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La stratégie adéquate pour corriger la carence martiale chez les patients souffrant d'insuffisance cardiaque
  • Pieter Martens

Introduction

La carence martiale est considérée comme l'une des comorbidités les plus fréquentes chez les patients souffrant d'insuffisance cardiaque, avec une prévalence de l'ordre de 50 %.1 La carence martiale, définie comme un taux de ferritine < 100 μg/l ou comme un taux de ferritine compris entre 100 et 300 μg/l en présence d'une saturation de la transferrine < 20 %, est associée à une altération de la qualité de vie, à une diminution de la tolérance à l'effort et à un risque accru d'insuffisance cardiaque, d'hospitalisation et de mortalité,2 même sans anémie.3 La physiopathologie de la carence martiale chez les patients insuffisants cardiaques est multifactorielle. D'une part, différents mécanismes peuvent induire une réelle carence en fer de l'organisme (carence martiale absolue), tels qu'une réduction de l'absorption gastro-intestinale (consommation de thé, inhibition de la pompe à protons, etc.) ou des saignements gastro-intestinaux chroniques.4 D'autre part, la régulation positive chronique de médiateurs de l'inflammation réduit la biodisponibilité du fer (carence martiale fonctionnelle). À ce jour, plusieurs études randomisées en double aveugle ont montré que l'administration de fer par voie intraveineuse (fer(III)-carboxymaltose) induit une amélioration de la qualité de vie et de la tolérance à l'effort des patients présentant une insuffisance cardiaque et une diminution de la fraction d'éjection (HFrEF).5-7 À la suite de ces résultats, la recommandation européenne de 2016 pour le traitement de l'insuffisance cardiaque préconise de dépister la carence martiale avec preuves IC et de traiter par du fer(III)-carboxymaltose intraveineux (Injectafer©) (preuves IIa).8 Cet article examine la place de deux articles publiés récemment sur le traitement de la carence martiale chez les patients présentant une HFrEF.9, 10

Rôle du fer administré par voie orale: étude IRONOUT-HF

Depuis 2009, des données probantes issues de l'étude FAIR-HF ont montré que l'administration de fer par voie intraveineuse améliore la qualité de vie et la tolérance à l'effort chez les patients souffrant d'une HFrEF et d'une carence en fer.5 Toutefois, il n'existait jusqu'ici aucune étude randomisée qui ait évalué l'effet du fer administré par voie orale dans cette indication. Une petite analyse rétrospective menée chez des patients présentant une HFrEF a suggéré que le fer administré par voie orale n'induit qu'une augmentation limitée du taux de ferritine et de la saturation de la transferrine. 11 L'étude IRONOUT-HF est la première étude randomisée prospective en double aveugle à avoir évalué l'effet de l'administration de fer par voie orale chez les patients atteints d'une HFrEF.10 Au total, 225 patients ont été inclus sur une période de 14 mois dans 23 centres américains participant à l'étude. Les patients présentant une insuffisance cardiaque symptomatique (≥ classe II selon la classification de la New York Heart Association) et une fraction d'éjection inférieure à 40 % associée à une carence martiale avérée (telle que définie plus haut) ont été randomisés pour recevoir le placebo ou un traitement oral à base de fer (complexe polysaccharide-fer 150 mg 2 x/jour). Seuls les patients ayant pu passer une cyclo-ergospirométrie qualitative ont été randomisés, le critère d'évaluation primaire étant l'évolution de la capacité maximale d'absorption d'oxygène (VO2max). Après 16 semaines de traitement, le groupe recevant un traitement oral à base de fer n'a pas présenté d'évolution significative de la VO2max par rapport au groupe témoin. Cet effet neutre du fer administré par voie orale s'est également reflété dans les critères d'évaluation secondaires, à savoir: pas d'évolution significative au niveau du NT-proBNP, du test de marche de 6 minutes ou des scores d'insuffisance cardiaque (Kansas City Cardiomyopathy Questionnaire), ni au niveau des autres mesures de cyclo-ergospirométrie. Un aspect particulièrement passionnant de l'étude IRONOUT-HF était le décryptage du mécanisme responsable de l'échec du traitement oral à base de fer. L'étude IRONOUT-HF a montré que la concentration sanguine d'hepcidine est augmentée en cas d'insuffisance cardiaque. L'hepcidine fait l'objet d'une régulation positive en cas d'inflammation chronique et entraîne notamment une diminution de l'absorption entérale du fer. En outre, le traitement oral à base de fer induit même une régulation positive supplémentaire de l'hepcidine chez les patients insuffisants cardiaques, ce qui explique l'incapacité du fer administré par voie orale à alimenter les réserves de fer, même si la dose totale du traitement oral à base de fer était 15 fois plus élevée que la dose administrée durant le traitement par fer intraveineux dans l'étude FAIR-HF (33,6 g. vs 2 g, respectivement).

L'effet potentiel du fer(III)- carboxymaltose sur les critères d'évaluation concrets

Malgré l'effet favorable probant de l'administration de fer(III)-carboxymaltose sur les symptômes d'insuffisance cardiaque, la qualité de vie et la tolérance à l'effort, l'effet sur les critères d'évaluation concrets reste inconnu. Une méta-analyse antérieure, qui a examiné différentes préparations de fer intraveineux, a suggéré non seulement une amélioration des critères d'évaluation de substitution, mais aussi une réduction du critère d'évaluation combiné, incluant la mortalité cardiovasculaire et l'hospitalisation d'origine cardiovasculaire.12 Toutefois, cette méta-analyse a étudié une population hétérogène, car les études reposaient sur différentes définitions de la carence martiale. Dans une nouvelle méta-analyse, publiée dans The European Journal of Heart Failure, les Pr Anker et collègues ont examiné l'effet du fer(III)-carboxymaltose sur les critères d'évaluation concrets chez les patients atteints d'insuffisance cardiaque, et ce, au sein d'une population de patients homogène.9 Seules des études contrôlées par placebo, comprenant une population de patients similaire ainsi que des critères d'inclusion et des interventions similaires, ont été incluses dans la méta-analyse (tableau 1). En outre, les auteurs disposaient d'une base de données complète des études individuelles, ce qui a permis de procéder à une évaluation statistique plus robuste (c.-à-d. à une analyse des événements répétés, en plus de l'analyse classique du délai avant le premier événement). Au total, 844 patients atteints d'une HFrEF ont été examinés dans le cadre de la méta-analyse, dont 504 avaient bénéficié d'un traitement intraveineux par fer(III)-carboxymaltose et 335 avaient reçu un placebo. Sur une période de suivi moyenne de 31 semaines, la proportion de patients atteints d'une HFrEF ayant présenté le critère d'évaluation combiné (mortalité cardiovasculaire et hospitalisation d'origine cardiovasculaire) était significativement plus faible dans le groupe recevant du fer intraveineux (rapport de taux = 0,59, IC = 0,40-0,88, p = 0,009); cette différence s'expliquait principalement par la réduction du nombre d'hospitalisations. Cet effet favorable du fer(III)-carboxymaltose a été prouvé à la fois dans l'analyse des événements répétés et dans l'analyse classique du délai avant le premier événement. Cette dernière analyse ne tient pas compte des épisodes répétés d'insuffisance cardiaque. Cette méta-analyse montre clairement que la présence d'une comorbidité chronique (carence martiale) augmente le risque d'hospitalisations répétées pour insuffisance cardiaque. Si une hospitalisation avait lieu malgré tout, la durée de l'hospitalisation pour insuffisance cardiaque était plus courte dans le groupe fer(III)-carboxymaltose que dans le groupe placebo (durée médiane de 10 vs 12 jours, respectivement). Par ailleurs, l'incidence des effets indésirables était identique dans le groupe placebo et dans le groupe fer(III)-carboxymaltose. Traditionnellement, l'administration de fer intraveineux est abordée avec la prudence qui s'impose. Cette attitude est surtout guidée par l'observation selon laquelle la première génération de préparations de fer intraveineuses a été associée à des réactions anaphylactiques. Toutefois, il faut savoir que ce n'est pas le fer luimême qui provoque la réaction anaphylactique, mais l'enveloppe d'amidon qui entoure la molécule de fer. Chaque préparation de fer intraveineuse se compose de molécules ayant un noyau de fer et une enveloppe d'amidon. Les premières générations de fer intraveineux utilisaient des dextranes, associées à des réactions anaphylactiques. Ce n'est pas le cas du fer(III)-carboxymaltose, car l'enveloppe d'amidon consiste ici en carboxymaltose.

Conclusions

Tant l'étude IRONOUT-HF que la méta-analyse ont permis de mieux cerner le traitement de la carence martiale chez les patients présentant une HFrEF.9, 10 L'étude IRONOUT-HF montre incontestablement que le fer administré par voie orale n'est pas assimilé. La seule stratégie adéquate pour corriger la carence martiale chez les patients souffrant d'une HFrEF est donc l'alimentation intraveineuse. La méta-analyse de différentes études menées avec le fer(III)-carboxymaltose suscite l'espoir que le fer administré par voie intraveineuse puisse améliorer non seulement les critères d'évaluation de substitution, mais aussi influencer les critères d'évaluation concrets. Notons cependant que cette méta-analyse était composée d'études individuelles qui disposaient chacune d'une puissance statistique insuffisant e pour évaluer un effet sur les critères d'évaluation concrets. La réponse définitive à la question de savoir si le fer intraveineux a un effet sur l'hospitalisation pour insuffisance cardiaque ou la mortalité cardiovasculaire devra être apportée par des études randomisées dotées d'une puissance suffisante. Quatre études randomisées multicentriques sont en cours à ce jour, décrites plus en détail au tableau 2.

Références

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  3. Martens, P., Verbrugge, F., Nijst, P., Dupont, M., Tang, W.H., Mullens, W. Impact of Iron Deficiency on Response to and Remodeling After Cardiac Resynchronization Therapy. Am J Cardiol, 2017, 119 (1), 65-70.
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