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Traitement de l'insuffisance cardiaque et fraction d'éjection, une relation toujours discutée
  • Olivier, Olivier Gurné

L'insuffisance cardiaque est une pathologie fréquente grevée d'une morbidité et d'une mortalité toujours importante malgré les progrès réalisés ces dernières décennies. Même si on fait depuis longtemps des distinctions selon une fraction d'éjection du ventricule gauche réduite ou préservée voir intermédiaire, le pronostic reste similaire. Par contre, l'approche thérapeutique en fonction de la fraction d'éjection fait débat depuis l'origine des guidelines. Alors que le traitement de l'insuffisance cardiaque liée à une dysfonction systolique est depuis longtemps bien codifié (même si cela s'est modifié progressivement) et basé sur des études randomisées probantes, la prise en charge de l'insuffisance cardiaque à fonction ventriculaire gauche préservée reste toujours l'objet de discussions passionnées, mais la situation semble progresser … lentement.

Les premières guidelines de la Société Européenne de Cardiologie à ce sujet datent de 2001. À l'époque, on parlait de dysfonction systolique et diastolique. La prise en charge de la dysfonction diastolique était débattue assez brièvement : il y avait peu d'évidence venant d'études cliniques ou même observationnelle pour son traitement et encore moins quant à sa prévalence. On estimait que chez les personnes âgées, environ 40 % des patients hospitalisés pouvaient avoir des symptômes de type insuffisance cardiaque avec une fonction systolique normale. Lors de la publication de la guideline suivante, en 2005, peu avait changé sur le plan épidémiologique : une insuffisance cardiaque surtout diastolique était jugée rare chez les patients plus jeunes, mais plus fréquente chez les patients âgés. Les femmes avec une hypertension systolique et une hypertrophie ventriculaire gauche avec de la fibrose étaient la population ciblée. Aucune évidence de nouveau quant à son traitement.

C'est en 2012 que la terminologie a changé et a pris une version plus « moderne ». On a ainsi distingué l'insuffisance cardiaque à fonction ventriculaire gauche réduite (HFrEF) de l'insuffisance cardiaque à fonction ventriculaire gauche préservée (HFpEF). Le diagnostic de ces deux entités nécessitait la présence de symptômes et de signes typiques d'insuffisance cardiaque, à l'anamnèse et à l'examen clinique. Pour le diagnostic d'HFrEF, il fallait une fraction d'éjection réduite (bien que peu précisée, de l'ordre de moins de 35-40 %). Pour celui d'HFpEF, la fraction d'éjection devait être normale ou seulement légèrement réduite, mais il fallait aussi mettre en évidence une anomalie significative du coeur (hypertrophie ventriculaire, dilatation de l'oreillette gauche, signes de dysfonction diastolique principalement estimés au Doppler). Autant le traitement de l'HFrEF était bien précisé et avait fait de réels progrès, aucun traitement dans l'HFpEF n'avait fait ses preuves en termes de réduction de morbidité et de mortalité chez ces patients. Les études en effet ne montraient aucun bénéfice avec par exemple les inhibiteurs de l'enzyme de conversion (PEP-CHF avec le périndopril) ou les inhibiteurs de l'angiotensine II (CHARM-Preserved avec le candésartan, I-Preserve avec l'irbésartan). Ce n'est pas la très discutée étude TOPCAT en 2014 avec la spironolactone qui changeait beaucoup : même si les hospitalisations pour insuffisance cardiaque étaient réduites de 17 %, juste limite sur le plan statistique (p = 0,04), il y avait un prix en termes d'aggravation d'une insuffisance rénale et d'hyperkaliémie à payer.

Les guidelines de 2016 ne pouvaient donc constater qu'encore aucun traitement n'avait montré un réel bénéfice dans l'HFpEF, contrairement à l'HFrEF où le trio gagnant restait solidement installé, avec les inhibiteurs de l'enzyme de conversion, les bétabloquants et les inhibiteurs de l'aldostérone. Le complexe valsartan-sacubitril était la seule réelle nouveauté, grâce à l'étude PARADIGM, qui venait menacer la suprématie historique des inhibiteurs de l'enzyme de conversion. La surprise est donc venue de la création d'une nouvelle entité, entre l'HFrEF et l'HFpEF : l'HFmrEF (mid-range). Ce nouveau concept n'avait pas une justification évidente et exploitait la zone grise : la fraction d'éjection entre 40 et 50 %. La motivation clairement énoncée était de créer un sousgroupe particulier de patients pour stimuler la recherche afin d'essayer d'affiner le traitement de ces patients.

Grande nouveauté dans l'histoire des guidelines, ce concept n'a pas lancé de nouvelles grandes études multicentriques randomisées, mais les chercheurs se sont tournés vers les anciennes études, en exploitant « a posteriori » les banques de données qui n'avaient peut-être pas livré tous leurs secrets. Le concept est d'ailleurs relativement discutable sur le plan statistique, à savoir réaliser des analyses « post hoc » sur des études dont le critère d'évaluation pouvait être négatif. On pouvait voir néanmoins grâce à cette méthodologie que les bétabloquants avaient un effet incontestable quand la fraction d'éjection était basse, mais que cet effet n'était plus significatif au-delà de 50 %. L'analyse rétrospective de CHARM montrait un bénéfice similaire avec le candésartan chez les patients atteints d'une HFrEF ou d'une HFmrEF, mais pas chez les patients avec une fraction d'éjection avec une HFpEF. De nouveau, la limite était de l'ordre de 50 % (figure 1). L'analyse rétrospective de TOPCAT en fonction de la fraction d'éjection (figure 1) montrait un bénéfice seulement si la fraction d'éjection était inférieure à 60 % en termes de réduction des hospitalisations pour insuffisance cardiaque, mais le bénéfice sur la mortalité était nul, quel que soit la fraction d'éjection.

L'étude PARAGON avec le valsartan-sacubitril dans l'HFpEF avait raté de peu le coche : une réduction de 13 % du critère d'évaluation principal (hospitalisation pour insuffisance cardiaque et mortalité cardiovasculaire) était observée, à la limite du seuil significatif statistique (p = 0,059). Exploitant le concept de l'efficacité en fonction de la fraction d'éjection, les investigateurs ont rassemblé les données de PARADIGM (HFrEF) et de PARAGON (HFpEF). Une réduction du critère d'investigation principal composite était observé pour des fractions d'éjection inférieure à 55 % (figure 1). En ce qui concerne les hospitalisations pour insuffisance cardiaque, l'effet bénéfique ne se voyait chez les hommes que pour les patients avec une fraction d'éjection inférieure à 40 % alors que chez les femmes, le bénéfice se voyait jusqu'à 60 %. En termes de mortalité cardiovasculaire, un bénéfice se voyait pour les deux sexes pour les patients avec une fraction d'éjection inférieure à environ 45 %.

C'est dans ce contexte que les guidelines 2021 sont arrivées. En ce qui concerne l'HFrEF, aucune surprise. À côté du trio classique, on a vu apparaitre les inhibiteurs SGLT2, avec l'empagliflozine et la dapagliflozine grâce aux études EMPEROR et DAPA-HF, comme quatrième pilier du traitement. L'HFmrEF a par contre changé de nom et est passée de « middle range » à « mildly reduced », subtile nuance … On a vu apparaitre aussi grâce à ces études post hoc, pour la première fois, des recommandations de traitement pour ces patients avec une fraction d'éjection entre 40 et 50 %. Les mêmes médicaments que dans l'HFrEF se retrouvaient, mais avec un degré de recommandation nettement moindre. Au lieu des « IA » auxquels on était habitués dans l'HFrEF, on avait une classe d'évidence IIB (peuvent être recommandé) et une classe de recommandation C (niveau d'un consensus d'opinion d'experts, d'études rétrospectives, de registres, …).

Les inhibiteurs SGLT2 sont arrivés juste un peu trop tard pour apparaître dans les guidelines 2021. EMPEROR-Preserved avec l'empagliflozine chez des patients avec une fraction d'éjection supérieure à 40 % a été présenté lors du meeting de l'ESC en 2021 et DELIVER (dapagliflozine dans une population similaire) a apporté une délivrance à cette classe thérapeutique révolutionnaire seulement cette année à l'ESC. Les résultats sont tout à fait concordants avec les deux études correspondantes dans l'HFrEF : une réduction de 28 % des hospitalisations pour insuffisance cardiaque et une réduction de 13 % de la mortalité cardiovasculaire est démontrée, quel que soit la fraction d'éjection. On peut donc supposer que pour la première fois, lors de la publication des futures guidelines de l'insuffisance cardiaque, les SGLT2 bénéficieront d'une classe IA, que le patient soit HFrEF, HFmrEF ou HFpEF !

Quel est l'avenir pour la prise en charge des patients en insuffisance cardiaque ? Il pourrait sans doute venir d'une approche phénotypique plus marquée surtout dans le cadre de l'HFpEF, surtout si on considère l'HFrEF comme un phénotype à part et l'HFmrEF comme un phénotype plus proche de l'HFrEF que de l'HFpEF (mais qui pourraient aussi être mieux caractérisés très probablement). L'insuffisance cardiaque est un syndrome clinique, secondaire à une impossibilité de notre organisme à assurer un débit adéquat au repos et/ou à l'effort et cela à des pressions de remplissage pas trop élevées. En clinique, une multitude de conditions se combine pouvant aboutir à ce syndrome clinique comme le montre la figure 2. Mieux définir la physiopathologie de l'insuffisance cardiaque avec ses comorbidités est probablement une clé qui pourrait permettre un traitement ciblé pour le patient qui se trouve devant nous.

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