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L'inhibition du SGLT2 : une nouvelle ère dans le traitement de l'insuffisance cardiaque
  • Bert Zwaenepoel 

Compte rendu d'une session de la BSC - session 5

Cette année, la 40e édition du congrès annuel de la Société belge de Cardiologie fut virtuelle, par la force des choses. Néanmoins, plusieurs sujets intéressants ont été abordés par des experts nationaux et internationaux. C'est ainsi qu'une session a été consacrée à l'utilisation des inhibiteurs du SGLT2 chez les patients souffrant d'insuffisance cardiaque à fraction d'éjection réduite (HFrEF). Nous vous en présentons un résumé dans cet article. Les orateurs étaient Wilfried Mullens (Ziekenhuis Oost-Limburg), Christian Mueller (Hôpital universitaire de Bâle, Suisse) et Anne-Catherine Pouleur (Cliniques universitaires St-Luc).

Le développement des inhibiteurs du SGLT2

Le diabète va souvent de pair avec une maladie cardiovasculaire. Il est donc surprenant que la plupart des antidiabétiques soient potentiellement nocifs pour le système cardiovasculaire. Même l'administration d'insuline est associée à une augmentation de la rétention de sel et au développement potentiel de signes de congestion.1 Afin d'éviter ceci à l'avenir, l'agence américaine des médicaments (FDA) a décidé en 2008 que chaque nouveau médicament antidiabétique devait prouver sa sécurité cardiovasculaire dans des études qualitatives (les fameuses cardiovascular outcome trials, CVOT). À partir de ce moment, un nouvel antidiabétique ne pouvait être commercialisé que s'il avait prouvé sa sécurité cardiovasculaire. Outre la metformine, il n'existe à ce jour que 2 autres classes d'antidiabétiques présentant un profil de risque cardiovasculaire favorable : les agonistes du GLP1 et les inhibiteurs du SGLT2. Bien que le but initial fût uniquement d'évaluer la sécurité cardiovasculaire, les CVOT ont étonnamment montré que les inhibiteurs du SGLT2 étaient associés à une nette réduction du nombre d'hospitalisations pour insuffisance cardiaque.2-4 En outre, cet effet se manifestait déjà tôt après la randomisation, et il ne pouvait donc pas être attribué à l'effet hypoglycémiant de cette classe de médicaments. Pour examiner ceci plus en détail, des études additionnelles ont dès lors été publiées dans une population atteinte d'HFrEF, indépendamment de la présence d'un diabète (DAPA-HF < EMPEROR-Reduced). 5,6 Les deux études ont montré une réduction impressionnante d'un critère d'évaluation combiné constitué des hospitalisations pour insuffisance cardiaque et de la mortalité cardiovasculaire (tableau 1). Depuis lors, les preuves en faveur de l'utilisation de cette classe de médicaments chez les patients atteints d'HFrEF n'ont cessé d'augmenter, et il convient de se demander quand et comment ces produits doivent être utilisés.

Effets décongestionnants et néphroprotecteurs

Il est important de noter que nous ne devons pas sous-estimer le risque d'hospitalisation ou de décès chez un patient atteint d'HFrEF. Ainsi, l'étude DAPA-HF a montré que pas moins d'un cinquième des patients présentent un tel événement dans un délai d'un an et demi. En outre, la présence persistante d'une congestion à la sortie de l'hôpital est un sérieux facteur de risque de réhospitalisation et de mortalité. 7 La congestion est donc considérée comme un important signal d'alarme, et elle doit être traitée adéquatement. Il est donc important que les diurétiques soient utilisés correctement, avec une instauration rapide à la posologie correcte, suivie d'une réévaluation régulière. Les inhibiteurs du SGLT2 ont également des propriétés antidiurétiques et décongestionnantes, et ils exercent leur effet antidiurétique au niveau proximal, dans le tubule. À cet égard, et malgré qu'elle fût à petite échelle, l'étude EMPA-RESPONSE-AHF fut la première étude à montrer que leur utilisation en cas de décompensation aiguë d'une insuffisance cardiaque entraîne une augmentation du volume urinaire et une réduction du risque de réhospitalisation ou de décès à 60 jours.8 L'effet décongestionnant des inhibiteurs du SGLT2 n'est pas dû à une augmentation de la natriurèse, mais bien à une diurèse osmotique.

Outre l'effet cardioprotecteur des inhibiteurs du SGLT2, leur effet néphroprotecteur potentiel a également été évalué dans plusieurs études9,10, étant donné que la présence d'une néphropathie chronique est un facteur majeur de mauvais pronostic chez les patients atteints d'HFrEF, et que la présence d'HFrEF favorise également la progression de la néphropathie.11 Ces études ont montré que les inhibiteurs du SGLT2 peuvent effectivement ralentir la progression de la détérioration rénale. Ainsi, l'étude CREDENCE a montré que l'utilisation de la canagliflozine chez les diabétiques présentant une néphropathie chronique réduisait de 32 % le risque relatif de développer une insuffisance rénale terminale.9 De même, chez des patients atteints d'une néphropathie chronique, l'étude DAPA-CKD a montré que l'utilisation de la dapagliflozine réduisait de 44 % le risque de développement d'une insuffisance rénale terminale, d'une détérioration rénale significative ou de décès. Cet effet était en outre indépendant de la présence ou non d'un diabète de type 2.10

La place des inhibiteurs du SGLT2 en cas d'insuffisance cardiaque

Comme la gamme des traitements de l'insuffisance cardiaque s'élargit considérablement, il est important de savoir quand commencer tel ou tel traitement. Historiquement, on recommandait d'instaurer les différents produits (bêtabloquants, inhibiteurs de l'ECA et antagonistes des récepteurs des minéralocorticoïdes) étape par étape et d'en augmenter progressivement la posologie, principalement parce que les études sous-jacentes étaient également menées de manière séquentielle. L'éventail de médicaments disponibles étant désormais très étendu, cette approche n'est plus adaptée. En effet, une telle approche entraîne souvent un très long délai avant que les patients ne reçoivent tous les médicaments nécessaires à la posologie correcte. Un nombre croissant de séries observationnelles et d'opinions d'experts donnent la préférence à l'instauration séquentielle rapide, voire conjointe, de tous les médicaments à une posologie plus faible, avec titration progressive. Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d'abord, on sait que l'instauration d'une nouvelle classe de médicaments offre un plus grand avantage que la titration d'une classe déjà commencée. En outre, même les doses les plus faibles entraînent une réduction de la morbi-mortalité. Troisièmement, l'effet de chaque classe de médicaments est indépendant du traitement de fond déjà instauré. Enfin, une faible dose des différentes classes est souvent mieux tolérée qu'un médicament d'une seule classe à forte dose.

Au cours de cette session, Christian Mueller (Hôpital universitaire de Bâle, Suisse) a ensuite présenté le schéma de traitement utilisé à l'Hôpital universitaire de Bâle (figure 1). Sur ce plan, quatre médicaments sont initiés le plus vite possible après un nouveau diagnostic d'HFrEF, à savoir : un bêtabloquant, un inhibiteur de l'ECA/sartan, un antagoniste des récepteurs des minéralocorticoïdes et un inhibiteur du SGLT2. Le patient est alors revu fréquemment pour titrer ces médicaments et l'IECA/sartan est remplacé par un ARNI chez les patients qui restent symptomatiques malgré le traitement déjà commencé. Un autre schéma récemment publié dans Circulation propose d'instaurer les 4 classes de médicaments dans les 4 semaines suivant le diagnostic d'HFrEF (figure 2). Cela implique de commencer par une combinaison d'un bêtabloquant et d'un inhibiteur du SGLT2, d'y associer un IECA/ARB/ARNI après 1-2 semaines, et enfin de compléter le traitement par un ARM.12 Il va de soi que diverses autres options pharmacologiques (p. ex. ivabradine, hydralazine, vericiguat, fer, etc.) et mécaniques (p. ex. TRC, DCI, DAVG, MitraClip, etc.) restent disponibles pour des groupes de patients spécifiques, mais elles s'ajoutent au traitement de fond mentionné ci-dessus. En outre, il reste à voir quelle sera la place des traitements susmentionnés dans les recommandations actualisées de la Société européenne de Cardiologie au sujet de l'insuffisance cardiaque. On s'attend à ce que les recommandations soient conformes aux stratégies susmentionnées.

Critères de remboursement

Actuellement, la principale limitation pour prescrire des inhibiteurs du SGLT2 en Belgique est le remboursement limité. En effet, ces médicaments ne sont remboursés que chez les patients souffrant de diabète de type 2 dont le contrôle métabolique est insuffisant sous au moins un autre antidiabétique (comme en témoigne une HbA1c entre 7-9 %) et dont la clairance rénale calculée est supérieure à 60 ml/min. Cependant, il est urgent que ces critères soient révisés, car ils sont toujours basés exclusivement sur les études lors desquelles les inhibiteurs du SGLT2 ont été évalués en tant qu'antidiabétiques. Compte tenu des preuves actuelles concernant les patients souffrant à la fois d'insuffisance cardiaque et d'une néphropathie chronique, on s'attend à ce que les critères de remboursement soient élargis pour les deux groupes. En novembre 2020, la dapagliflozine a déjà été approuvée par l'Union européenne pour les patients atteints d'HFrEF souffrant ou non d'un diabète de type 2. En août, le remboursement a également été approuvé en Suisse et l'expérience clinique déjà acquise est très bonne. Ici aussi, on s'attend à ce que le remboursement de la dapagliflozine soit en ordre d'ici la fin de l'année pour les patients souffrant d'HFrEF symptomatique, avec ou sans diabète, ayant une clairance rénale d'au moins 30 ml/min.

Optimisation et implémentation de la prise en charge de l'insuffisance cardiaque

L'optimisation et l'implémentation adéquate de la prise en charge de l'insuffisance cardiaque devraient être une priorité majeure à l'avenir. En effet, si l'arsenal thérapeutique dont dispose le cardiologue s'étoffe, son implémentation laisse souvent à désirer. Ainsi, en Europe, seul un tiers des patients qui ont droit à un appareil de TRC en bénéficient effectivement. Il apparaît également que dans l'Union européenne, seuls 22 % et 12 % des patients reçoivent la dose recommandée d'IECA/ARB et de bêtabloquants, respectivement. Il n'y a aucune raison de penser que ces chiffres seraient différents dans notre pays. L'organisation des soins est donc importante pour que les patients puissent bénéficier des traitements qui ont démontré leur efficacité à maintes reprises. En Suisse, par exemple, l'accent est mis sur l'importance des uptitration visits 13 lors desquelles les patients sont fréquemment vus en consultation, le but principal étant d'augmenter progressivement la dose des médicaments prescrits (tableau 2). La création constante de centres spécialisés dans le traitement de l'insuffisance cardiaque reste également importante chez nous, afin que chaque patient puisse recevoir le traitement adéquat.

Conclusion

Actuellement, cinq cascades de signalisation physiopathologiques peuvent être bloquées par quatre médicaments : la voie de l'angiotensine II et de la néprilysine par les IECA/ARB/ARNI, la voie de la noradrénaline par les bêtabloquants, la voie de l'aldostérone par les ARM et la voie du SGLT2 par les inhibiteurs du SLGT2. Il y a également un consensus croissant pour débuter tous ces médicaments conjointement en traitement de fond, et les titrer si possible. Les diurétiques ne sont donnés que pour améliorer les symptômes de congestion, et ils sont toujours arrêtés dès que possible. En outre, divers traitements pharmacologiques (p. ex. ivabradine, hydralazine, vericiguat, fer, etc.) et mécaniques (p. ex. TRC, DCI, DAVG, MitraClip, etc.) sont disponibles pour des sous-groupes spécifiques. En ce qui concerne les inhibiteurs du SGLT2, le remboursement chez les patients souffrant d'HFrEF est prévu d'ici la fin de l'année. Compte tenu de cet arsenal thérapeutique croissant, les centres spécialisés dans le traitement de l'insuffisance cardiaque sont cruciaux pour que chaque patient puisse recevoir le traitement correct et être suivi adéquatement.

Références

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  3. Neal, B., Perkovic, V., Mahaffey, K.W. et al. Canagliflozin and Cardiovascular and Renal Events in Type 2 Diabetes. N Engl J Med, 2017, 377 (7), 644-657.
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  5. Packer, M., Anker, S.D., Butler, J. et al. Cardiovascular and Renal Outcomes with Empagliflozin in Heart Failure. N Engl J Med, 2020, 383 (15), 1413-1424.
  6. McMurray, J.J.V., Solomon, S.D., Inzucchi, S.E. et al. Dapagliflozin in Patients with Heart Failure and Reduced Ejection Fraction. N Engl J Med, 2019, 381 (21), 1995-2008.
  7. Metra, M., Davison, B., Bettari, L. et al. Is worsening renal function an ominous prognostic sign in patients with acute heart failure? The role of congestion and its interaction with renal function. Circ Heart Fail, 2012, 5 (1), 54-62.
  8. Damman, K., Beusekamp, J.C., Boorsma, E.M. et al. Randomized, double-blind, placebo-controlled, multicentre pilot study on the effects of empagliflozin on clinical outcomes in patients with acute decompensated heart failure (EMPARESPONSE- AHF). Eur J Heart Fail, 2020, 22 (4), 713-722.
  9. Perkovic, V., Jardine, M.J., Neal, B. et al. Canagliflozin and Renal Outcomes in Type 2 Diabetes and Nephropathy. N Engl J Med, 2019, 380 (24), 2295-2306.
  10. Heerspink, H.J.L., Stefánsson, B.V., Correa- Rotter, R. et al. Dapagliflozin in Patients with Chronic Kidney Disease. N Engl J Med, 2020, 383 (15), 1436-1446.
  11. Mullens, W., Damman, K., Testani, J.M. et al. Evaluation of kidney function throughout the heart failure trajectory - a position statement from the Heart Failure Association of the European Society of Cardiology. Eur J Heart Fail, 2020, 22 (4), 584-603.
  12. McMurray, J.J.V., Packer, M. How Should We Sequence the Treatments for Heart Failure and a Reduced Ejection Fraction? A Redefinition of Evidence-Based Medicine. Circulation, 2020. [nog te publiceren].
  13. Mueller, C., Bally, K., Buser, M. et al. Roadmap for the treatment of heart failure patients after hospital discharge: an interdisciplinary consensus paper. Swiss Med Wkly, 2020, 150, 20159.

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