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Faut'il faire une confiance aveugle aux guidelines ? Et comment les appliquer ?
  • Olivier Gurné, Olivier Gurné

Chaque année de nouveaux guidelines sortent d'une machine bien réglée a priori, la Société Européenne de Cardiologie. Ils ont une force de loi morale pour beaucoup, même si chaque pays, chaque système de santé est libre de les approuver. Des études ont prouvé toutefois que la bonne application des guidelines était corrélée en général avec un meilleur pronostic pour les patients. Il existe toutefois des divergences entre ces guidelines et la vie de tous les jours. Une critique souvent entendue repose d'ailleurs sur le fait que les guidelines reposent bien souvent sur des études randomisées, incluant des patients plus jeunes, avec moins de comorbidité alors que dans notre consultation ou dans notre hôpital, on a l'impression que nos patients sont moins formatés que ceux décrits dans les études. Cela peut se traduire parfois aussi dans le remboursement de certains médicaments ou de certaines techniques, pour de bonnes ou de mauvaises raisons. On a déjà un délai non négligeable entre la sortie des études randomisées, celles des guidelines, l'accord du remboursement par nos autorités et la généralisation de l'usage d'un médicament ou d'une technique par le médecin lambda. Il existe aussi d'autres raisons qui peuvent influencer les décisions de remboursement de nos autorités, comme par exemple les raisons financières si un médicament ou une technique particulière est jugée trop onéreuse.

Un point important à comprendre dans les guidelines repose également sur leur méthodologie. Ils sont écrits par des experts qui se basent d'une part bien évidemment sur la littérature médicale existante mais d'autre part sur leur expertise. C'est plus facile de prendre une décision catégorique quand elle repose sur plusieurs études randomisées que quand on doit la prendre en se basant sur l'expérience des experts dont l'avis peut alors diverger beaucoup plus. La lecture des guidelines doit dès lors être critique et une manière d'évaluer les recommandations est de se baser sur la classe des recommandations et leur degré d'évidence. Cela peut paraître évident mais il est parfois bon de le souligner. Une recommandation de classe I est vue comme une évidence ou un accord général (recommandé ou indiqué). Une recommandation de classe II résulte d'une divergence d'opinion et/ou d'évidence dans la littérature. On les divise en classe IIa (devrait être considéré) et en IIb (pourrait être considéré). Une recommandation de classe III est le contraire de la classe I : accord général pour ne pas recommander cette approche. Le degré d'évidence est plus subtil. Le degré A est dérivé le plus souvent de plusieurs études randomisées. Le degré d'évidence B repose sur l'existence d'une seule étude randomisée ou de larges études. Le degré d'évidence C reflète l'opinion des experts … qui ont rédigé les guidelines. Ce dernier degré d'évidence est donc le plus critiquable d'autant plus qu'il est impossible d'avoir l'avis de tous les 'experts' et qu'on pourrait parfois se poser la question de savoir comment les experts qui rédigent les guidelines sur un sujet donné sont choisis, même si ces guidelines sont relus par de nombreux reviewers également plus ou moins 'experts'.

Cette année, des guidelines importants ont été présentés sur la prise en charge des syndromes coronaires aigus sans élévation persistante du segment ST. Cette pathologie est fréquente dans notre pratique d'autant plus que la proportion des infarctus de type NSTEMI par rapport aux STEMI s'est accrue entre 1995 et 2015 de un tiers à plus de la moitié. Le raffinement dans le dosage de la troponine beaucoup plus sensible que les CPK d'avant n'est certainement pas étranger à cette tendance. Sur le plan thérapeutique, on a assisté à une augmentation nette de la proportion des patients bénéficiant d'une angiographie coronaire dans les 72 heures de l'admission, passant de 9 % en 1995 à 60 % en 2015. Assez logiquement, les angioplasties coronaires ont augmenté de 12,5 à 60 % ce qui est certainement un des facteurs qui a permis de réduire la mortalité à 6 mois de 17,2 % à 6,3 %. Il est certain que l'angioplastie seule n'est pas responsable de ce bénéfice. Les traitements médicamenteux ont progressé avec en particulier les antiagrégants plaquettaires et une prise en charge plus systématique des facteurs de risque, avec entre autres un usage massif des hypolipémiants de type statines entre autres, l'utilisation plus systématique des inhibiteurs de l'enzyme de conversion ou de l'angiotensine dans la prise en charge de l'hypertension et de l'insuffisance cardiaque. Les 'nouveaux' antidiabétiques introduits et en particulier les inhibiteurs SGLT 2 et les agonistes GP1, encore insuffisamment prescrits, devraient encore améliorer par la suite cette évolution.

Le timing de l'angiographie a été discuté dans les nouveaux guidelines. Les recommandations données à ce sujet illustrent bien, à mon avis, la difficulté d'une part d'écrire des recommandations et d'autre part de juger de leur application dans notre routine quotidienne et de changer tout un système avec les retombées que cela pourrait avoir, par exemple au niveau économique. Comme toujours, des schémas apparemment très clairs sont donnés dans ces guidelines comme l'illustre la figure 1.

Ils ont défini des patients à très haut risque : instabilité hémodynamique ou insuffisance cardiaque aiguë, choc cardiogénique, caractère réfractaire ou récidivant de la douleur, arythmies menaçant le pronostic vital, complications mécaniques de l'infarctus ou encore ECG profondément perturbé (sous décalage menaçant dans plus de 6 dérivations et sus-décalage du segment ST en aVr par exemple). Ces raisons sont certainement excellentes quant à une approche invasive rapide. Je doute très fort qu'aucune étude ne soit réalisée un jour pour randomiser ce type de patients pour savoir quel est le délais optimal d'une approche invasive chez ce type de patient mais il faut se rendre compte que le niveau d'évidence de ce type d'approche est celui du bon sens cardiologique plus que de la réelle expertise. Les délais fixé de réaliser l'angiographie en 'moins de deux heures' par les auteurs des guidelines, par analogie avec les STEMI, dans un centre disposant de l'angioplastie '24 heures sur 24 et 7 jours sur 7' est tout à fait arbitraire de même que la notion de transfert 'immédiat' vers un tel centre si on ne sait pas le faire. On s'accordera à dire qu'il faut le faire au plus vite raisonnablement dans les meilleures conditions possible pour le patient. Assez logiquement, les auteurs des guidelines s'accordent pour un degré d'évidence C (le niveau des experts) pour cette recommandation de niveau I (obligation à faire si on se vaut un 'bon' cardiologue).

Ils ont défini parallèlement des patients à haut risque chez qui l'angiographie est recommandée dans les 24 heures et ce timing serait basé sur 11 études randomisées.

Ces études sont éminemment disparates dans leur design (ce qui ne permettrait donc pas d'en faire une méta-analyse sérieuse) et leurs résultats sont plus que variables et loin d'être positifs, comme le montre la figure 2.

Dans ce groupe intermédiaire, on trouve tout d'abord les patients avec un diagnostic d'infarctus de type NSTEMI 'bien établi'. Ce diagnostic à lui seul pourrait prendre des pages à être discuté. Il repose essentiellement sur la clinique (et l'anamnèse d'un patient n'est pas toujours facile …), sur l'ECG (et l'interprétation d'un ECG n'est pas non plus toujours si évidente …) et sur la biologie avec le dosage de biomarqueurs comme la troponine. Nous disposons maintenant d'une troponine 'hyper' sensible, ce qui est indispensable pour exclure un diagnostic mais qui conduit à plus de faux positifs ou à un diagnostic chez des patients qui ne sont pas autant à risque que cela … Ce groupe de patients représente à mon avis un nombre considérable de patients mais dont le risque est fort disparate.

On y trouve aussi des patients qui ont un syndrome coronarien aigu avec un indice de risque GRACE > 140, ce qui permet de nuancer un peu ces patients aigus. Cet indice inclut 8 variables: l'âge, la fréquence cardiaque, la pression systolique, la créatinine, la survenue d'un arrêt cardiaque à l'admission, des modifications du segment ST, des anomalies des enzymes cardiaques et la classe Killip (signes d'insuffisance cardiaque). On peut aimer ou ne pas aimer les scores de risque. Ils ont le mérite d'attirer l'attention sur certains points mais ne tiennent pas compte de bien d'autres choses comme déjà en particulier les facteurs de risque cardiovasculaire autres que l'âge et le sexe! Ils ne tiennent pas compte non-plus d'une histoire de maladie coronarienne …

Un troisième groupe à haut risque est constitué de patients avec des modifications 'dynamiques' de la repolarisation, qu'elles soient symptomatiques ou pas. La difficulté va être là de s'entendre sur la signification de ces modifications et de la manière dont les ECG sont pris et des modifications métaboliques éventuelles …

Quoi qu'il en soit, les experts des guidelines donnent une obligation 'morale' de réaliser une coronarographie dans les 24 heures chez ce type de patients supposés à haut risque par ces recommandations, quitte à transférer le patient vers un autre centre si on ne sait pas le faire, en accordant un niveau de recommandation I et encore plus étonnant un degré d'évidence A. Si on prend toutefois la peine de lire le texte qui accompagne ces recommandations plutôt que les belles images, on peut s'étonner du manque d'évidence de cette recommandation! En effet, les auteurs y reconnaissent eux-mêmes que cette approche dans les 24 heures chez les patients non sélectionnés qui présentent un SCA de type NSTEMI ne s'est pas révélée supérieure à une approche différée en ce qui qui concerne les points d'évaluation clinique. Qui plus est, les auteurs reconnaissent également que le score de risque GRACE n'a tout simplement pas été évalué avec la troponine haute sensibilité pour évaluer le timing du cathétérisme cardiaque. De plus, ils citent les études TIMACS et VERDICT pour argumenter un bénéfice à une approche précoce mais ce sont des résultats obtenus d'une part d'une analyse post-hoc alors que le endpoint principal de ces 2 études était neutre et d'autre part, ces deux études comparent une approche précoce à une approche beaucoup plus tardive de l'ordre de 60 heures en moyenne, mais avec des délais pouvant atteindre beaucoup plus! En ce qui concerne le sous-groupe des patients avec des modifications dynamiques de l'ECG, les auteurs reconnaissent que le bénéfice d'une approche invasive précoce n'a pas non plus été démontrée chez ces patients, même si on s'accorde sur la value pronostic de ces modifications.

Il est donc difficile de comprendre le niveau de recommandation I A accordé par les auteurs des guidelines à une approche dans les 24 heures chez ces patients 'à haut risque' même si le bon sens cardiologique nous dit probablement qu'on ne doit pas attendre les calendes grecques. Une approche ciblée parait donc toujours raisonnable et il importe de réaliser l'examen au mieux dans de bonnes conditions. Nous nous situons donc au niveau de l'expertise et la médecine reste un art plus qu'une science pure : il s'agit donc d'un degré d'évidence C pour une classe de recommandation qui s'approche du IIa, c'est-à-dire qu'une approche rapide (mais raisonnable et dans de bonnes conditions surtout) peut être considérée. La recommandation donnée dans les guidelines serait donc, plutôt qu'une obligation, l'occasion d'une étude randomisée pour tester et valider cette hypothèse, avant de changer l'organisation d'un centre, d'un réseau, d'une province … Qui plus est, cela permettrait de déterminer les patients qui profiteraient vraiment de cette approche et surtout l'impact sur le coût par rapport à l'efficacité.

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