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Syndrome de Tako-Tsubo diagnostiqu é apr ès une crise d ' épilepsie: à propos d 'un cas clinique
  • Emilie Timmery , Antoine de Meester

Introduction

Le syndrome de Tako-Tsubo, appel é également 'broken heart disease, myocardial stunning disease ou encore stress-induced cardiomyopathy ' est une d éfaillance cardiaque gauche aigu ë, cons équence d 'un stress physique ou émotionnel et li é à une d écharge cat écholaminergique.1 Le terme 'Tako-Tsubo ' provient de la ressemblance du ventricule gauche, objectiv é lors de l 'angiographie ventriculaire, avec la forme de l 'amphore, à la base élargie et au collet étroit, servant de pi ège à pieuvres pour les p êcheurs japonais (en japonais, pieuvre se dit 'tako ' et vase se dit 'tsubo '). La clinique de cette pathologie est celle d 'un syndrome coronaire aigu avec un ECG compatible, une échographie cardiaque montrant le plus souvent, une large akin ésie apicale du ventricule gauche, une coronarographie sans l ésion coronaire significative et des enzymes cardiaques augment és mais non proportionnellement à la s év érit é de la dysfonction myocardique.1-2

Nous pr ésentons le cas d 'une patiente ayant souffert d 'un syndrome de Tako-Tsubo dans le d écours d 'une crise d ' épilepsie tonico-clonique (ou crise de type 'grand mal '), association rare mais de plus en plus rapport ée dans la litt érature depuis une dizaine d 'ann ées.3-6 Cette affection pourrait être une des causes de SUDEP (Sudden Unexplained Death in Epilepsy). Nous verrons qu 'il est, de ce fait, actuellement recommand é de faire un suivi t él ém étrique et un dosage du taux de troponine chez tout patient suspect, m ême sans ant éc édents ou plaintes cardiaques apr ès une crise d ' épilepsie.4, 7-8

R ésum é de l 'observation clinique

Une femme de 63 ans est amen ée à l 'h ôpital par le SMUR pour une crise tonico-clonique, objectiv é par sa fille, dans le cadre d 'un sevrage éthylique r écent. La patiente est retrouv ée en état postcritique, avec reprise progressive de la conscience à l 'arriv ée du SMUR. Une r écidive de crise épileptique apparait rapidement par la suite. La patiente est alors trait ée par clonidine et diazepam aux soins intensifs, ce qui permet une stabilisation de son état. Un scanner c ér ébral permet d 'exclure une h émorragie c ér ébrale. Dans le d écours de son hospitalisation (+36 heures), sans r écidive de crises tonico-cloniques, apparaissent des troubles de repolarisation au monitoring cardiaque. L ' électrocardiogramme 12-d érivations (ECG) montre des anomalies de repolarisation diffuses dans le territoire ant érolat éral (ondes T n égatives) (figure 1). Nous objectivons également une majoration du taux de troponine à 163 pg/mL (N < 14 pg/ml). Signalons que la patiente ne pr ésente aucune douleur ni aucune plainte à l 'anamn èse. Elle est connue pour un alcoolisme chronique avec des p ériodes de sevrage compliqu é d 'une polyneuropathie, une hypertension trait ée, un diab ète de type II non insulino- d épendant et une ath éromateuse non compliqu ée des membres inf érieurs. Son traitement journalier est le suivant: bisoprolol 5 mg, pr égabaline 150 mg, escitalopram 10 mg, metformine 850 mg, atorvastatine 40 mg et spironolactone/ altizide 25 mg/15mg. Elle n 'a aucun ant éc édent personnel ou familial de maladie coronaire.

L ' échocardiographie met en évidence une hypokin ésie franche dans le territoire apical et ant éro-apical, avec une fraction d ' éjection du ventricule gauche conserv é à 55 %. Vu les facteurs de risque coronaire, les modifications ECG et échographiques, une coronarographie est r éalis ée mais ne met en évidence aucune l ésion coronaire significative. Par contre, la ventriculographie montre l 'image typique d 'akin ésie apicale et de contractilit é normale de la base du ventricule gauche (figure 2). Par la suite, l ' évolution cardiaque a ét é tout à fait satisfaisante; la patiente a pu rentrer à son domicile avec comme traitement associant bisoprolol 2,5 mg (dose r éduite vu une fr équence cardiaque basse), perindoprill 5 mg et spironolactone / altizide 25 mg/15 mg.

Discussion du cas clinique

Le syndrome de Tako-Tsubo est pour la premi ère fois d écrit en 1990.9 Il s 'agit d 'une insuffisance cardiaque gauche, r éversible, le plus souvent apr ès un stress émotionnel ou physique, positif ou n égatif, bien que parfois aucun facteur d éclenchant ne puisse être retrouv é. Il évoque cliniquement le tableau d 'un syndrome coronarien aigu: douleur thoracique, dyspn ée, palpitations.1, 5 Signalons que bien souvent le patient pr ésentant un syndrome de Tako-Tsubo apr ès une crise d ' épilepsie ne se plaint pas de douleur thoracique.7

Lors du bilan de l 'affection, une coronarographie (ou un angioscanner) est recommand ée afin d 'exclure une thrombose coronaire.1 Le syndrome de Tako-Tsubo se d éfinit par un ensemble de sept crit ères r ésum és dans le tableau 1. Son diagnostic repose sur quatre examens paracliniques1, 5

  • l 'ECG montre une él évation du segment ST, une modification de l 'onde T, et/ou un allongement du segment QT;
  • l ' échographie cardiaque o ù une akin ésie apicale associ ée à une base du ventricule gauche hyperkin étique est observ é, avec fr équemment une alt ération de la faction d ' éjection du ventricule gauche;
  • la coronarographie qui, le plus souvent, exclut des st énoses coronaires ou une occlusion thrombotique. Environ 15 % de patients avec un syndrome de Tako-Tsubo ont une maladie coronaire significative à l 'angiographie.5
  • les enzymes cardiaques sont augment és, mais peu proportionnellement à la gravit é de la dysfonction myocardique.

Bien que l 'incidence exacte du syndrome de Tako-Tsubo ne soit pas encore connue, il apparait que ce syndrome est plus fr équent que suppos é.1 Les facteurs de risque les plus communs sont le fait d ' être une femme, de plus de 60 ans et m énopaus ée, ainsi que d 'avoir des origines japonaises ou asiatiques. Les patients ont une pr évalence plus importante d 'affections neurologiques ou psychiatriques que ceux avec un syndrome coronaire aigu.5

Le pronostic est g én éralement favorable avec une r écup ération ad integrum de la fonction cardiaque en quelques semaines. Toutefois des complications aigu ës sont possibles notamment un choc cardiog énique, la formation de thrombus, l 'apparition d 'arythmies, voir le d éc ès.1 Le tableau 2 reprend l 'incidence des principales complications observ ées.

Le traitement d 'un syndrome de Tako-Tsubo prend en compte la gravit é de la d éfaillance cardiaque et il est aussi pr éconis é de traiter le facteur d éclenchant. Il faut proposer un traitement supportif et éviter les complications. Un monitoring électrocardiographique est indiqu é vu le risque d 'arythmies ventriculaires l étales. Notre équipe a d écrit un cas de mort subite r écup ér ée.10 En cas d 'alt ération de la fraction d ' éjection du ventricule gauche, le traitement de l 'insuffisance cardiaque est indiqu é par les recommandations, notamment par l 'utilisation de b établoquants et d 'IEC (inhibiteurs de l 'enzyme de conversion). Signalons que l 'utilisation de cat écholamines et autres drogues vasoactives est controvers ée en aigu, vu leur r ôle dans la physiopathologie d écrite ci-dessous.1 Des auteurs ont publi é l 'utilisation du levosimendan, un inotrope sensibilisateur calcique, non-adr énergique, comme alternative dans les cas de choc cardiog énique.11

En ce qui concerne la physiopathologie d 'un syndrome de Tako-Tsubo, de nombreuses interrogations demeurent: une susceptibilit é g én étique vu la pr évalence des cas augment ée au Japon, une d éficience en oestrog ènes vu le nombre de cas observ és chez des femmes m énopaus ées, et enfin une atteinte globale m étabolique (d étect ée au Pet-Scan) induite par le stress plut ôt qu 'une atteinte territoriale vasculaire.5-12 La th éorie la plus privil égi ée actuellement est celle de la d écharge cat écholaminergique disproportionn ée du syst ème m édullaire sympatho- adr énal. Lors d 'un stress, le taux syst émique des cat écholamines endog ènes augmente et jouerait un r ôle toxique sur les cardiomyocytes et l 'endoth élium vasculaire. Certains auteurs ont parl é de dysfonction de la microcirculation ou de micro-spasmes coronaires suite à une vasoconstriction importante. Il existe un lien tr ès puissant entre le coeur et le cerveau, d 'une part anatomique, via le syst ème nerveux autonome et, d 'autre part, hormonal via l 'axe hypothalamique et hypophysaire suprar énal; ce dernier peut être à l 'origine d 'une lib ération de cortico ïdes, avec augmentation de la contractilit é cardiaque et du tonus vasomoteur.13 Notre équipe avait d écrit un cas 'iatrog ène ', secondaire à l 'injection erron ée d 'adr énaline.14

Les anomalies échocardiographiques dans le syndrome de Tako-Tsubo sont compatibles avec le fait d 'avoir une innervation autonomique plus dispers ée de la base vers l 'apex du ventricule gauche, alors que le nombre de r écepteurs β2 adr énergiques, avec activit é inotrope n égative, diminue des segments apicaux à la base.13 La dysfonction myocardique r égionale observ ée n 'a pas une distribution compatible avec une atteinte d 'un territoire vasculaire.

La crise d ' épilepsie est connue comme facteur causal d 'un syndrome de Tako-Tsubo;3-8 l 'hypoth èse la plus probable est qu 'une crise tonico-clonique ou un état de mal épileptique d éclencherait une activation du syst ème nerveux orthosympathique causant, de ce fait, une augmentation des cat écholamines syst émiques. La d éfaillance cardiaque gauche, avec d étresse respiratoire aigu ë, pourrait expliquer certains cas de SUDEP (Sudden Unexpected Death in Epilepsy). De plus, une possibilit é de fibrillation ventriculaire l étale est aussi d écrite. Le taux de cat écholamines syst émiques serait d épendant de la dur ée et de l 'intensit é des crises. Un traitement pr éventif de 'l 'orage cat écholaminergique ' notamment par des alpha- et b établoquants, pourrait jouer un r ôle protecteur chez les patients à risque de SUDEP. Ceux-ci sont les patients, souvent de sexe masculin, avec un d ébut pr écoce de maladie épileptique et des crises g én éralis ées tonico-cloniques r ép ét ées. La fr équence de syndrome de Tako-Tsubo apr ès crise d ' épilepsie serait de 1 %.2 Une relation avec des cas de SUDEP est suspect ée, d 'o ù la recommandation d 'un suivi intensif avec un monitoring cardiaque.7-8 De plus, vu la possibilit é de r écidive de syndrome de Tako-Tsubo apr ès une crise d ' épilepsie, leur traitement épileptique doit être renforc é.7

Toutefois, tous les experts ne partagent pas cet avis, vu l ' évolution spontan ée le plus souvent favorable de l 'affection, quel que soit le traitement cardiaque, dont l 'usage de prophylactique par b établoquants; celui-ci ne serait donc pas n écessaire chez tous les patients épileptiques à risque de syndrome de Tako-Tsubo.8

Il existe de multiples causes d 'origine neurologique stressantes comme 'trigger ' (d éclencheur) d 'un syndrome de Tako-Tsubo: des urgences neurochirurgicales aigu ës (h émorragies c ér ébrales, traumatismes c ér ébraux ou spinaux), des enc éphalites ou des accidents vasculaires c ér ébraux (AVC).1, 5 L 'interaction coeur-cerveau et sa physiopathologie est un sujet de recherche permanente.15 Peu importe la l ésion neurologique retrouv ée, les m êmes cascades seraient impliqu ées: la neuro-inflammation locale, l 'augmentation de la pression intracr âniale et l 'activation de voies neuroendocrines. Le tout entrainerait une augmentation cat écholaminergique syst émique et locale et la lib ération de cytokines avec des cons équences directes sur les cardiomyocytes. D 'autres facteurs pourraient d éclencher ces voies: notamment dans le ph éochromocytome, l 'usage de drogues ou le choc septique.

Notre cas clinique pr ésent é est remarquable par son d éclenchement neurologique et les caract éristiques cliniques du syndrome de Tako-Tsubo. Heureusement, nous n 'avons pas objectiv é de complications.

Conclusion

L 'interaction cerveau-coeur est la source de nombreuses recherches actuelles. Une prise en charge commune est souhait ée. Toute crise d ' épilepsie tonico-clonique ou autre affection neurologique s érieuse (comme l 'h émorragie sous-arachno ïdienne) devrait n écessiter un bilan cardiaque de base: cin étique de troponine, ECG et échographie cardiaque. De m ême, en cas de suspicion de dysfonction myocardique, une surveillance par t él ém étrie est recommand ée. Ce suivi pourrait ne pas changer le taux de mortalit é des patients, mais am éliorerait leur prise en charge. La n écessit é d 'exclure un syndrome coronaire aigu, et ses complications, est évidemment de mise.

R éf érences

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