Introduction
La sténose aortique (SA) reste la valvulopathie la plus prévalente dans le monde occidental. Elle entraîne une morbi-mortalité élevée et a un impact financier important sur la société.
Sur le plan physiopathologique, la maladie se caractérise par un remodelage cardiaque défavorable résultant d'une adaptation initiale défaillante à une surcharge chronique du ventricule gauche (VG) due au rétrécissement progressif de la valve aortique. Ce processus est déclenché par une interaction complexe entre des facteurs hémodynamiques (surcharge de pression dans le VG avec augmentation de la tension pariétale myocardique, hypertrophie maladaptative, hypoperfusion coronaire et augmentation de la consommation d'oxygène), une activation neurohumorale avec la triade de suspects «habituels », en l'occurrence inflammation, stress oxydatif et dysfonction endothéliale (précurseurs de la fibrose) et le dérèglement métabolique du myocarde lui-même (figure 1).1

Il est désormais communément admis que la SA doit être abordée comme une maladie valvulaire et myocardique combinée. La résolution de la sténose elle-même par un remplacement chirurgical (SAVR) ou percutané (TAVI) de la valve aortique reste certes la pierre angulaire du traitement, mais cela s'avère souvent insuffisant, surtout en cas de lésions myocardiques déjà établies. Ainsi, on a notamment démontré que jusqu'à 20 % des patients traités par TAVI seront hospitalisés au cours de la première année suivant l'implantation, la majorité d'entre eux pour insuffisance cardiaque.2
Ce dernier point est d'autant plus frappant que le TAVI a connu une véritable révolution - plutôt technique - au cours de la dernière décennie, avec l'optimisation des cadres valvulaires (fuite paravalvulaire minimisée), des techniques d'implantation (implantation «plus hautes » avec réduction des pourcentages de blocs de branche gauche et de pacemakers) et des trajets de soins (anesthésie locale, hospitalisation plus courte). Par ailleurs, il est aujourd'hui prouvé qu'il est « au moins non inférieur » au SAVR, et ce, que le risque opératoire soit élevé, intermédiaire ou faible.3, 4 La réalité reste que, malgré la technique «perfectionnée », une proportion importante de la population TAVI restent symptomatiques après l'implantation, en tout cas au cours des 6 à 12 premiers mois.
Logiquement, l'accent est donc désormais mis sur l'optimisation médicamenteuse des patients TAVI. Malheureusement, il n'est pas certain que les preuves détaillées relatives au traitement de l'insuffisance cardiaque puissent être extrapolées à la population TAVI, car ce groupe de patients (classiquement âgés de > 75 ans, fragiles et souffrant bien évidemment d'une « insuffisance valvulaire sévère ») est précisément sous-représenté et plutôt exclu de toutes les études de premier plan sur l'insuffisance cardiaque.5
En revanche, l'étude DAPA-TAVI, récemment publiée dans le New England Journal of Medicine, démontre que la dapagliflozine, un inhibiteur du cotransporteur sodium-glucose de type 2 (SGLT2i), peut prévenir les événements d'insuffisance cardiaque au cours de la première année suivant l'implantation d'un TAVI.6 Ces preuves randomisées confirment les résultats prometteurs précédents au sujet des effets des SGLT2i en cas de SA.
Mécanisme d'action des SGLT2i (en bref)
Il serait trop long de décrire en détail les nombreux effets des SGLT2i sur les différentes voies impliquées dans l'insuffisance cardiaque en cas de SA. Pour un aperçu complet, je vous renvoie à la revue de Karakasis.1 En résumé, les SGLT2i ont démontré qu'ils peuvent modifier le remodelage valvulaire, vasculaire et myocardique en cas de SA et que cet effet cardioprotecteur dépasse le simple effet hypoglycémiant. Il est frappant de constater que les SGLT2i agissent sur la quasi-totalité de la physiopathologie (complexe) de la SA (figure 1). On a notamment observé un effet bénéfique sur l'inflammation, la fonction endothéliale, la fonction vasculaire, le métabolisme cellulaire et l'érythropoïèse, ce qui se traduit par un remodelage inverse positif et une diminution de la fibrose cardiaque et myocardique.1
Principales preuves cliniques relatives aux SGLT2i en cas de sténose aortique/TAVI
DAPA-TAVI
Dans cette étude espagnole multicentrique (39 centres), 1222 patients (âge médian 82,4 ans, 49,4 % de femmes) atteints de SA sévère et d'insuffisance cardiaque ont été randomisés entre la dapagliflozine (10 mg par jour, n = 605) et les soins standard (n = 617) après un TAVI (figure 2).6 Tous les patients présentaient également au moins une autre affection « à haut risque », à savoir une insuffisance rénale (DFGe 25-75 ml/min/1,73 m², 88,6 %), un diabète de type 2 (DT2, 43,9 %) ou une FEVG ≤ 40 % (17 %). Les deux groupes étaient bien équilibrés, même si le groupe « SGLT2i » présentait davantage de maladies coronariennes et des taux de NT-proBNP plus élevés.


Après un an, le groupe traité par dapagliflozine a obtenu des résultats significativement meilleurs sur le plan du critère d'évaluation composite primaire de mortalité toutes causes et d'événements d'insuffisance cardiaque (15,0 % vs 20,1 %, HR 0,72, p = 0,02). Ceci pouvait être attribué à une réduction de 37 % des événements d'insuffisance cardiaque (9,4 % vs 14,4 %). Le léger avantage sur le plan de la mortalité (7,8 % vs 8,9 %, HR 0,87) n'était pas statistiquement significatif.
Il est également intéressant de noter que, selon les auteurs, le bénéfice conféré par le SGLT2i est resté constant dans tous les sous-groupes prédéfinis mais, personnellement, il me semble qu'il est peut-être le plus marqué chez les hommes de ≥ 80 ans présentant un phénotype d'HFpEF (FEVG ≥ 40 %, diabète et fibrillation auriculaire) (figure 3).

Paolisso et al.
Dans ce registre international et prospectif, 311 patients consécutifs souffrant de DT2 (âge médian 80 ans, 33,1 % de femmes) présentant une SA sévère, une FEVG < 50 % et des lésions cardiaques extravalvulaires (concept précédemment décrit avec cinq niveaux pour « quantifier » le remodelage cardiaque défavorable en cas de SA7 a été suivi après un TAVI (figure 4).8 À la sortie de l'hôpital, on a instauré - ou non - un traitement par SGLT2i (l'empagliflozine et le dapagliflozine, dans 24 % des cas) sur la seule base de leur contrôle glycémique. Malgré un profil myocardique moins favorable au départ, le groupe « SGLT2i » a montré, après un suivi médian de deux ans, une amélioration significative de la fonction du VG avec une FEVG plus élevée (p = 0,002) et un diamètre télédiastolique du VG plus petit (p = 0,039), ainsi qu'une stabilisation plus fréquente ou une amélioration de leur stade de lésion cardiaque extravalvulaire (92,7 % vs 78,7 %, p = 0,018). On a également observé une diminution des événements cardiovasculaires majeurs (HR 0,45), de la mortalité toutes causes (HR 0,51) et des hospitalisations pour insuffisance cardiaque (HR 0,40). Il était intéressant de constater que le bénéfice clinique était déjà (et surtout) visible au cours des 30 premiers jours suivant le TAVI, ce qui pourrait être le signe d'un remodelage « inverse » favorable (plus) rapide sous SGLT2i.

Shah et al.
Dans cette étude de dossiers américaine rétrospective, 11 698 patients souffrant d'une SA légère ou modérée, initialement non traités par SGLT2i, ont été suivis dans le temps (minimum un an, maximum cinq ans). Il en est ressorti que les patients à qui on avait prescrit un SGLT2i (quelle que soit l'indication, n = 458) couraient un risque moindre de progression vers une SA sévère par rapport au groupe non traité par SGLT2i (HR 0,61, p = 0,026) (figure 5).9

Sécurité
Les SGLT2i sont des produits sûrs et généralement bien tolérés, mais nous devons être particulièrement vigilants quant aux effets indésirables, surtout dans la population spécifique et plus fragile des patients TAVI. Dans l'étude DAPA-TAVI, les résultats se sont toutefois avérés meilleurs que prévu.6 Certes, tant les infections génitales (1,8 % vs 0,5 %, p = 0,03) que l'hypotension (6,6 % vs 3,6 %, p = 0,01) étaient significativement plus fréquentes dans le groupe SGLT2i, mais leur impact clinique n'est pas clair, et ceci n'annule en rien le bénéfice de la réduction du risque d'insuffisance cardiaque. En ce qui concerne les autres effets indésirables redoutés, tels que les infections urinaires, la bactériémie et l'hypoglycémie, on n'a observé aucune différence.
Conclusion
Les SGLT2i sont des médicaments multipotents qui influencent favorablement l'évolution de la maladie « SA » via différentes voies. L'étude DAPA-TAVI récemment publiée va certainement modifier la pratique clinique quotidienne. La preuve que les SGLT2i peuvent prévenir les événements d'insuffisance cardiaque et qu'ils sont sûrs dans notre population TAVI, âgée et fragile, en fait un ajout important à la prise en charge TAVI. La question n'est plus de savoir si nous devons prescrire des SGLT2i aux patients souffrant de SA, mais plutôt à partir de quand, étant donné qu'ils peuvent même potentiellement ralentir la progression de la maladie.
Références
- Karakasis, P., Theofilis, P., Patoulias, D., Vlachakis, P.K., Pamporis, K., Sagris, M. et al. Sodium-Glucose Cotransporter 2 Inhibitors in Aortic Stenosis: Toward a Comprehensive Cardiometabolic Approach. Int J Mol Sci, 2025, 26 (10), 4494.
- Nombela-Franco, L., del Trigo, M., Morrison- Polo, G., Veiga, G., Jimenez-Quevedo, P., Abdul-Jawad Altisent, O. et al. Incidence, Causes, and Predictors of Early (≤30 Days) and Late Unplanned Hospital Readmissions After Transcatheter Aortic Valve Replacement. JACC Cardiovasc Interv, 2015, 8 (13), 1748-1757.
- Mack, M.J., Leon, M.B., Thourani, V.H., Pibarot, P., Hahn, R.T., Genereux, P. et al. PARTNER 3 Investigators. Transcatheter Aortic-Valve Replacement in Low-Risk Patients at Five Years. N Engl J Med, 2023, 389 (21), 1949-1960.
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- Raposeiras-Roubin, S., Amat-Santos, I.J., Rossello, X., Ferreiro, R.G., Bermúdez, I.G., Otero, D.L. et al. DapaTAVI Investigators. Dapagliflozin in Patients Undergoing Transcatheter Aortic-Valve Implantation. N Engl J Med, 2025, 392 (14), 1396-1405.
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- Paolisso, P., Belmonte, M., Gallinoro, E., Scarsini, R., Bergamaschi, L., Portolan, L. et al. SGLT2-inhibitors in diabetic patients with severe aortic stenosis and cardiac damage undergoing transcatheter aortic valve implantation (TAVI). Cardiovasc Diabetol, 2024, 23 (1), 420 [erratum in Cardiovasc Diabetol, 2025, 24 (1), 14].
- Shah, T., Zhang, Z., Shah, H., Fanaroff, A.C., Nathan, A.S., Parise, H. et al. Effect of Sodium-Glucose Cotransporter-2 Inhibitors on the Progression of Aortic Stenosis. JACC Cardiovasc Interv, 2025, 18 (6), 738-748.
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