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Soins à vie dans les cardiopathies congénitales : les implications d'une épidémiologie changeante pour la pratique cardiologique
  • Philip Moons 

Les cardiopathies congénitales sont les plus fréquentes des malformations congénitales qui se produisent pendant le développement embryonnaire du coeur. Grâce aux avancées enregistrées dans le diagnostic, la chirurgie et le traitement médical, plus de 90 % des enfants atteints d'une cardiopathie survivent aujourd'hui jusqu'à l'âge adulte.1, 2 La population d'adultes atteints de cardiopathies congénitales a de ce fait fortement augmenté au niveau mondial et, dans les pays occidentaux, les adultes sont devenus majoritaires dans ce groupe de patients.3 Dans le même temps, toute cardiopathie congénitale reste une maladie chronique qui nécessite des soins spécialisés à vie. Les cardiologues qui ne se sont pas spécifiquement formés aux cardiopathies congénitales seront dès lors de plus en plus souvent confrontés à ces patients. Dans le présent article, nous brossons un tableau de l'épidémiologie changeante et nous détaillons pourquoi les soins spécialisés à vie sont essentiels. Nous nous attardons par ailleurs sur un phénomène relativement nouveau : le vieillissement accéléré des patients atteints de cardiopathies congénitales, un défi que les cardiologues non spécialisés devront également de plus en plus souvent relever.

L'épidémiologie changeante des cardiopathies congénitales

L'épidémiologie des cardiopathies congénitales a connu un changement radical au cours des dernières décennies. Si les cardiopathies congénitales étaient autrefois surtout associées à une mortalité infantile, nous assistons aujourd'hui à un glissement démographique notable. La grande majorité des enfants atteints de cardiopathies congénitales atteignent désormais l'âge adulte, si bien que le centre de gravité des soins s'est déplacé de la cardiologie pédiatrique vers la cardiologie adulte. Dans les pays à niveau de développement socio-économique élevé, les adultes représentent désormais deux tiers de la population totale de patients atteints de cardiopathies congénitales.4

Cette transformation démographique est principalement due à l'amélioration du diagnostic prénatal et néonatal, des techniques chirurgicales et des soins intensifs chez l'enfant.5 En Belgique, par exemple, les chances de survie jusqu'à l'âge adulte des enfants atteints de cardiopathies congénitales ont grimpé de 81 % dans les années 1970 à près de 89 % au début des années 1990.1 L'espérance de vie des patients atteints de cardiopathies congénitales légères se rapproche aujourd'hui de celle de la population générale.1, 2

Dans le même temps, la prévalence des cardiopathies congénitales à la naissance a aussi augmenté.6 Cette hausse s'explique en partie par l'amélioration de leur détection, surtout en ce qui concerne les malformations légères comme les communications interauriculaires et les communications interventriculaires. À l'échelle mondiale, la prévalence des cardiopathies congénitales à la naissance a doublé entre les années 1970 et 2010, moyennant une augmentation singulière des malformations légères et une prévalence relativement stable des formes graves.6 Cette tendance résulte en partie d'un meilleur accès aux instruments de dépistage que sont l'échocardiographie et l'oxymétrie de pouls.7

L'augmentation à la fois des taux de survie et de la prévalence à la naissance a entraîné une forte hausse du nombre d'adultes atteints de cardiopathies congénitales. Au Canada, par exemple, la prévalence des cardiopathies congénitales dans la population adulte a augmenté de 57 % entre 2000 et 2010. Des tendances similaires sont observées dans d'autres pays industrialisés.4 C'est dans la catégorie d'âge des 50 ans et plus que la prévalence connaît la plus grande augmentation relative, un signe évident que les patients atteints de cardiopathies congénitales vivent de plus en plus vieux.4

Ce glissement épidémiologique s'accompagne d'importantes implications pour l'organisation des soins. Des cardiologues qui, traditionnellement, ne traitaient pas de cardiopathies congénitales doivent aujourd'hui relever le défi d'accompagner à long terme des patients aux antécédents médicaux complexes et aux besoins thérapeutiques uniques.

La nécessité de soins spécialisés à vie

Bien que la majorité des patients atteints de cardiopathies congénitales atteignent l'âge adulte, cela ne signifie en rien qu'ils peuvent être considérés comme étant « guéris ». Au contraire. Les cardiopathies congénitales constituent une maladie chronique, qui requiert un trajet de suivi médical tout au long de la vie. Cependant, la nature de ce suivi est fondamentalement différente des soins cardiologiques classiques et impose des exigences spécifique à l'expertise des prestataires de soins.8

Bon nombre d'adultes atteints de cardiopathies congénitales restent vulnérables aux anomalies hémodynamiques résiduelles ou progressives, aux troubles du rythme, à l'insuffisance cardiaque et à la nécessité de réinterventions. Des études démontrent que jusqu'à 50 % des patients atteints de cardiopathies congénitales modérées à complexes ont besoin d'une intervention ou d'une réintervention après la première opération subie dans l'enfance.9 Les comorbidité non cardiologiques augmentent par ailleurs aussi avec l'âge, notamment les troubles de la fonction rénale, les hépatopathies (chez les patients qui ont subi une procédure de Fontan, par exemple), les limites neurocognitives et les problématiques psychiatriques. Ces complications multisystémiques exigent une prise en charge multidisciplinaire intégrée.10

Les besoins thérapeutiques des adultes atteints de cardiopathies congénitales sont en outre dynamiques : ils évoluent avec l'âge, le contexte social (niveau d'éducation, vie professionnelle, situation familiale) et les changements qui surviennent dans le décours clinique.11 Les transitions entre différents systèmes de soins, en particulier des soins pédiatriques aux soins adultes, sont des moments critiques où les patients peuvent être perdus de vue.12 Or, la continuité des soins est essentielle pour détecter d'éventuelles complications en temps opportun et programmer des interventions de manière proactive.

Il existe des preuves convaincantes selon lesquelles le suivi en centre spécialisé mène à de meilleurs résultats, affichant de moindre taux de mortalité et un moins grand nombre d'hospitalisations.13, 15 Il ressort pourtant d'études internationales qu'une part considérable de la population de patients adultes n'a pas suffisamment accès aux soins spécialisés. Dans certaines régions, il n'y a pas assez de centres agréés et les soins sont repris par des cardiologues généralistes, qui ne disposent pas toujours des connaissances ou de l'expérience nécessaires pour une gestion adéquate de la complexité des cardiopathies congénitales.16, 17 Il est dès lors essentiel d'améliorer la sensibilisation parmi les cardiologues non spécialisés, afin qu'ils puissent reconnaître la nécessité d'un suivi spécialisé et assurer une orientation ciblée.8 La cardiologie congénitale n'est plus une discipline de niche : c'est un domaine qui prend de l'ampleur au sein de la cardiologie et qui requiert collaboration, formation continue et organisation au niveau de la population.

Le vieillissement accéléré des adultes atteints de cardiopathies congénitales

Un phénomène relativement nouveau et inquiétant est observé dans la population d'adultes atteints de cardiopathies congénitales : un vieillissement précoce ou accéléré.18 Un grand nombre de patients atteints de cardiopathies congénitales présentent des signes de vieillissement biologique qui ne concordent pas avec leur âge chronologique. Plusieurs études ont en effet démontré que les personnes atteintes de cardiopathies congénitales sont confrontées plus jeunes à des maladies typiques des seniors, telles qu'insuffisance cardiaque, troubles du rythme, maladie coronarienne, AVC et déclin cognitif. À 30 ans, un patient atteint d'une cardiopathie congénitale est ainsi souvent exposé à un risque de fibrillation auriculaire comparable à celui d'un sujet de 55 ans sans cardiopathie congénitale.19 Les affections systémiques telles que dysfonction rénale, stéatose hépatique, ostéoporose, sarcopénie et insulinorésistance se déclarent également plus souvent et plus tôt que dans la population générale.18, 20

L'hypothèse est que la conjonction de facteurs inhérents aux cardiopathies congénitales, comme l'hypoxie chronique, la surcharge hémodynamique, la fibrose post-opératoire, l'inflammation chronique et les interventions médicales répétées (y compris l'exposition aux rayonnements ionisants), contribue à une « dette biologique » qui s'accumule et accélère le processus de vieillissement.18 Des facteurs psychosociaux, comme les sentiments dépressifs, le stress accru ou l'isolement social, peuvent aussi contribuer à ce vieillissement accéléré.18

De récentes données suggèrent par ailleurs une anomalie de marqueurs classiques de vieillissement biologique, comme la longueur des télomères et les indices de fragilité, plus tôt dans la vie des patients atteints de cardiopathies congénitales.21, 22 Dans certains sous-groupes, une fragilité typique des personnes âgées est ainsi constatée dès l'âge de 40 ans.22 Ce phénomène a d'importantes implications pour la stratification du risque et le traitement, par exemple quand il s'agit de planifier une chirurgie ou d'instaurer une thérapie préventive.

La reconnaissance de ce vieillissement accéléré est cruciale pour une approche personnalisée des soins. Les cardiologues doivent être conscients de ce phénomène en vue de la mise en oeuvre d'un dépistage et de mesures de prévention en temps opportun, y compris chez des patients relativement jeunes.

Conclusion

La prise en charge des personnes atteintes de cardiopathies congénitales a fondamentalement changé. Suite à l'amélioration de la survie, la population adulte qui a des besoins thérapeutiques complexes requérant un suivi spécialisé à vie ne cesse de croître. Les cardiologues non spécialisés vont de plus en plus souvent rencontrer ces patients dans le cadre de leur pratique. S'ils veulent les orienter à temps et leur fournir des soins adéquats, il est essentiel qu'ils soient au fait de l'épidémiologie changeante, du risque de complications systémiques et du phénomène de vieillissement accéléré. Les cardiopathies congénitales ne sont plus une maladie infantile, mais un trajet à vie qui exige une collaboration entre les généralistes et les spécialistes au sein d'un modèle de soins multidisciplinaires adapté aux besoins inhérents à chaque stade de la vie.

Références

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