Compte rendu du congrès Heart Failure 2025
Le congrès européen sur l'insuffisance cardiaque, qui se tenait cette année à Belgrade, a été le théâtre d'une discussion animée et tournée vers l'avenir quant au rôle de l'intelligence artificielle (IA) dans la détection et le suivi de l'insuffisance cardiaque. Divers experts internationaux - dont Justin Ezekowitz, Mariell Jessup et Folkert Asselbergs - ont présenté de nouvelles perspectives issues tant de la recherche universitaire que de la mise en oeuvre clinique. Le message était clair : qui embrasse l'IA surfe sur une vague de possibilités ; qui la refoule risque d'être submergé par la révolution technologique.
Échocardiographie : du bourreau de travail à l'assistant intelligent
L'échocardiographie est et reste le bourreau de travail diagnostique en cardiologie, d'autant plus dans le cadre de l'insuffisance cardiaque. Outre l'estimation de la fraction d'éjection, il est aussi essentiel de saisir l'étiologie sous-jacente - pensez à une ischémie, une amylose ou une valvulopathie. En pratique, nous nous heurtons pourtant à diverses limites: une grande variabilité inter-observateur, la pression du chrono et l'incapacité de calculer systématiquement des paramètres avancés tels que la déformation longitudinale globale.
C'est là que l'IA offre une solution prometteuse. L'étude PANES-HF a démontré qu'un personnel infirmier sans expérience antérieure était capable, après deux petites semaines de formation, d'acquérir des images de haute qualité diagnostique chez des patients présentant une suspicion d'insuffisance cardiaque à l'aide d'une échographie soutenue par l'IA. Les rapports d'échographie associés contenaient par ailleurs systématiquement toutes les mesures.1 La précision était grande et le potentiel de délégation de tâche au sein de l'équipe soignante semble évident.
Dans l'étude pilote CUMIN, les mesures échographiques étaient prises à domicile, également par du personnel infirmier, avec le soutien de l'IA pour l'acquisition et l'analyse des images.2 Les résultats ont confirmé que cette approche est fiable et reproductible, ce qui facilite une détection précoce, surtout dans les régions en pénurie de personnel qualifié ou isolées géographiquement.
L'étude OPERA est encore allée un peu plus loin: les chercheurs ont appliqué des algorithmes d'IA sur les images acquises par des échographes portables pour les comparer à celles issues d'une échographie conventionnelle. La concordance s'est avérée cliniquement acceptable et le gain de temps, significatif.3 Ces résultats ouvrent des perspectives en vue d'un triage accéléré et de la surveillance, tant extra- qu'intra-muros, et contribuent à une utilisation plus efficace des ressources du laboratoire d'échographie.
Certaines données indiquent par ailleurs que l'IA est mieux à même que l'oeil nu de détecter des pathologies spécifiques telles que l'amylose cardiaque, grâce à la reconnaissance de profils sur les clichés tant d'échocardiographie que d'ECG. Les outils d'IA s'avèrent également précis et cohérents dans l'évaluation des pathologies valvulaires - par exemple, la sévérité d'une sténose aortique -, avec des avantages pour le diagnostic comme pour le suivi.4,5 La puissance et la précision de ces systèmes d'IA ne sont exploitées à leur maximum que s'ils sont bien intégrés dans le dossier patient informatisé, qui regroupe toutes les données disponibles - telles qu'imagerie, ECG et rapports de consultations - en un ensemble cohérent.
L'IA dans le suivi de l'insuffisance cardiaque: plus qu'un gadget
Dispositifs portables, mesures à domicile, coachs numériques - tout cela semble futuriste, mais le congrès HF a clairement démontré que ces technologies mûrissent peu à peu pour les applications cliniques. L'essai LINK-HF a évalué la valeur prédictive de capteurs portables chez des patients atteints d'insuffisance cardiaque. La combinaison soutenue par l'IA des données sur le rythme cardiaque, la fréquence respiratoire, l'activité, et même la posture, a permis de prédire une aggravation de l'insuffisance cardiaque en moyenne 6,5 jours avant l'apparition de symptômes cliniques.6
Cette surveillance prédictive peut être couplée à des stratégies thérapeutiques. L'étude contrôlée randomisée ADMINISTER, publiée dans Nature Medicine, a comparé des consultations numériques soutenues par l'IA aux soins habituels. Le résultat ? Les patients atteints d'insuffisance cardiaque étaient plus nombreux à recevoir un traitement médical optimum en vertu des recommandations, avec une meilleure tolérance et moins d'hospitalisations.7 En outre, les nouveaux algorithmes d'IA offrent la possibilité d'estimer précisément le taux de potassium de manière non invasive, à l'aide d'un ECG à une seule dérivation, ce qui s'avère crucial au moment d'instaurer ou d'augmenter un inhibiteur du SRAA.8
La plus-value ne réside pas seulement dans l'aspect médico-technique, mais aussi au niveau logistique. Grâce au soutien de l'IA, il est possible de mieux personnaliser les trajets de soins, au bénéfice non seulement de l'efficacité, mais aussi de l'observance thérapeutique. Un bracelet intelligent qui avertit d'une prise de poids ou un coach numérique qui envoie une notification au patient quand il est l'heure de prendre ses médicaments peuvent parfois avoir plus d'impact qu'une consultation quatre semaines plus tard.
Grands modèles de langage et agents d'IA : les nouveaux collègues ?
Les grands modèles de langage tels que ChatGPT montrent que l'IA peut aussi se révéler utile en dehors du domaine de l'imagerie ou des données de capteurs (figure 1). Folkert Asselbergs a ébauché un avenir où les assistants numériques - avatars ou chatbots - feront d'office partie de l'équipe de soins. Imaginez une infirmière en insuffisance cardiaque virtuelle qui est disponible 24h/24, qui parle la langue du patient et qui prodigue des conseils sur l'apport sodique, les médicaments ou la reconnaissance des symptômes d'alerte. Aux États-Unis, plusieurs centres font déjà appel à 'Linda' - une assistante d'IA pour 9 dollars de l'heure. Un petit essai vaut le détour sur : www.hippocraticai.com/linda.
Cette technologie est plus proche que beaucoup le pensent et pourrait bien devenir un élément incontournable de l'équipe de cardiologie. Le robot conversationnel ESC, une initiative de la Société européenne de Cardiologie actuellement disponible en version pilote à accès limité, constitue une première étape vers une prise de décision en temps réel sur la base des recommandations appliquées aux cas individuels. Une brève requête suffit pour distiller l'essence des directives de l'ESC et obtenir un avis adéquat. Le lancement à destination du grand public est prévu cette année.

Pièges et points de vigilance
Les promesses de l'IA sont grandes, mais elles requièrent une approche critique et contextuelle (figure 2). Les performances technologiques seules ne suffisent pas : la majorité des algorithmes excellent en précision sur des ensembles de données rétrospectives, mais les données relatives aux critères d'évaluation cliniques concrets restent maigres. L'impact réel sur les soins aux patients doit donc encore être démontré de façon convaincante.

Un deuxième axe important est l'explicabilité. Si certains systèmes d'IA reposent sur des règles compréhensibles, bon nombre de modèles puissants restent des 'black boxes' - difficiles à interpréter pour les cliniciens et les patients. Cela a des implications pour la confiance, la responsabilité et l'obtention du consentement éclairé, comme l'a encore souligné dernièrement l'American Heart Association dans un avis scientifique fort à propos.9
Le contexte d'application s'avère par ailleurs crucial. Les algorithmes qui donnent de bons résultats sur des données américaines ne peuvent être appliqués tels quels aux populations belges. La validaLe contexte d'application s'avère par ailleurs crucial. Les algorithmes qui donnent de bons résultats sur des données américaines ne peuvent être appliqués tels quels aux populations belges. La validation externe et la détection des biais sont essentielles. Les intérêts commerciaux ne doivent en outre pas nuire à l'accessibilité sociale.
Pour éviter cet écueil, nous avons besoin d'un cadre de mise en oeuvre belge inspiré d'initiatives internationales telles que FUTURE-AI. Ce cadre doit non seulement établir des normes techniques, mais aussi s'attacher aux questions d'éthique, aux implications juridiques et aux modèles de rétribution. C'est la condition sine qua non pour une intégration durable et responsable de l'IA en pratique clinique.
Conclusion : un espoir nuancé
L'intégration de l'IA dans la prise en charge de l'insuffisance cardiaque offre de réelles perspectives : un diagnostic plus rapide et plus précis, un suivi personnalisé et une organisation plus efficace des soins. Sa mise en oeuvre requiert toutefois plus qu'une simple capacité technologique. Elle nécessite une validation, un cadre éthique et, surtout, une culture marquée par l'envie d'apprendre et d'évoluer. Car, à l'instar de toute nouveauté, nous ne devons pas oublier que la technologie n'est pas un but en soi, mais un moyen. La clé du succès ne réside pas dans les algorithmes en tant que tels, mais dans l'usage que nous en faisons. Qui sème des données, récolte du savoir - mais seulement si le terrain est bien préparé.
Références
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- Stehlik, J., Schmalfuss, C., Bozkurt, B., Nativi- Nicolau, J., Wohlfahrt, P., Wegerich, S. et al. Continuous Wearable Monitoring Analytics Predict Heart Failure Hospitalization: The LINKHF Multicenter Study. Circ Heart Fail, 2020, 13 (3), E006513.
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- Armoundas, A.A., Narayan, S.M., Arnett, D.K., Spector-Bagdady, K., Bennett, D.A., Anthony Celi, L. et al. Use of Artificial Intelligence in Improving Outcomes in Heart Disease: A Scientific Statement From the American Heart Association. Circulation, 2024, 149 (14), e1028-E1050.
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