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L'auricule gauche et le risque d'AVC emboligène
  • Sebastiaan Dhont , Philippe Bertrand 

Avec près de 22 200 victimes par an en Belgique, les accidents vasculaires cérébraux (AVC) restent une des principales causes de décès dus à des maladies cardiovasculaires. Ils constituent dès lors la troisième cause de mortalité. Ce sont surtout les sujets âgés qui sont touchés, mais les personnes plus jeunes ne sont pas en reste, et les conséquences peuvent être graves. Environ un tiers des AVC ischémiques restent cryptogéniques après une première évaluation.1 Selon la base de données du National Institute of Neurological and Communicative Disorders and Stroke, deux tiers des AVC cryptogéniques ont une origine cardiaque ou aortique.2 Dans plus de 90 % des cas, la source de la thromboembolie cardiaque est l'appendice auriculaire gauche (AAG) ou auricule gauche, une myopathie de l'OG et la FA étant des facteurs contributifs importants.3-5 L'oblitération de l'AAG - tant chirurgicale que percutanée - s'est avérée non inférieure à la warfarine pour la prévention des AVC ischémiques.6, 7 étant donné que le pourcentage de récidive des AVC atteint 5 % par an, il est capital d'étudier le mécanisme sous-jacent afin de pouvoir instaurer un traitement individualisé.8

La FA est le trouble du rythme cardiaque le plus fréquent.9 Une FA infraclinique à l'origine d'un AVC peut passer inaperçue lors d'un monitoring Holter standard de 24 heures. Par conséquent, il faut envisager un moniteur cardiaque implantable (MCI) pour démasquer une FA occulte. Dans l'étude CRYSTAL-AF, une stratégie basée sur le MCI a montré une incidence de FA de 30 % après 3 ans, contre 10 % dans une cohorte appariée avec un suivi de routine (principalement un Holter de 24 heures).10 Cependant, le MCI reste sous-utilisé dans cette population de patients, car il s'agit d'une stratégie invasive anxiogène dont le coût est considérable. L'utilisation empirique d'un traitement anticoagulant chez tous les patients victimes d'un AVC cryptogénique s'est avérée nocive11, alors que ce traitement réduit le risque de récidive d'un AVC, comparativement à l'aspirine seule, chez les patients victimes d'un AVC, souffrant de FA.12 Par conséquent, il est important d'identifier précocement les patients courant un risque accru de FA et de les inclure dans un itinéraire clinique où le monitoring du rythme est central. L'échocardiographie peut être un outil utile en ce sens.

échographie de l'auricule gauche

L'AAG est un reliquat embryonnaire de l'OG, doté d'une contractilité active, et on observe de grandes différences interindividuelles en termes de taille, de forme et d'orientation.13 La connaissance de son anatomie devient de plus en plus importante, en partie à la lumière des procédures/fermetures transcutanées. L'échocardiographie transoesophagienne permet une imagerie détaillée avec une résolution spatiale élevée et une visualisation à 180 degrés (multiplan). La sensibilité et la spécificité pour exclure les thromboses de l'AAG atteignent respectivement 92 % et 98 %.13 Les trabécules musculaires ou l'ombre acoustique du ligament de Marshall sont parfois prises à tort pour un thrombus. Malgré la localisation postérieure et la plus grande complexité de l'examen, l'échocardiographie transthoracique peut également visualiser l'auricule gauche, à partir de la fenêtre apicale, en utilisant l'imagerie harmonique (et éventuellement un contraste échographique). Pour visualiser l'anatomie et la fonction de l'auricule, on utilise de plus en plus souvent la tomodensitométrie cardiaque (CT scan) et l'imagerie par résonance magnétique (IRM), principalement à des fins de recherche.

Forme et dimensions de l'AAG

Habituellement, l'AAG est un appendice de l'oreillette gauche qui s'abouche en regard de la veine pulmonaire supérieure gauche. Une étude post mortem a montré que sa structure est le plus souvent bilobée, mais on a décrit des auricules comptant jusqu'à quatre lobes.14 Dans une étude plus récente, quatre types morphologiques (figure 1) ont été décrits sur la base du CT scan et de l'IRM, « l'aile de poulet » étant le plus fréquent (48 %), suivi du « cactus » (30 %), du « manche à air » (19 %) et du « chou-fleur » (3 %).15 Contrairement à ce que suggère le nom, la forme en aile de poulet est celle qui protège le mieux contre les AVC emboligènes et le type en chou-fleur est associé au risque de thrombose le plus élevé.13, 15 Le diamètre du col, la profondeur et le volume total de l'auricule gauche sont également associés au risque d'AVC.4 Plus l'anatomie de l'auricule gauche est complexe, plus le risque thrombogène est élevé.

Fonction de l'AAG

Les examens par Doppler à ondes pulsées visant à quantifier la fonction de l'AAG sont apparus comme un outil permettant de prédire la formation d'un thrombus chez les patients en FA. La figure 2 montre qu'un échantillon Doppler est mieux aligné au Doppler couleur et qu'il doit être placé dans le premier tiers proximal (où la vitesse est la plus élevée).17, 18 En rythme sinusal, le signal est biphasique. En FA, il est chaotique et nous reconnaissons généralement un motif en dents de scie. La première déflexion positive se produit vers la fin de la diastole (peu après l'onde P) et reflète la contraction active (vitesse de vidange). La deuxième est une onde rétrograde qui reflète le remplissage (vitesse de remplissage).18

Dans l'étude SPAF III, la formation de thrombi était plus fréquente chez les patients en FA lorsque la vitesse de vidange était inférieure à 20 cm/s (risque relatif d'AVC de 2,6).19 En outre, la vitesse de vidange de l'AAG pendant la FA peut prédire le succès de la resinusalisation après cardioversion et isolation des veines pulmonaires.20,21 Notre étude personnelle (figure 3) montre également que la vitesse de vidange chez les patients en rythme sinusal est bien corrélée avec le risque de développement ultérieur d'une FA. Une valeur seuil de 55 cm/s est associée à un excellent pouvoir discriminant (sensibilité de 90 % et spécificité de 76 %) pour identifier les patients victimes d'un AVC cryptogénique, qui courent un risque élevé de FA. Comparativement à d'autres paramètres cliniques et échocardiographiques, la vitesse de vidange était indépendamment et le plus fortement associée à l'incidence de FA dans le futur.22

La myopathie auriculaire, substrat de la FA et des thrombi

La conversion de la FA en rythme sinusal entraîne une dysfonction mécanique transitoire de l'OG, appelée « sidération », et ceci souligne l'importance des anticoagulants au cours des premières semaines suivant une cardioversion électrique ou pharmacologique.23 Une diminution de la fonction de l'OG/l'AAG, objectivée p. ex. par la déformation (strain) ou au Doppler, peu après un AVC, peut donc indiquer que celui-ci est dû à un épisode récent de FA.24 Pourtant, la relation temporelle entre la FA et l'AVC est loin d'être constante. Dans de grandes cohortes de patients porteurs de pacemakers, on a constaté que seuls 8 % d'entre eux présentaient une FA infraclinique dans les 30 jours précédant leur AVC ischémique, et qu'on n'a enregistré de FA après l'AVC ischémique que chez 30 % des patients.25-27 On suggère de plus en plus que la FA n'est qu'une manifestation d'une maladie sous-jacente de l'OG et que cette dernière crée déjà en elle-même un environnement thrombogène, indépendamment de la FA. Cette hypothèse découle en partie d'une sous-analyse de l'étude WARSS, qui a montré que l'anticoagulation était supérieure à l'aspirine pour la prévention des AVC (cryptogéniques) secondaires chez les patients présentant un taux sérique élevé de peptides natriurétiques en tant que biomarqueur de la dysfonction auriculaire.28 En outre, le degré de fibrose de l'OG (> 20 %) à l'IRM cardiaque a été mis en relation avec la formation de thrombi dans l'AAG chez les patients, indépendamment de la FA.29 L'étude ARCADIA, qui teste l'apixaban par rapport à l'aspirine pour la prévention des récidives chez les patients présentant un AVC cryptogénique et une cardiomyopathie auriculaire recrute actuellement des patients. Cependant, la mise en oeuvre clinique n'est pas pour tout de suite, car il n'existe toujours pas de consensus sur la définition de la myopathie auriculaire.

Conclusion

Malgré l'association étroite entre l'anatomie et la fonction de l'AAG et le risque thrombogène, l'indication d'un traitement anticoagulant est actuellement posée presque exclusivement sur la base de l'électrocardiogramme et du score CHA2DS2-VASc. La survenue souvent asymptomatique et paroxystique de la FA rend parfois son diagnostic difficile. La détermination échocardiographique de la fonction de l'AAG après un AVC cryptogénique peut aider les cliniciens à identifier les patients chez qui il faut être vigilants par rapport à une FA, et passer rapidement à un moniteur cardiaque implantable. De nouvelles connaissances suggèrent que la FA et les thrombi de l'AAG sont tous deux une manifestation d'une maladie sous-jacente de l'OG/AAG. Des études prospectives sont en cours pour déterminer si cette dernière pourrait en soi constituer une indication de traitement anticoagulant (indépendamment de la FA).

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