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L'édoxaban utilisé chez le patient âgé atteint de fibrillation auriculaire
  • Bert Zwaenepoel 

Compte rendu du congrès de l'EHRA

Comme beaucoup d'autres, le congrès annuel de la European Heart Rhythm Association a connu une édition virtuelle cette année. Ce compte rendu vous propose un résumé de la session 'NOACs in the elderly AF patient: learnings from 10 years of clinical practice'. Les intervenants étaient Jan Steffel (Zürich) et Joris de Groot (Amsterdam). La session s'est terminée sur une séance de questions/réponses.

Les NACO chez les patients fragiles - données probantes et implications pratiques

Jan Steffel - Zürich

Depuis quelques années déjà, les nouveaux anticoagulants oraux (NACO) sont préférés aux antagonistes de la vitamine K (AVK) dans la prévention de la thromboembolie systémique (TES) chez les patients atteints de fibrillation auriculaire (FA) non valvulaire.1 L'usage de ces médicaments dans la sous-population de patients âgés et fragiles revêt une importance croissante au vu du vieillissement de la population et de la prévalence accrue de FA à un âge plus avancé.

Il a déjà été démontré à de multiples reprises que l'usage de NACO entraîne une réduction des complications cardiovasculaires sévères et des décès. Mais le défi, dans la population âgée, consiste à faire la balance entre ce bénéfice et le risque d'hémorragie. Dans cette recherche d'équilibre, les cliniciens ont souvent l'impression de disposer de peu de données probantes. Ce n'est pas tout à fait exact, en particulier en ce qui concerne les NACO. Une vaste méta-analyse a par exemple été publiée en 2019, sur la base des données des quatre études de référence de leurs NACO respectifs (ARISTOTLE, ROCKET AF, RE-LY et ENGAGE AF).2 Les résultats y étaient distribués en fonction de l'âge (plus ou moins de 75 ans). Pour ce qui concerne l'efficacité (en comparaison avec les AVK) chez les plus de 75 ans, on a observé une réduction du risque de TES plus importante que dans le groupe plus jeune (rapport de risque de 0,70 vs 0,97, respectivement), les résultats entre les différents NACO étant comparables (figure 1). Ces données permettent donc d'établir que la population plus âgée bénéficie davantage de l'usage d'un NACO que les patients plus jeunes. Sans oublier qu'on parle ici d'un vaste échantillon de population. En effet, plus de 24 000 patients étaient inclus dans chacune des catégories. Si l'on regarde le revers de la médaille (le risque d'hémorragie majeure), on voit dans la population plus jeune un rapport de risque combiné en faveur des NACO (par rapport aux AVK), les résultats étant une nouvelle fois relativement homogènes entre les différents NACO (figure 1). Ce, alors qu'un résultat statistiquement hétérogène était observable dans le groupe plus âgé. Le dabigatran et le rivaroxaban se sont avérés équivalents aux AVK, avec même un avantage statistiquement non significatif pour les AVK, tandis que l'apixaban et l'édoxaban se révélaient supérieurs aux AVK. On pourrait donc postuler que l'apixaban et l'édoxaban ont un profil plus sûr dans la population plus âgée, tandis que l'efficacité reste identique. La prudence s'impose naturellement lors de la comparaison de ce type d'études, mais, d'un point de vue pratique, ces résultats semblent assurément pertinents pour décider quel traitement donner à tel ou tel patient.

Les résultats qui précèdent ne considèrent naturellement que l'âge calendrier. Ils ne tiennent pas compte du concept de fragilité (frailty). Une sous-étude de l'étude ENGAGE AF s'est dès lors penchée spécifiquement sur le groupe de patients exposés à un risque accru de chutes, une donnée souvent corrélée au concept de fragilité.3 Si on parle en termes de réduction du risque absolu, on voit que tant l'efficacité que la sécurité de l'édoxaban sont supérieures dans le groupe connaissant des chutes fréquentes et que le number needed to treat associé est donc plus petit (figure 2). Se fondant notamment sur ces données, l'EHRA conclut dès lors que ni la vieillesse, ni la fragilité, ni la démence ne constituent de contre-indications absolues à l'utilisation d'anticoagulants. Elle recommande néanmoins une individualisation systématique de la décision, en concertation multidisciplinaire avec les gériatres, entre autres, et en fonction des comorbidités déjà présentes, des souhaits et des objectifs du patient.4

Ceci est important étant donné que, dans la population plus âgée, d'autres comorbidités jouent souvent un rôle prépondérant, comme une atteinte rénale chronique. Mais il y a aussi des analyses disponibles pour ce sous-groupe. Ainsi, une méta-analyse de 5 essais randomisés contrôlés de 2019 a montré une efficacité concordante entre tous les NACO parmi des patients avec insuffisance rénale modérée chronique (DFGe : 30 - 50 ml/ min).5 En comparaison avec les AVK, le risque relatif combiné de TES était à l'avantage des NACO (RR : 0,78 ; IC à 95 % : 0,67 - 0,91). En ce qui concerne le risque d'hémorragie majeure, les résultats se sont à nouveau révélés hétérogènes. Le dabigatran et le rivaroxaban ont entraîné un risque hémorragique équivalent aux AVK, tandis que l'apixaban et l'édoxaban se sont une nouvelle fois avérés supérieurs.

On dispose également de données concernant la sous-population de patients diabétiques. Dans une revue de 2017, le dabigatran était le seul à démontrer sa supériorité en termes d'efficacité par rapport aux AVK (HR : 0,61 ; IC à 95 % : 0,41 - 0,91). Du côté de la sécurité, c'est l'édoxaban qui était le seul à démontrer sa supériorité (HR : 0,79 ; IC à 95 % : 0,65 - 0,96).6

En résumé, le risque tant thromboembolique qu'hémorragique augmente avec l'âge. Au moment d'initier un NACO chez un patient âgé fragile, il convient donc de tenir compte de la balance entre sécurité et efficacité. Il est important de garder en tête que la population plus âgée bénéficie de la plus grande réduction du risque absolu et qu'il faut donc éviter de sous-traiter par peur des complications. En revanche, il est toujours conseillé de choisir un NACO qui offre un bon équilibre entre efficacité et sécurité.

Données probantes issues de la pratique quotidienne - contradictoires ou confirmatoires ?

Joris de Groot - Amsterdam

Toutes les informations qui précèdent proviennent d'essais contrôlés randomisés (randomized controlled trials, RCT) appliquant systématiquement des critères d'inclusion et d'exclusion stricts. Bien qu'ils fassent office de référence, les résultats de ce type d'études ne peuvent pas être simplement extrapolés aux patients rencontrés au quotidien. C'est pour combler cette lacune qu'existent les données issues de la vie réelle (real world evidence, RWE). Les principales différences entre les deux types d'études sont résumées au tableau 1. Un facteur important expliquant les discordances occasionnelles entre les résultats des études de NACO de type RCT ou RWE tient à la posologie de ces médicaments. Dans les RCT, la dose recommandée est en effet toujours strictement respectée tandis que, dans la pratique quotidienne, la dose prescrite et prise est souvent supérieure ou inférieure à la dose recommandée. Ce phénomène s'accompagne d'un risque majoré d'hémorragie et de TES. Une étude en situation réelle récemment publiée, regroupant les données de plus de 25 000 patients, a comparé l'efficacité de NACO à celle d'AVK (registre GARFIELD AF).7 En comparaison de l'utilisation d'AVK, l'usage d'un NACO a abouti à une réduction du risque de mortalité (HR : 0,79 ; IC à 95 % : 0,70 - 0,89) et d'hémorragie majeure (HR : 0,77 ; IC à 95 % : 0,61 - 0,98). Aucune différence statistique n'a en revanche été observée au niveau du risque de TES (HR : 0,96 ; IC à 95 % : 0,73 - 1,25). L'étude ETNA AF est une autre importante étude en situation réelle.8 Plus de 25 000 patients traités depuis un an par 30 ou 60 mg d'édoxaban par jour y ont été inclus. Dans cette cohorte, la posologie s'est révélée correcte chez 83 % des sujets. Les taux d'incidence d'hémorragie majeure (1 %), d'AVC (1 %) et de mortalité (3 %) se sont avérés faibles. Si l'on compare ces données avec les données non asiatiques du RCT ENGAGE AF, on voit que l'incidence des AVC et des hémorragies majeures est plus faible dans l'étude ETNA AF. Une explication possible est que l'étude ENGAGE AF a inclus davantage de patients à haut risque.

En résumé, on peut dire que les RWE et les RCT forment un tout complémentaire, chacun ayant ses propres avantages et inconvénients. Si on examine les RWE relatives à l'utilisation de l'édoxaban dans la pratique quotidienne, on constate une faible incidence de TES et d'hémorragies majeures et une posologie correcte chez un grand nombre de patients (83 %).

Séance de questions/réponses

La session s'est clôturée par une courte séance de questions/réponses, le public ayant l'occasion de poser quelques questions aux deux intervenants. En voici un bref résumé.

Dans les RCT, les extrêmes sont souvent exclus (p. ex. clairance rénale extrêmement basse, poids extrême). Les données observationnelles peuvent-elles servir de fil conducteur en la matière ?

Voilà une question complexe pour débuter. Les données observationnelles peuvent essentiellement nous fournir des informations sur les patients qui se situent aux limites des extrêmes, par exemple une clairance rénale de 30 ml/min. Pour les vrais extrêmes, comme une (pré)dialyse, on dispose souvent de trop peu de données pour formuler une réponse pertinente. On se trouve dans un « no man's land », une zone où personne ne connaît la bonne réponse. Pour ces patients, la décision repose souvent sur l'expérience personnelle du praticien. Il existe donc, pour ces populations, un grand besoin de recherches complémentaires, mais les processus d'inclusion dans ces études sont souvent difficiles, ce qui mène régulièrement à un arrêt prématuré des études.

Quid des patients très âgés (> 80 ans) ?

On peut avoir l'impression que les patients très âgés sont souvent sous-représentés dans les études. Pourtant, les données disponibles sont assez nombreuses en ce qui concerne les NACO. L'étude ENGAGE AF, par exemple, a inclus plus de 3500 personnes âgées de plus de 80 ans. C'est plus que le nombre cumulé de sujets de plus de 80 ans inclus au début des années 1990 dans l'ensemble des études contrôlées contre placebo avec des AVK (environ 2 900 patients). Les preuves sont donc utilisables et les résultats montrent une grande concordance avec les autres groupes d'âge. Chez les patients très âgés, on observe une même efficacité et sécurité relative. Toutefois, vu le plus grand risque absolu encouru par cette population, la réduction du risque absolu est également plus importante et le number needed to treat est moins élevé que dans la population plus jeune.

Les patients âgés sont souvent cachectiques. Lorsque le poids corporel est inférieur à 60 kg, la dose d'édoxaban doit être réduite à 30 mg. Existe-t-il aussi une limite minimale pour cette dose ?

On ne dispose pas d'amples jeux de données à ce sujet, certainement parce que le patient moyen avec fibrillation auriculaire est plutôt trop gros que trop maigre. Dans l'étude ENGAGE AF, on a toutefois observé des concentrations plasmatiques équivalentes sous 30 mg d'édoxaban chez les patients en sous-poids par rapport aux patients ayant un poids normal. La maigreur n'est donc généralement pas une raison de ne pas instaurer une anticoagulation chez un patient. De l'avis personnel des intervenants, une dose de 30 mg d'édoxaban serait encore donnée jusqu'au poids de 40 kg. En deçà de ce poids, il peut être indiqué de mesurer le taux plasmatique d'édoxaban pour s'assurer de l'absence d'accumulation.

Corrigendum

Dans le compte rendu du symposium 'L'utilisation d'edoxaban chez le patient âgé souffrant de fibrillation auriculaire' de Bert Zwaenepoel, une figure 1 erronée a été reprise. Elle doit être remplacée par les données au sujet des thrombo-embolies, basées sur le corrigendum de l'article de Caldeira et al. et non de l'article original, tandis que les données relatives aux hémorragies doivent être corrigées sur la base de l'article original de Caldeira.

Références

  1. Hindricks G., Potpara T., Dagres N. et al. 2020 ESC Guidelines for the diagnosis and management of atrial fibrillation developed in collaboration with the European Association of Cardio-Thoracic Surgery (EACTS). Eur Heart J, 2020, 42 (5), 373-498.
  2. Caldeira, D., Nunes-Ferreira, A., Rodrigues R. et al. Corrigendum to “Non-vitamin K antagonist oral anticoagulants in elderly patients with atrial fibrillation: A systematic review with meta-analysis and trial sequential analysis”. Arch Gerontol Geriatr, 2019, 83, 209-214.
  3. Steffel, J., Giugliano R.P., Braunwald E. et al. Edoxaban Versus Warfarin in Atrial Fibrillation Patients at Risk of Falling: ENGAGE AF-TIMI 48 Analysis. J Am Coll Cardiol, 2016, 68 (11), 1169-1178.
  4. Steffel, J., Verhamme, P., Potpara T.S. et al. The 2018 European Heart Rhythm Association Practical Guide on the use of non-vitamin K antagonist oral anticoagulants in patients with atrial fibrillation. Eur Heart J, 2018, 39 (16), 1330-1393.
  5. Gui, Y-Y., Zou, S., Yang W-L. et al. The impact of renal function on efficacy and safety of new oral anticoagulant in atrial fibrillation patients: A systemic review and metaanalysis. Medicine, 2019, 98 (48), e18205.
  6. Plitt, A., McGuire, D.K., Giugliano. R.P., Atrial Fibrillation, Type 2 Diabetes, and Non-Vitamin K Antagonist Oral Anticoagulants: A Review. JAMA Cardiol, 2017, 2 (4), 442-448.
  7. Camm, A.J., Fox, K.A.A., Virdone S. et al. Comparative effectiveness of oral anticoagulants in everyday practice. Heart, 2021, 0, 1-9.
  8. De Caterina, R., Kim, Y-H., Koretsune Y. et al. Safety and Effectiveness of Edoxaban in Atrial Fibrillation Patients in Routine Clinical Practice: One-Year Follow-Up from the Global Noninterventional ETNA-AF Program. J Clin Med, 2021, 10 (4), 573.

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