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HFpEF : les proteomics débarque
  • Raymond Kacenelenbogen

Le terme « proteomics » (qui désigne l'étude du protéome, à savoir l'ensemble des protéines et variantes exprimées dans un organisme) se rencontre assez fréquemment, e.a. dans des articles de recherche cardiovasculaire. Le développement de ce domaine de recherche a été rendu possible par l'automatisation du dosage, dans le plasma de sujets sains (par rapport à ceux atteints d'une maladie donnée), d'un grand nombre de protéines par des techniques non utilisables en pratique clinique (spectrographie de masse (SM) couplée à une chromatographie en phase liquide (CL)). Cela permet d'identifier plusieurs protéines « biomarqueuses » potentielles. L'étape suivante est de sélectionner le(s) meilleur(s) candidat(s) par des techniques de « machine learning » (ou « apprentissage automatique »). Une fois le candidat biomarqueur choisi, l'application clinique peut être validée sur un échantillon prospectif plus large, grâce à un dosage utilisable en clinique (ELISA).

La figure 1 en est un exemple très didactique, publié par le centre de recherche clinique de Pékin en 2022.1 Cette étude, portant sur des patients présentant un syndrome coronarien chronique (SCC) et suivis prospectivement, s'est basée sur les différences du protéome (DEPs) afin d'essayer de prédire la survenue d'événements cardiaques.

L'une des protéines sélectionnées comme biomarqueurs prédictifs d'un événement cardiovasculaire (MACE) est le CETP (protéine de transfert des esters de cholestérol), qui pourrait être la cible d'un traitement (son inhibition permet d'augmenter le cholestérol HDL et de diminuer le cholestérol LDL). Après plusieurs recherches infructueuses d'un inhibiteur du CETP, un candidat, l'obicetrapib, est actuellement en étude clinique de phase III.2

L'on était déjà habitué à la génomique (comprenant p.ex. l'étude des mutations responsables de certaines maladies, comme dans la cardiomyopathie hypertrophique avec identification du gène responsable important pour le pronostic rythmique). La protéomique serait cependant supérieure à la génomique, car c'est l'expression des gènes, davantage que leur simple présence, qui importe.

Quel est toutefois le rapport avec l'insuffisance cardiaque à fraction d'éjection préservée (HFpEF) ? Ce sujet est d'actualité, car l'HFpEF présente plusieurs phénotypes (figure 2),3 et il importerait de trouver des biomarqueurs autres que le BNP, afin de permettre non seulement de stratifier le risque, mais aussi de trouver une nouvelle cible thérapeutique. Actuellement, les iSGLT2 sont relativement efficaces et sont inclus dans les recommandations. Néanmoins, leur action, dont le mécanisme reste à élucider, n'a pas été démontrée quant à la mortalité.

Une étude du RNA (transcriptomique) a été réalisée sur des biopsies endomyocardiques (septum du ventricule droit)4 chez 41 patients présentant une HFpEF de stade NYHA III-IV, comparés à 30 patients avec une HFrEF et à 24 patients donneurs (groupe contrôle) (figure 3).

Dans cette étude, les RNA « uprégulés » (chaîne oxydative mitochondriale) chez les patients HFpEF étaient plutôt en rapport avec l'obésité. Les RNA « downrégulés » étaient en rapport avec le stress du réticulum endoplasmique, la capacité d'autophagie (le renouvellement des protéines structurelles est favorable) et l'angiogenèse. Un groupe se distinguait par sa composante inflammatoire (plutôt les femmes - ventricule gauche (VG) de petite dimension). Un autre groupe présentait un pronostic moins bon, et son phénotype (CP = composantes principales) se rapprochait de l'HFrEF.

Une publication récente a analysé le protéome myocardique (biopsies) de patients HFpEF par rapport à des donneurs (groupe contrôle).5 Le résultat obtenu s'inscrit dans la lignée de l'étude précédente (figure 4).

Le groupe se distinguant le plus par son protéome (anomalie du métabolisme oxydatif et de la translation) correspond à des patients en obésité sévère et est associé à une hypertrophie du VG et à une surcharge du VD.

Citons enfin l'étude pilote de Shah (figure 5).6

L'effort était étudié par « precise exercise testing », c.-à-d. au moyen d'un cathéter radial et d'un cathéter dans l'artère pulmonaire, pour permettre une mesure du débit cardiaque et des pressions, et différencier le déficit central (cardiaque) du déficit périphérique (extraction d'oxygène par les muscles). Le groupe HFpEF était défini par une anomalie de la pente pression pulmonaire capillaire (PCWP)/débit cardiaque (CO) à l'effort (pente PCWP/CO > 2 mmHg/l*min-1). Le protéome était étudié sur du sang prélevé dans la veine cave au repos et au pic de l'exercice.

L'analyse des protéomes indique notamment que des protéines liées à l'obésité (leptine p.ex.) ont plus d'« influence » sur l'extraction périphérique d'oxygène que sur la performance cardiaque (augmentation du débit cardiaque ou pic de VO2).

Le pronostic (hospitalisations pour décompensation cardiaque + décès cardiovasculaire) est influencé de la même façon par le protéome (sérique) chez les patients HFpEF et HFrEF.

Une sous-étude de VITALITY-HFpEF7 met en évidence le protéome associé avec un pronostic défavorable selon le phénotype.

En conclusion, bien que la protéomique soit « mise à toutes les sauces » et parfois usurpée (il est possible d'acheter un kit « Proteomics » pour 104 $ sur Internet et, selon les « conclusions », d'être orienté vers des produits non médicaux), et bien que les études présentées fassent le plus souvent appel à l'apprentissage automatique, qui s'appuie avant l'heure sur les mêmes principes que l'intelligence artificielle, il n'en reste pas moins que ce domaine de recherche offre des débouchés passionnants en matière de physiopathologie, mais aussi de traitements potentiels.

Références

  1. Cai, Y-L., Hao, B-C., Chen, J-Q., Li, Y-R., Liu, H-B. Correlation Between Plasma Proteomics and Adverse Outcomes Among Older Men With Chronic Coronary Syndrome. Front Cardiovasc Med, 2022, 9.
  2. Kastelein, J.J.P., Hsieh, A., Dicklin, M.R., Ditmarsch, M., Davidson, M.H. Obicetrapib: Reversing the Tide of CETP Inhibitor Disappointments. Curr Atheroscler Rep, 2024, 26 (2), 35-44.
  3. Smason, R., Jaiswal, A., Cassidy, M., Le Jemtel, T. Clinical Phenotypes in Heart Failure With Preserved Ejection Fraction. J Am Heart Assoc, 2016, 5 (1), e002477.
  4. Hahn, V.S., Knutsdottir, H., Luo, X., Bedi, K., Margulies, K.B. Haldar, S.M. et al. Myocardial Gene Expression Signatures in Human Heart Failure With Preserved Ejection Fraction. Circulation, 2021, 143 (2), 120-134.
  5. Jani, V.P., Yoo, E.J., Binek, A., Guo, A., Kim, J.S., Aguilan, J., et al. Myocardial Proteome in Human Heart Failure With Preserved Ejection Fraction. J Am Heart Assoc, 2025, 14 (6), e038945.
  6. Shah, R.V., Hwang, S-J., Murthy, V.L., Zhao, S., Tanriverdi, K., Gajjar, P. et al. Proteomics and Precise Exercise Phenotypes in Heart Failure With Preserved Ejection Fraction: A Pilot Study. J Am Heart Assoc, 2023, 12 (21), e029980.
  7. Defilippi, C., Shah, S.J., Alemayehu, W., Lam, C.S.P., Butler, J., Reimann, S. et al. Targeted discovery proteomics to identify clinical phenotypes in heart failure with preserved ejection fraction: a proteomics substudy of VITALITY-HFpEF. Eur Heart J, 2022, 43 (2).
  8. Adamo, L., Yu, J., Rocha-Resende, C., Javaheri, A., Head, R.D., Mann, D.L. Proteomic signature of heart failure in relation to left ventricular éjection fraction. J Am Cardiol, 2020, 76 (17), 1982-1994.
  9. Patel-Murray, N.L., Zhang, L., Claggett, B.L., Xu, D., Serrano-Fernandez, P., Healey, M., Wandel, S. et al. Aptamer proteomics for biomarker discovery in HFpEF : the PARAGON-HF Proteomic Substudy, J Am Heart Assoc, 2024, 13 (13).

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