À l'heure actuelle, l'insuffisance cardiaque à fraction d'éjection préservée (HFpEF) est la forme la plus fréquente d'insuffisance cardiaque, et elle reste un défi diagnostique et thérapeutique. On ne peut plus nier que la pandémie d'obésité contribue à l'augmentation de la prévalence de l'HFpEF.1
L'HFpEF induite par l'obésité : une entité physiopathologique
L'obésité est fortement associée au risque de développer une HFpEF.2 De plus, cette relation présente un caractère doseréponse évident à mesure que l'IMC augmente : dans une cohorte de < 50 000 personnes, un IMC croissant a été corrélé à un risque plus élevé de développer une HFpEF, alors que ce lien s'est avéré moins constant pour l'insuffisance cardiaque à fraction d'éjection réduite (HFrEF).3
Chez les patients souffrant d'HFpEF, l'obésité a des effets additionnels : diminution de la qualité de vie, diminution considérable de la capacité à l'effort et augmentation du risque d'hospitalisation (ou de réhospitalisation) pour insuffisance cardiaque.4 Chez ces patients, il existe également une association claire entre l'adiposité abdominale et une mortalité accrue, du moins lorsqu'on utilise les mesures directes de l'obésité abdominale, telles que le rapport taille-hanches.5 Toutefois, cette observation ne nous dit encore rien quant aux effets potentiellement bénéfiques d'une perte de poids intentionnelle en cas d'HFpEF. Pour cela, des études randomisées portant sur la perte de poids sont indispensables (voir plus loin).
L'adiposité excessive est un mécanisme physiopathologique important pour le développement de l'HFpEF, notamment en raison de l'inflammation systémique de bas grade, de la résistance à l'insuline et de l'activation neurohormonale.6 Les dépôts graisseux viscéraux et cardiaques jouent un rôle central : la graisse épicardique est métaboliquement active, elle est en contact direct avec le myocarde et sécrète des médiateurs qui stimulent la fibrose et l'hypertrophie ; la graisse péricardique contribue mécaniquement à une diminution du remplissage.7 Des examens hémodynamiques invasifs et des techniques d'imagerie ont démontré de manière convaincante l'impact fonctionnel de ces dépôts graisseux sur l'HFpEF : une quantité plus importante de graisse épicardique est corrélée à des pressions de remplissage plus élevées, une plus grande rigidité ventriculaire et une moins bonne capacité à l'effort.8 Outre les effets cardiaques, il existe des contributions périphériques : l'infiltration graisseuse dans les muscles et la diminution de la capacité mitochondriale limitent l'extraction d'oxygène pendant l'effort, renforçant ainsi la dyspnée et la fatigue.6 Cette biologie intégrée donne lieu au phénotype d'HFpEF 'cardiométabolique', dans lequel l'obésité agit comme un facteur en amont, ayant des effets tant systémiques que myocardiques.9
Dans ce contexte, l'hypothèse des adipokines récemment avancée trouve certainement une place.10 Cette hypothèse postule que l'HFpEF se développe essentiellement suite à l'expansion du tissu adipeux viscéral et péricardique dysfonctionnel avec une sécrétion déréglée d'adipokines, lesquelles provoquent une inflammation systémique, une expansion du volume plasmatique et une fibrose/ hypertrophie cardiaque. Ce modèle explique le lien épidémiologique étroit entre l'obésité et l'HFpEF et offre en même temps des pistes thérapeutiques : des traitements qui réduisent la masse graisseuse et rétablissent l'homéostasie des adipokines (p. ex. GLP-1RA, agonistes doubles GIP/GLP-1R et, dans certains cas, chirurgie bariatrique) pourraient influencer favorablement la physiopathologie et l'issue de l'HFpEF.10
Défis diagnostiques
Sur le plan diagnostique, le phénotype de l'HFpEF associée à l'obésité est souvent traître. Des symptômes tels que la dyspnée et la fatigue présentent un chevauchement avec des plaintes pouvant être attribuées à l'obésité elle-même, et les signes cliniques de congestion sont parfois difficiles à objectiver. L'évaluation échocardiographique, souvent suboptimale, ne montre souvent que des anomalies diastoliques subtiles lors des mesures au repos, de sorte qu'on exclut à tort le diagnostic. Dans ce cas, l'échocardiographie à l'effort ou l'hémodynamique invasive pendant un effort sont recommandées pour objectiver l'augmentation des pressions de remplissage et une réserve limitée.11
Les valeurs réduites des peptides natriurétiques en cas d'obésité constituent un autre piège diagnostique : les valeurs de BNP et de NT-proBNP sont typiquement plus faibles, parfois même normales, malgré une physiologie d'HFpEF évidente.12 D'un point de vue mécanistique, ceci repose sur une diminution de la sécrétion et une augmentation de la clairance des peptides natriurétiques, mais aussi sur une atténuation de l'activité du BNP via une densité NPR-A plus faible et une transduction du signal en aval.13 Compte tenu de cette diminution linéaire des peptides avec un IMC croissant, la HFA recommande d'abaisser les seuils diagnostiques d'environ 50 % chez les personnes obèses. Cette proposition doit toutefois encore être validée.14 Il en résulte que si on se fie principalement aux peptides natriurétiques, il peut y avoir un sous-diagnostic systématique, assurément en première ligne et aux urgences.
L'obésité, cible thérapeutique en cas d'HFpEF
Une perte de poids intentionnelle est recommandée en cas d'HFpEF associée à l'obésité. Dans une étude randomisée menée auprès de patients obèses souffrant d'HFpEF (n = 100, âge moyen 67 ans), une restriction calorique ou un entraînement aérobie a permis d'améliorer la capacité à l'effort. La combinaison d'un régime et d'un entraînement physique a eu un effet additif et a entraîné une perte de poids moyenne d'environ 10 %.15 Ce bénéfice clinique s'inscrit dans une explication mécanistique d'une amélioration de l'extraction périphérique de l'oxygène, d'une diminution de l'inflammation et d'effets bénéfiques sur la fonction diastolique, même si la perte de poids n'est pas extrême.
En cas d'obésité morbide, la chirurgie bariatrique peut être envisagée. On ne dispose pas de données issues d'ECR prospectives portant sur l'HFpEF, mais dans un grand registre rétrospectif portant sur 296 041 patients opérés, une intervention bariatrique était associée à un risque moindre d'hospitalisation pour IC diastolique.16 Des études de cohorte montrent en outre une régression de l'hypertrophie ventriculaire gauche, une diminution de la graisse épicardique/viscérale, une diminution de l'inflammation systémique/de l'insulinorésistance et une amélioration de l'hémodynamique mesurée de manière invasive.17 Bien que ces études soient sensibles à un biais d'observation, elles soutiennent le concept selon lequel une perte de poids substantielle et durable peut inverser la biologie de l'HFpEF.
La plus grande avancée vient des incrétinomimétiques. Dans l'étude STEP-HFpEF (n = 529, IMC > 30 kg/m²), une dose hebdomadaire de 2,4 mg de sémaglutide a été associée à une perte pondérale plus marquée comparativement au placebo (+ 10,7 kg de perte pondérale) et a clairement amélioré la qualité de vie et le test de marche de 6 minutes (6MWD) ; la hsCRP a considérablement diminué. Les bénéfices ont été observés dans toutes les classes d'IMC, avec une relation doseréponse en fonction du degré de perte de poids, et ce dans tous les sous-groupes de FE.18 Dans l'étude STEP-HFpEF-DM (n = 616) chez des patients souffrant d'HFpEF et de diabète de type 2 (DT2), le sémaglutide a entraîné une perte pondérale plus importante et une diminution plus marquée des symptômes d'IC, ainsi qu'une amélioration plus importante du 6MWD.19 Une analyse groupée des deux études a confirmé une diminution significative du NT-proBNP et une amélioration des symptômes et des limitations physiques comparativement au placebo.20
Plus tôt cette année, on a publié les résultats CV d'une étude sur le tirzépatide (jusqu'à 15 mg par voie sous-cutanée un fois par semaine) en cas d'HFpEF et d'obésité (n = 731, IMC > 30 kg/m²).21 Le tirzépatide a diminué la mortalité CV ou la détérioration de l'IC (9,9 % dans le groupe tirzépatide vs 15,3 % dans le groupe placebo (hazard ratio 0,62 ; IC 95 % 0,41 à 0,95 ; p = 0,026)). Plus précisément, on a observé que les événements d'aggravation de l'IC étaient moins fréquents dans le groupe tirzépatide, mais qu'il n'y avait aucune différence en termes de mortalité CV entre le tirzépatide et le placebo. Dans une analyse secondaire de l'étude SUMMIT, l'IRM cardiaque a permis de montrer que le tirzépatide réduisait la masse ventriculaire gauche (-11 g) et le tissu adipeux paracardiaque (-45 ml) comparativement au placebo.22
L'hypothèse dite 'des adipokines' relie ces preuves issues des études cliniques à la biologie sous-jacente. Le concept prédit que les interventions qui réduisent considérablement la masse graisseuse interne - rétablissant ainsi l'équilibre des adipokines - améliorent également l'HFpEF de manière mécanistique : moins d'inflammation et d'activation neurohormonale, diminution de l'expansion du volume plasmatique, régression de la fibrose et réduction du péricardique. Le fait que les agonistes du GLP-1 et du GLP-1/GIP puissent avoir des effets directs en plus de la perte de poids (anti-inflammatoires, antifibrotiques) fait actuellement l'objet d'études.10

Et l'avenir( ?)
Il subsiste d'importantes lacunes dans les connaissances. Premièrement, le timing de l'intervention : la pharmacothérapie doit-elle débuter au stade de pré-HFpEF ou seulement lorsque la maladie devient symptomatique( ?) Deuxièmement, la stratégie combinée : les inhibiteurs du SGLT2 et les agonistes du GLP-1/(GIP) sont-ils complémentaires ou leurs voies se chevauchent-elles( ?) Troisièmement, les effets cardiaques existent-ils indépendamment de la perte de poids (p. ex. via une modulation directe des adipokines, de l'endothélium ou de la fibrose)( ?) Quatrièmement, le positionnement de la chirurgie bariatrique par rapport à la pharmacothérapie en termes de réduction des événements CV. Cinquièmement, le besoin de meilleurs critères de substitution (marqueurs radiologiques de la fonction microvasculaire et de la fibrose ; biomarqueurs circulants moins sensibles à l'IMC que les PN). Pour répondre à ces questions, nous attendons avec impatience les futures études cliniques axées sur l'adiposité en tant que cible thérapeutique dans l'HFpEF.
En pratique, cela signifie que l'obésité en cas d'HFpEF n'est pas une comorbidité, mais un mécanisme physiopathologique crucial et une cible thérapeutique. Sur le plan diagnostique, il faut faire preuve de nuance : soyez méfiant en cas de valeurs de PN normales, envisagez des seuils réduits et utilisez l'échocardiographie à l'effort ou l'hémodynamique invasive si nécessaire. Sur le plan thérapeutique, des interventions sur le style de vie et, le cas échéant, la chirurgie bariatrique sont recommandées. Les inhibiteurs du SGLT2 constituent une base avec une réduction déjà prouvée des événements en cas d'HFpEF (indépendamment de la présence d'obésité), mais les agonistes du GLP-1/(GIP) ont des effets puissants sur la qualité de vie et peut-être aussi sur les événements d'IC. Il est certain que ce domaine est en pleine évolution, l'accent étant désormais mis sur un traitement de l'HFpEF axé sur l'adiposité.
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