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Transplantation cardiaque : un second souffle nécessaire ?

La première transplantation cardiaque a été réalisée en 1967 en Afrique du Sud par Christiaan Barnard, qui a pris de vitesse les équipes américaines de l'époque. La première greffe cardiaque en Belgique a été réalisée par Georges Primo en 1973, mais la patiente n'a survécu que sept mois. C'est une meilleure compréhension de l'immunosuppression ainsi que l'arrivée de la ciclosporine qui ont relancé le processus, permettant à la greffe cardiaque de devenir à l'heure actuelle un traitement bien établi de l'insuffisance cardiaque sévère, réfractaire au traitement médical. Nous venons ainsi récemment de réaliser aux Cliniques Universitaires Saint-Luc la 600e transplantation cardiaque ; la première avait eu lieu en 1985.

La problématique principale de la transplantation cardiaque est la relative pénurie d'organes, avec un déficit entre l'offre et la demande et, par conséquent, un temps d'attente prolongé. La population nécessitant ce type de transplantation présente de hauts risques de complications, voire de décès durant cette période d'attente. Celleci est ainsi difficile à vivre, tant pour le patient et son entourage que pour l'équipe médicale.

La Belgique fait partie d'EuroTransplant, qui regroupe différents pays (Allemagne, Autriche, Pays-Bas, Luxembourg, Croatie, Hongrie et Belgique). Cette organisation gère la liste d'attente de la façon la plus neutre possible, en fonction du délai d'attente et de certains critères (essentiellement le groupe sanguin et la nécessité de trouver une correspondance, en matière de poids et de taille, entre le donneur et le receveur). On tient également compte d'un critère de priorité locale, raison pour laquelle plusieurs centres belges ont associé leurs listes d'attente, e.a. pour contrebalancer la puissance de l'Allemagne.

Sur le plan de la greffe d'organes, on peut distinguer différentes situations, dont la plus classique est celle du donneur en mort cérébrale (neurologique). Il faut souligner que, au départ, toutes les transplantations d'organes se faisaient à partir de donneurs cadavériques, à coeur non battant. C'est en 1963 que Guy Alexandre, autre pionnier belge de la transplantation, a introduit le concept de « mort neurologique », qui s'est substitué à celui de « mort cardiologique ».

Le donneur en mort cérébrale est un concept bien établi, et il représente actuellement la principale source de coeurs. L'avantage pour le prélèvement d'organes est la possibilité d'organiser le prélèvement sur un coeur battant, ce qui permet de bénéficier des conditions contrôlées d'une intervention chirurgicale classique. De nombreux éléments limitent le nombre de donneurs de ce type. En Belgique, la situation s'était relativement stabilisée, avec un nombre de transplantations cardiaques de l'ordre de 75 par année. Ce nombre a très nettement diminué lors de la pandémie de Covid - ce qui est relativement compréhensible - mais la situation ne s'est hélas pas normalisée dans les années qui ont suivi, et le nombre de greffes cardiaques s'est stabilisé à 50-60. Ceci n'est pas vraiment bien expliqué, mais en 2023, seules 59 greffes cardiaques ont été réalisées dans notre pays, ce qui pose différents défis aux équipes de transplantation cardiaque. Comment trouver des alternatives, sachant que les assistances cardiaques, qui sont placées de façon parallèle au ventricule gauche, se heurtent e.a. au problème de l'insuffisance cardiaque droite, et que le coeur artificiel total reste au niveau expérimental ? On ne peut bien entendu pas jouer sur la qualité des greffons, même si l'âge moyen des donneurs d'organes a légèrement augmenté ces derniers temps.

Par ailleurs, là où il est possible de donner un rein ou une partie de foie à un proche dans le besoin, la question des donneurs vivants ne se pose évidemment pas pour la greffe cardiaque.

Vu cette carence de dons d'organes, et même si la Belgique est l'un des pays au monde où le nombre de donneurs d'organes effectifs par million d'habitants est le plus élevé, la question des donneurs en arrêt cardiaque (« non heart beating donor » NHBD) fait de plus en plus l'objet de discussions en greffe cardiaque. Il s'agit de réaliser le prélèvement après un délai minimal d'arrêt cardiaque, défini par la loi.

Cette option est déjà utilisée pour d'autres organes, comme le rein : le temps d'ischémie est dans ce cas moins critique, et l'on dispose de machines permettant de perfuser l'organe avant qu'il soit greffé de façon « élective ». Différentes catégories de prélèvement d'organes « à coeur arrêté » ont été définies (Maastricht, 1995). La première porte sur des personnes décédées sur la voie publique, et la deuxième inclut des patients qui présentent un arrêt cardiaque irréversible à l'hôpital, lorsque les médecins ont cessé les manoeuvres de réanimation. Un prélèvement d'organes peut être organisé après une période d'attente plus ou moins longue (« no touch period »). Tout cela nécessite évidemment une approche bien codifiée et une infrastructure technique bien précise à mettre en place. Concernant la greffe cardiaque, on est davantage limité par la durée d'ischémie du greffon, ce qui rend encore plus difficile ce type de prélèvement.

Plusieurs équipes de transplantation cardiaque ont en revanche abordé la troisième catégorie de prélèvement sur coeur arrêté, qui regroupe des patients qui n'ont pas les critères neurologiques de mort cérébrale, mais ont pour diverses raisons un pronostic vital fatal, envisagé à court terme. On peut en pareil cas discuter, en accord avec la famille, de la possibilité d'arrêter le traitement de soutien, d'attendre l'arrêt cardiaque et de procéder au prélèvement après une période de « no touch ». Ce type de prélèvement impose de mettre ensuite le coeur dans une machine de perfusion, afin de s'assurer de son bon état avant une greffe. Dans ce type de prélèvement, outre le coût non négligeable de ces machines, se posent d'importantes questions éthiques. On peut dans ce cadre avoir des discussions sans fin sur l'importance de donner au patient et futur donneur toutes ses chances, mais aussi d'éviter d'aller jusqu'à l'acharnement thérapeutique stérile. La question de la transition et de la préparation du patient et futur donneur est évidemment très délicate, pour la famille d'une part, mais aussi pour le personnel soignant. De nombreuses nuances existent dans les pathologies, avec p.ex. un patient présentant un déficit neurologique majeur, mais n'étant pas en état de mort cérébrale. Une situation analogue mais très différente est celle d'un patient qui demanderait l'euthanasie (qui entre dans un cadre légal en Belgique) et pourrait être désireux d'offrir certains de ses organes en vue d'une transplantation.

Ce type de prélèvement permet d'augmenter le pool de donneurs potentiels et a été validé par plusieurs équipes dans le monde, avec de bons résultats. Des techniques bien spécifiques de prélèvement ont ainsi pu être définies. En Belgique, ce mode de transplantation cardiaque a surtout été développé à Leuven et a déjà permis d'augmenter en 2024 le nombre de transplantations cardiaques à 85 pour la Belgique. Ainsi, la KUL a pu greffer 34 coeurs en 2024 (contre 14 en 2023), sous l'effet conjoint d'une augmentation de son programme pédiatrique (8 greffes chez des patients de moins de 16 ans, contre 2 en 2023) et de son programme de patients NHBD.

En 2025, la transplantation cardiaque permet à de nombreux patients de retrouver une meilleure qualité et une meilleure espérance de vie. Le problème du don d'organes reste une limitation, mais un tournant semble se pointer à l'horizon. Le recours à des organes provenant de patients NHBD permettrait d'augmenter le pool des donneurs et est sans aucun doute une piste à suivre, avec des progrès techniques en plein développement. La problématique éthique autour de ce type de prélèvement ne doit certainement pas être négligée, et il est nécessaire de discuter en détail de chaque situation avec les différents acteurs.

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