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Percée définitive des inhibiteurs du SGLT2 en cas d'HFrEF?
  • Marc Goethals, Frank Nobels 

Congrès de l'ESC 2020

Compte rendu de la hot line session

Ce congrès de l'ESC restera gravé dans nos mémoires, suite à la percée des inhibiteurs du SGLT2 (SGLT2i) pour le traitement de l'insuffisance cardiaque (HF) à fraction d'éjection réduite (HFrEF) avec et sans diabète de type 2 (DM2). Lors d'une session 'Hotline' organisée le premier jour, le Pr Milton Packer a présenté l'étude EMPEROR Reduced (ER) (publiée simultanément dans le New England Journal of Medicine1), qui a comparé l'empagliflozine (E) avec un placebo (P) chez des patients souffrant d'HFrEF.

La population de l'étude ER - comparable à l'étude DAPA-HF (DH) avec la dapagliflozine (D) - était constituée de 3 730 patients souffrant d'HFrEF, ayant une FEVG < 40 %, mais elle avait été enrichie d'une population plus atteinte, en l'occurrence relativement plus de patients ayant une FEVG < 30 % ou une FEVG de 30-40 %, avec comme exigence supplémentaire une valeur de NT-pro-BNP plus élevée et/ou une hospitalisation récente pour HF, la moitié des patients souffrant de DM2 (49,8 %). Les patients ont été randomisés selon un rapport 1:1 entre P et E à une dose de 10 mg par jour. Le suivi médian atteignait 16 mois. Le traitement de l'HFrEF était conforme aux recommandations: 95 % des patients recevaient un bêtabloquant (BB), 70 % un antagoniste du récepteur des minéralocorticoïdes (MRA), 80 % un inhibiteur du SRAA (IECA, ARB, ARNI), 20 % des patients recevant un ARNI. Comparativement à l'étude DH, la FEVG était en moyenne plus basse (27 % versus 31 %), le taux de NT-pro-BNP était plus élevé (1 800 versus 1 400 pg/ml), mais on notait moins souvent d'hospitalisation récente pour HF (30 %) comparativement à l'étude DH (47 %). L'incidence plus élevée du critère d'évaluation primaire dans le groupe P (40 % de plus que dans l'étude DH) et la fonction rénale, globalement moins bonne, témoignent du fait que la population d'étude était plus atteinte. Il est important de noter que tant l'étude DH que l'étude ER avaient inclus des patients ayant un DFG faible: jusqu'à 30 ml/min/1,73m² dans l'étude DH et même jusqu'à 20 ml/min/1,73m² dans l'étude ER.

Critères d'évaluation: le critère d'évaluation primaire était constitué de la mortalité cardiovasculaire et des hospitalisations pour HF. Le premier critère d'évaluation secondaire était une première hospitalisation ou une nouvelle hospitalisation pour HF, et le deuxième critère d'évaluation secondaire était le degré de diminution du DFG. Par ailleurs, on a également examiné la mortalité totale, la qualité de vie et l'insuffisance rénale sévère.

Résultats: le critère d'évaluation primaire (mortalité CV et hospitalisation pour HF) atteint moins fréquement (25 %) dans le groupe traité par E (rapport de risque 0,75; IC 0,65-0,86 avec P < 0,0001), ce qui est en grande partie imputable à une réduction de la composante d'hospitalisation pour HF. (figure 1) Il n'y avait pas de différence significative sur le plan de la mortalité CV.

Une analyse de sous-groupes a montré que cet avantage de E par rapport à P s'observait indépendamment de la présence de diabète, de l'âge ou de la fonction rénale lors de l'inclusion (DFG inférieur ou supérieur à 60 ml/min/1,73 m²), et qu'il n'était pas non plus influencé par le traitement médicamenteux de l'HFrEF, y compris le groupe traité par ARNI (dans l'étude DH, D n'apportait aucun avantage dans le groupe traité par ARNI). De plus, le nombre total d'hospitalisations pour HF s'est avéré très significativement inférieur dans le groupe traité par E (rapport de risque de 0,7; IC 0,58-0,85, P < 0,0003) et la diminution de la fonction rénale pendant la période de randomisation était clairement ralentie par E, en l'occurrence de 1,73 ml/min/m² par an (IC 1,1-2,37, P < 0,001). Il convient de noter que le bénéfice de E sur la fonction rénale s'est maintenu 30 jours (23-45) après l'arrêt du médicament de l'étude. L'effet rénoprotecteur ressort également de la réduction de moitié d'un critère d'évaluation composite rénal (dialyse, transplantation rénale ou forte diminution du DFG). E améliore par ailleurs la qualité de vie, mais il n'a pas d'effet sur la mortalité totale.

Tolérance et effets indésirables: il n'y a pas de différences sur le plan des hypoglycémies ou d'une hypotension symptomatique. On ne note qu'une légère augmentation du nombre de mycoses génitales consécutives à la glycosurie, mais ceci est limité en chiffres absolus: 1,7 % dans le groupe E contre 0,6 % dans le groupe P.

D et E apportent tous deux un gain de 30 % sur le critère d'évaluation combiné de mortalité CV et d'hospitalisations pour HF. Cependant, pour le critère d'évaluation (tableau 1) composite rénal (dialyse, transplantation rénale, forte diminution du DFG), des gains significatifs ont été enregistrés dans l'étude ER, et non dans DH. Pour la mortalité CV, c'était l'inverse. Il est remarquable que, dans les études sur le DM2, EMPA-REG OUTCOME2 (tableau 2) avec E et DECLARE-TIMI 584 avec D, on ait précisément constaté le contraire: avec E, on a observé une diminution de la mortalité CV et non du critère d'évaluation composite rénal, tandis qu'avec D, c'était exactement l'inverse. Ainsi, pour la mortalité CV et les complications rénales graves, les résultats des 4 études n'étaient pas convergents, peut-être parce que la population d'étude n'était pas suffisamment importante pour démontrer ces effets de manière cohérente.

Le Pr Packer conclut que, compte tenu des résultats parallèles de DH et de ER sur le critère d'évaluation primaire, il y a suffisamment de preuves indiquant que les SGLT2i doivent faire partie du 'traitement standard' (standard of care) pour les patients atteints d'HFrEF.

Discussion: le Pr Packer a répondu aux questions du panel et du public. Nous reprenons ci-dessous les questions les plus pertinentes.

  • 'Le temps est-il venu d'implémenter les SGLT2i comme traitement standard en cas d'HFrEF? Pour le Pr Packer, la réponse est claire: oui. Selon lui, il y a maintenant 4 pierres angulaires du traitement de l'HFrEF: BB, MRA, ARNI et SGLT2i.
  • 'étant donné qu'il y a autant de médicaments actuellement, devonsnous commencer par un médicament, attendre le résultat, puis passer à un deuxième, un troisième, etc.? Devons-nous suivre l'ordre chronologique historique des études ou pouvons-nous instaurer le SGLT2i précocement? Dans quel ordre commençons- nous? Faut-il d'abord titrer la dose avant d'ajouter un autre médicament?' Pr Packer: 'Si je souffrais d'HFrEF, je voudrais que mon cardiologue instaure les 4 médicaments dans un délai de 4 à 6 semaines. Je recommande donc de débuter presque simultanément avec les quatre piliers.'
  • 'Les effets rénoprotecteurs sont assez constants pour les SGLT2i: les SGLT2i doivent-ils être préférés chez les patients atteints d'un syndrome cardiorénal?' Selon le Pr Packer, il existe une indication pour tous les patients souffrant de dommages rénaux et/ou myocardiques.
  • 'Y a-t-il des lacunes dans les données au sujet de l'HFrEF?' Selon le Pr Packer, les données sont très cohérentes, et la grande question est: 'Quid en cas d'HFpEF?'. Des études sont en cours avec E et D en cas d'HFpEF.

Conclusions

  • L'étude ER confirme les résultats de DH dans une population plus atteinte et les deux études montrent de manière cohérente que les SGLT2i offrent un avantage significatif en cas d'HFrEF: 30 % de réduction du risque d'hospitalisation, indépendamment de la présence de DM2.
  • Le bénéfice sur le plan de la mortalité CV est contradictoire entre les deux études sur l'HFrEF, peut-être parce que la population étudiée est trop petite pour ce critère d'évaluation, mais le bénéfice en termes de mortalité CV (et de mortalité totale) est démontré par la méta-analyse parue dans The Lancet, dans laquelle les résultats de DH et ER ont été groupés5. Ces données ont montré que les SGLT2i procurent également un avantage significatif sur le plan de la mortalité CV et de la mortalité totale.
  • Les SGLT2i sont rénoprotecteurs.
  • Les SGLT2i sont efficaces à des taux de DFG beaucoup plus faibles que le seuil actuellement en vigueur pour le remboursement, soit 60 ml/min/1,73 m².
  • Le bénéfice des SGLT2i est donc également indépendant de l'effet hypoglycémiant (qui peut être moindre en cas de DFG plus faibles).

Le point de vue d'un cardiologue et d'un endocrinologue

  • Il existe des raisons suffisantes pour inclure les SGLT2i dans le traitement standard de l'HFrEF.
  • Nous insistons donc sur une adaptation des critères de remboursement:
    • également en cas d'HFrEF avec ou sans diabète de type 2 et assurément en prévention secondaire;
    • également en cas de DFG < 60 ml/ min (jusqu'à 20 ml/min/m²) et indépendamment de l'HbA1c;
    • la prolongation du remboursement doit être dissociée de l'impact sur l'HbA1c.
  • D'autant plus que les SGLT2i s'avèrent très rentables en cas d'HFrEF.3
  • En ce qui concerne l'instauration et éventuellement la titration rapide des quatre piliers, comme le suggère le Pr Packer, quelques nuances s'imposent. L'effet de chacun des quatre piliers n'a jamais été étudié sui generis, mais toujours dans un contexte cumulatif où un nouveau médicament a chaque fois été ajouté au traitement de sujets volontaires qui étaient déjà stabilisés grâce au traitement reconnu à ce moment-là. C'est donc complètement différent que d'instaurer les quatre piliers simultanément et de titrer jusqu'à la dose cible. L'instauration de ce qui est basé sur des preuves doit être individualisée pour chaque patient. Les patients gravement malades, souffrant d'HFrEF de novo, ne tolèrent pas toujours l'instauration des quatre médicaments en même temps ou très rapidement, et ce, en plus de diurétiques de l'anse ou de thiazides, dont la dose peut également varier considérablement au début de l'affection. Parfois, il faut donner la priorité aux interventions (telles que la TRC, la cardioversion et/ou PVI) ou aux médicaments tels que les BB, qui ont le plus grand impact sur le processus de 'remodelage inverse'. Cela prend parfois plusieurs mois. L'implémentation de ces quatre piliers pharmacologiques ne peut se faire que dans les limites de la pression artérielle et de l'état de remplissage, de la fonction rénale et des électrolytes. Cette évolution n'est pas prévisible et peut varier considérablement d'un patient à l'autre. Les inhibiteurs du SRAA, en particulier, peuvent fortement abaisser la pression artérielle s'ils sont titrés trop rapidement, et ils compliquent donc l'implémentation des autres piliers. Sur ce plan, les SGLT2i ont relativement peu d'effets indésirables, et ils ne nécessitent pas d'adaptations posologiques.
  • Les SGLT2i ne sont PAS indiqués en cas de diabète de type 1 (exclusion classique lors des études), en raison du risque accru d'acidocétose. Les SGLT2i augmentent les taux de glucagon en diminuant la glycémie, mais aussi par un effet direct sur les cellules alpha du pancréas. Un rapport glucagon-insuline élevé provoque la production de cétones, un bon carburant pour le myocarde (et donc un des mécanismes d'action possibles des effets bénéfiques sur la fonction cardiaque), mais en cas de taux d'insuline faibles, cela peut dégénérer en acidocétose. De plus, il arrive souvent que ce ne soit pas détecté à temps car la glycémie augmente peu, en raison de l'excrétion urinaire de sucre sous l'influence des SGLT2i (acidocétose euglycémique, une situation très dangereuse). Le diabète de type 1 peut également toucher les sujets âgés. Pensez aux patients diabétiques qui ne présentent pas la physionomie classique du patient atteint d'obésité abdominale et de diabète de type 2. Un diabétique qui perd du poids tout en restant mal contrôlé souffre de diabète de type 1 jusqu'à preuve du contraire. Exceptionnellement, les SGLT2i peuvent être utilisés en cas de diabète de type 1, pour autant qu'on surveille les taux de corps cétoniques et que l'équipe chargée du diabète fournisse une éducation et des conseils approfondis.
  • Les SGLT2i ont peu d'effets indésirables, mais quelques points doivent cependant être mentionnés:
    • Les mycoses génitales sont plus fréquentes mais généralement bénignes. Informez le patient à ce sujet. Habituellement, ce problème peut être résolu facilement (p. ex. avec un traitement consistant en une dose unique de 150 mg de fluconazole) et il n'est pas nécessaire d'arrêter le SGLT2i.
    • En eux-mêmes, les SGLT2i ne provoquent pas d'hypoglycémies, mais lorsque les patients sont traités par une sulfonylurée (voir les sulfamidés hypoglycémiants dans le CBIP), du repaglinide ou de l'insuline, des hypoglycémies sont possibles. En règle générale, les doses de ces médicaments doivent être considérablement réduites lors de l'instauration d'un SGLT2i.
    • Les SGLT2i peuvent également provoquer une hypotension orthostatique en de rares occasions.
  • Un avis endocrinologique est indiqué:
    • en cas de doute sur le type de diabète;
    • en cas d'utilisation concomitante d'autres hypoglycémiants.

Références

  1. Packer, M., et al. Cardiovascular and renal outcomes with emagliflozin in heart failure. N Engl J Med, DOI:101056/NEJMoa2022190)
  2. McMurray, J.J.V., et al. Dapagliflozin in patients with heart failure and reduced ejection fraction. N Engl J Med, 2019, 381, 1995-2008.
  3. Zinman, B., et al. Empagliflozin, cardiovascular outcomes and mortality in type 2 diabetes. N Engl J Med, 2015, 373, 2117-2128.
  4. Wiviott, S.D., et al. Dapagliflozin and cardiovascular outcomes in type 2 diabetes. N Engl J Med, 2019, 380, 347-57.
  5. Zannad, F., et al. SGLT2 inhibitors in patients with heart failure with reduced ejection fraction: a meta-analysis of the EMPEROR-Reduced and DAPA-HF trials. The Lancet, 2020, 396, 819-829. https://doi. org/10.1016/ S0140-6736(20)31824-9
  6. McEwan, P., et al. Cost-effectiveness of dapagliflozin as a treatment for heart failure with reduced ejection fraction: a multinational health-economic analysis of DAPA-HF. Eur J Heart Failure, 2020, doi: 10.1002/ejhf.1978

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