est, aucune mesure unique ne donne d'informations sur les variations tensionnelles au fil de la journée ou de la nuit. Les cuffless wearables offrent potentiellement une alternative dans ce contexte. Ces dispositifs estiment la tension artérielle sur la base de signaux de capteurs et d'algorithmes. Contrairement aux tensiomètres traditionnels, ils peuvent réaliser des mesures continues, ce qui permet aussi de constater d'éventuelles fluctuations de la tension artérielle.2
Il existe cependant d'importantes réserves. Bon nombre de ces dispositifs sans brassard n'ont pas encore été validés conformément aux normes en vigueur pour les tensiomètres classiques. En outre, les protocoles de validation existants ne sont pas adaptés à la technologie des wearables.3,4 La recherche donne dès lors des résultats disparates : certains systèmes sans brassard approchent la précision des mesures traditionnelles, tandis que d'autres affichent de grands écarts.2 Dans l'attente d'une validation solide, il est donc indiqué d'interpréter les valeurs mesurées par les wearables avec prudence et, si nécessaire, de les confirmer par des mesures conventionnelles.5
Analyse du sommeil au moyen de capteurs portables
Un autre domaine est l'analyse du sommeil. La polysomnographie (PSG) est l'examen de référence pour l'analyse du sommeil, mais elle est parfois trop contraignante pour les patients et n'offre qu'un enregistrement instantané en milieu hospitalier. Les wearables constituent dès lors une alternative attrayante, étant donné qu'ils permettent de recueillir des données sur plusieurs nuits, et ce, d'une manière confortable et naturelle. Leur fiabilité est toutefois limitée. Bien que leurs données soient cohérentes avec celles de la PSG en ce qui concerne la durée totale du sommeil, elles sont moins précises quand il s'agit de distinguer les différents stades du sommeil et de détecter des troubles du sommeil. Les fabricants utilisent souvent leurs propres algorithmes, ce qui complique la comparaison et exige une standardisation. Une poursuite du processus de validation et d'amélioration s'impose avant de pouvoir utiliser ces données en toute sécurité pour prendre des décisions cliniques.
Messages-clés
L'intervenant a clôturé sa présentation par trois conclusions claires : 1) les wearables ont le vent en poupe et ne cessent de gagner du terrain, 2) leur utilisation pour la prise de décision clinique en matière de tension artérielle ou de qualité du sommeil n'est actuellement pas recommandée et 3) il existe un besoin urgent de nouveaux protocoles de validation pour révéler leur potentiel clinique en toute sécurité.
Wearables in sports cardiology: advising and supervising exercise parameters
David Niederseer - Hochgebirgsklinik Davos, Suisse
David Niederseer s'est essentiellement penché sur le recours croissant aux dispositifs portables en cardiologie du sport, en accordant une attention particulière à la façon dont ces technologies peuvent contribuer au conseil et au suivi des paramètres d'entraînement.
Les wearables sont de plus en plus souvent utilisés pour mesurer un large éventail de paramètres physiologiques, allant du rythme cardiaque à la fréquence respiratoire, en passant par le sommeil et le niveau d'activité. Comme illustré par Petek et al., ces dispositifs fournissent de précieuses données concernant les fonctions tant cardiaque qu'extracardiaque. Les applications sont multiples et les perspectives d'avenir sont prometteuses en termes d'intégration de l'IA, de sécurité des données et de soins personnalisés.6
Les wearables sont utilisés de manière systématique dans le sport de haut niveau. Pendant leurs entraînements, les athlètes portent divers capteurs. Les entraîneurs reçoivent ainsi des données en temps réel sur le rythme cardiaque, la fréquence respiratoire et les schémas de mouvement, et même des mesures d'impact grâce à des détecteurs principaux ou de mouvement. Ils utilisent ensuite ces données pour adapter les stratégies d'entraînement. L'orateur a expliqué comment les dispositifs portables appliquent la photopléthysmographie (PPG) pour surveiller le rythme cardiaque, la fréquence respiratoire, le sommeil et les niveaux de stress. Cette technologie permet de détecter les signes de sursollicitation et d'objectiver les périodes de récupération.6
Les wearables sont aussi de plus en plus présents chez les patients. Chez un individu atteint de cardiomyopathie hypertrophique, il est ainsi possible de déterminer un seuil ventilatoire au moyen d'une épreuve d'effort, après quoi un dispositif portable permet de s'entraîner sans danger, sans sortir des zones appropriées. Les wearables peuvent également jouer un rôle dans la détection de troubles du rythme asymptomatiques, comme une fibrillation auriculaire. Les montres de sport modernes peuvent signaler ces arythmies, parfois même avant que le patient ne développe les premiers symptômes.7
Dans le même temps, l'orateur met en garde contre les interprétations erronées. Les artéfacts dus à un signal de mauvaise qualité, par exemple en cas de peau sombre, d'obésité et de sueur sous le capteur, peuvent induire des erreurs de mesure ou une perte de signal. Les utilisateurs inexpérimentés peuvent en outre éprouver des difficultés à analyser les chiffres correctement, si bien que des variations normales risquent de les inquiéter inutilement. L'intervenant insiste dès lors sur le fait que les wearables ne sont qu'une aide, et ne remplacent en rien l'avis du médecin. L'intégration sûre et sensée de ces technologies exige des travaux complémentaires de recherche et de validation.
Pour l'avenir, il prévoit un rôle important pour l'intelligence artificielle (IA) dans la personnalisation de l'interprétation des données. Dans la littérature, une wishlist a récemment été publiée pour la smartwatch médicale idéale : légère, confortable, étanche, dotée d'une fonction d'ECG en continu et équipée de systèmes d'alarme.7 Il conclut par un message clair : les dispositifs portables seront durablement intégrés dans la médecine sportive et la cardiologie du sport, à condition qu'ils soient appliqués de manière critique et en connaissance de cause.
Wearables in self-management: patients' priorities
Julie Harris - ESC Patient Forum, Manchester, Royaume-Uni
Pour terminer, Julie Harris a partagé son expérience en tant que patiente. Elle a subi un infarctus du myocarde de manière totalement inattendue, suite à une dissection spontanée de l'artère coronaire (DSAC). Après cet incident, elle s'est bien rétablie mais continuait à souffrir de palpitations récurrentes. Pour soutenir son autogestion, Julie a commencé à porter un tracker, d'abord surtout pour suivre sa condition physique et son nombre de pas.
Dans les mois qui ont suivi, elle a remarqué que son dispositif portable révélait de subtils changements dans ses signaux corporels. Elle a ainsi observé une baisse soudaine de variabilité de la fréquence cardiaque (VFC) nocturne sur le wearable, laquelle coïncidait avec des épisodes de plus en plus fréquents et de plus en plus prolongés de palpitations cardiaques en journée. Son tracker disposant aussi d'une fonction d'ECG simplifiée, elle a pu réaliser un petit électrocardiogramme durant un de ces épisodes. Ces données personnelles, associées à ses symptômes, ont conduit Julie à consulter un médecin.
Une fois chez son cardiologue, les mesures effectuées par Julie se sont avérées de grande valeur. Grâce aux graphiques de son dispositif, elle a pu indiquer avec précision quand les anomalies de la VFC et du rythme cardiaque au repos avaient débuté et de quelle manière elles étaient corrélées à ses symptômes. Le tout a aidé l'équipe médicale à établir un diagnostic plus rapidement : finalement, un ECG de 24 heures a révélé un trouble du rythme cardiaque. Julie a souligné que son wearable n'avait pas remplacé le médecin, mais qu'il avait servi d'avertissement précoce et qu'il avait permis de cibler la discussion avec le médecin.
Le tracker a aussi joué un rôle positif pour sa convalescence et son mode de vie. Grâce aux informations quotidiennes concernant son rythme cardiaque, son sommeil et son activité, Julie s'est sentie plus impliquée et plus motivée à maintenir des habitudes saines. Le feed-back direct (comme l'atteinte d'un objectif en termes de nombre de pas) lui a procuré une sensation de contrôle et a presque donné un côté ludique à la poursuite d'une vie saine. Elle en reconnaît néanmoins les limites : un appareil 'grand public' n'est pas aussi précis qu'un matériel clinique et ne peut pas poser de diagnostic. Il peut en outre susciter des angoisses inutiles si on prend toutes les données trop au sérieux. C'est la raison pour laquelle Julie utilise surtout son wearable pour dégager des grandes tendances et reconnaître des schémas. Pour conclure, elle a indiqué que les dispositifs portables ont sans nul doute une place dans les soins, surtout pour signaler des modifications en temps opportun et pour soutenir la communication avec les prestataires de soins, mais toujours en concertation avec des professionnels de la santé. D'ailleurs, elle avait juste acheté son tracker pour compter ses pas, mais voilà qu'il se révèle être un outil aussi précieux qu'inattendu pour sa santé cardiaque.

Conclusion
La session a souligné l'importance croissante des wearables dans les soins cardiovasculaires. Bien que cette technologie puisse offrir de précieuses informations en matière de tension artérielle, de sommeil et d'activité physique, son application clinique reste actuellement limitée par manque de normes validées. Les intervenants ont souligné l'importance de la précision, de la transparence et de la coopération entre prestataires de soins et patients. Les wearables ne sont pas des outils diagnostiques, mais ils peuvent apporter une aide utile pour la surveillance, la motivation et la prise de décision partagée.
Références
- https://www.statista.com/statistics/437871/ wearables-worldwide-shipments/
- Shin, J.H., Shin, J. Evaluation of Applicability and Accuracy of a New Form of Cuffless Blood Pressure Measurement Device, CART-I Plus. Korean Circ J, 2024, 54 (2), 105-107.
- Alexandre, J., Tan, K., Almeida, T.P., Sola, J., Alpert, B.S., Shah, J. Validation of the Aktiia blood pressure cuff for clinical use according to the ANSI/AAMI/ISO 81060-2: 2013 protocol. Blood Pressure Monitoring, 2023, 28 (2), 109-112.
- Lee, H.Y., Burkard, T. The advent of cuffless mobile device blood pressure measurement: remaining challenges and pitfalls. Korean Circ J, 2022, 52 (3), 198-204.
- Lee, Y., Seo, J., Park, J., Lee, H. Analysis for calibration pre-post difference in BP estimation of Galaxy Watch. 2023 45th Annu Int Conf IEEE Eng Med Biol Soc (EMBC), 2023, 1-3.
- Petek, B.J., Al-Alusi, M.A., Moulson, N., Grant, A.J., Besson, C., Guseh, J.S. et al. Consumer wearable health and fitness technology in cardiovascular medicine: JACC state-of-the-art review. J Am Coll Cardiol, 2023, 82 (3), 245-264.
- Gajda, R., Gajda, J., Czuba, M., Knechtle, B., Drygas, W. Sports Heart Monitors as Reliable Diagnostic Tools for Training Control and Detecting Arrhythmias in Professional and Leisure-Time Endurance Athletes: An Expert Consensus Statement. Sports Med (Auckland, N.Z.), 2024, 54 (1), 1-21.
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