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FRESH-UP : révision d'un dogme ancien
  • Sebastiaan Dhont 

L'insuffisance cardiaque nous confronte quotidiennement à une série de paradoxes. Les patients présentent des symptômes de rétention hydrique, mais se plaignent également de la soif s'ils prennent des diurétiques. Nous tentons de soulager les symptômes congestifs, mais nous imposons des restrictions qui impactent la qualité de vie. L'étude FRESH-UP, présentée dernièrement à l'occasion d'un webinaire de l'ESC (https://esc365.escardio.org/event/2031), souffle un vent nouveau sur le débat autour de la rétention hydrique dans l'insuffisance cardiaque chronique. Ce webinaire a suscité un dialogue dynamique entre la réalité clinique, la nuance physiologique et les dernières recommandations européennes en date. Petit retour critique.

FRESH-UP : plan et résultats de l'étude

L'étude Fluid REStriction in Heart Failure vs Liberal Fluid UPtake (FRESH-UP) a évalué une pratique longtemps appréciée : la limitation de l'apport hydrique chez les patients atteints d'insuffisance cardiaque.1, 2 En dépit de sa vaste application clinique, les preuves relatives à cette prise en charge sont limitées et principalement fondées sur l'intuition clinique.

Dans cette étude ouverte, randomisée, multicentrique, 504 patients ambulatoires atteints d'insuffisance cardiaque chronique (classe NYHA II-III) ont été versés dans un groupe sous restriction hydrique à maximum 1,5 l/jour ou dans un groupe sous prise en charge libérale sans limites fixées (figure 1). Le critère d'évaluation primaire était l'évolution de l'état de santé après trois mois, tel qu'évalué par l'outil hautement validé qu'est le Kansas City Cardiomyopathy Questionnaire Overall Summary Score (KCCQ-OSS). Les critères d'évaluation secondaires étaient la sensation de soif et des événements cliniques tels que mortalité, hospitalisations, besoin de diurétiques ou dégradation de la fonction rénale sur une période de six mois.

Les résultats parlent d'eux-mêmes : la qualité de vie s'est améliorée chez les patients randomisés vers un apport hydrique libre, tandis qu'elle s'est légèrement détériorée dans le groupe sous restriction hydrique. La différence entre les deux groupes n'a toutefois pas atteint le seuil de signification statistique (KCCQ-OSS 74,0 vs 72,2 ; p = 0,06). Un autre résultat est en revanche frappant : les participants sous restriction hydrique ont signalé souffrir considérablement plus de la soif. Pour ce qui concerne les critères d'évaluation de la sécurité - dont la mortalité, les hospitalisations et la nécessité de prendre des diurétiques - les investigateurs n'ont pas constaté de différences. Ces résultats démontrent qu'une restriction hydrique stricte ne produit pas de bénéfice clinique et nuit possiblement à la qualité de vie. L'idée que nous pouvons maîtriser la congestion en limitant l'apport hydrique doit être remise en cause.

Réflexion physiologique : l'équilibre entre hydratation et congestion

Le raisonnement traditionnel qui soustend la restriction hydrique est simple : un coeur faible induisant une rétention hydrique, il semble logique de boire moins. Mais les connaissances physiologiques modernes prouvent que cette logique est trop simpliste.3

Dans l'insuffisance cardiaque, une cascade neurohormonale complexe est activée (SRAA, système rénine-angiotensine-aldostérone sympathique, vasopressine). Bien que ces systèmes soient utiles en phase aiguë, ils peuvent (en cas d'insuffisance cardiaque chronique) conduire à un trouble de l'équilibre hydrosodé. Chez les patients traités par un schéma médicamenteux optimal (comme dans l'étude FRESH-UP), l'osmorégulation et le stimulus de la soif restent souvent intacts. L'organisme est généralement capable de sécréter lui-même un surplus d'eau, sauf en présence d'une insuffisance cardiaque avancée ou d'une hyponatrémie sévère.

Un principe essentiel souvent négligé est que les pertes sodées sont plus importantes que les pertes hydriques dans le traitement de la congestion. En effet, l'urine est toujours hypotonique par rapport au plasma. Cela signifie que les reins perdent de l'eau en quantités proportionnelles au sel, et qu'une hydratation adéquate est nécessaire pour garantir une excrétion efficace du sodium. Une restriction hydrique rigoureuse peut entraver cette natriurèse, ce qui diminue l'efficacité du traitement de décongestion et augmente le risque de troubles électrolytiques.

Une restriction hydrique peut en outre avoir des effets paradoxaux. Elle stimule la sécrétion de vasopressine et augmente la concentration de sodium dans le sérum, ce qui pousse les reins à maximiser leur rétention d'eau. Le résultat est que les patients boivent moins, mais retiennent relativement plus d'eau. La sensation constante de soif peut par ailleurs nuire à l'observance thérapeutique et avoir une influence négative sur le bien-être du patient. Pour une profonde réflexion sur la physiologique sous-jacente, nous renvoyons au récent document de consensus de la Heart Failure Association (HFA), qui s'étend largement sur les mécanismes de l'équilibre hydrosodé dans l'insuffisance cardiaque.3 Il prédisait déjà les résultats de l'étude FRESH-UP sur la base de la (patho)physiologie.

Recommandations européennes : du dogme à la nuance

Les recommandations de l'ESC (2021) ont déjà pris de la distance avec la prescription rigide d'une restriction hydrique.4 Là où on appliquait autrefois des limitations standard, les recommandations conseillent aujourd'hui une approche plus réservée : une restriction à 1,5-2 l/jour n'est envisagée que chez les patients qui présentent de graves symptômes, notamment en cas d'hyponatrémie ou de congestion réfractaire. Dans le même temps, les recommandations insistent sur l'importance d'éviter une prise hydrique excessive, y compris chez les patients atteints d'insuffisance cardiaque chronique. Le récent document de consensus de la HFA va encore plus loin, comme le résume la figure 2. Il indique qu'une restriction hydrique (et sodée) est rarement nécessaire en cas d'insuffisance cardiaque sous traitement médicamenteux optimal et qu'une 'consommation d'eau proportionnelle à la soif' doit constituer l'approche standard.

Considération finale

L'étude FRESH-UP nous invite à porter un regard critique sur une vieille habitude. La restriction hydrique n'offre pas d'avantages notables et peut impacter la qualité de vie. En notre qualité de cliniciens, nous devons oser prêter attention tant à la physiologie qu'aux expériences de nos patients. La soif n'est pas un ennemi, mais un signal que nous limitons peut-être trop. Nous devons apprendre à voir la différence entre congestion et hydratation ; nous voulons éliminer la congestion, mais nous devons conserver l'hydratation.

Références

  1. Herrmann, J.J., Beckers-Wesche, F., Baltussen, L.E.H.J.M., Verdijk, M.H.I., Bellersen, L., Brunner-La Rocca, H-P. et al. Fluid REStriction in Heart Failure vs Liberal Fluid UPtake: Rationale and Design of the Randomized FRESH-UP Study. J Card Fail, 2022, 28 (10), 1522-1530.
  2. Herrmann, J.J., Brunner-La Rocca, H.P., Baltussen, L.E.H.J.M., Beckers-Wesche, F., Bekkers, S.C.A.M., Bellersen L. et al. Liberal fluid intake versus fluid restriction in chronic heart failure: a randomized clinical trial. Nat Med, 2025, 31 (6), 2062-2068.
  3. Mullens, W., Damman, K., Dhont, S., Banerjee, D., Bayes-Genis, A., Cannata, A. et al. Dietary sodium and fluid intake in heart failure. A clinical consensus statement of the Heart Failure Association of the ESC. Eur J Heart Fail, 2024, 26 (4), 730-741.
  4. McDonagh, T.A., Metra, M., Adamo, M., Gardner, R.S., Baumbach, A., Böhm, M. et al. 2021 ESC Guidelines for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failureDeveloped by the Task Force for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure of the European Society of Cardiology (ESC) With the special contribution of the Heart Failure Association (HFA) of the ESC. Eur Heart J, 2021, 42 (36), 3599-3726.

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