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Le BAV 2 symptomatique, pensez-en en dehors des sentiers battus
  • Hélène Ceruti , Lisa Vancampenhout , Peter Goethals , Philippe Purnode , Sofia Chatzikyriakou , Mihaela Malanca , Bertin Foading 

La maladie de Lyme est une infection systémique causée par l'agent pathogène de la famille Borrelia, bactérie spirochète dont le vecteur est une tique. La bactérie retrouvée chez les souris ou d'autres mammifères, réservoirs naturels de Borrelia, peut être transmise à l'homme par piqûre d'une tique infectée. En Europe, elle représente l'infection la plus fréquente transmise par une tique. On la rencontre essentiellement dans les régions forestières d'Europe centrale et d'Europe du Nord-est.

Les manifestations cliniques de la maladie de Lyme peuvent être divisées en trois phases1: une phase localisée précoce (endéans les jours à semaines) qui se manifeste généralement par un érythème migrant accompagné ou non de symptômes aspécifiques ; une phase de dissémination précoce (endéans des semaines à des mois post inoculation) caractérisée par une atteinte cardiaque et/ou neurologique, et une phase tardive associée à des atteintes neurologiques et/ou d'arthrite.

Son diagnostic reste difficile en raison de sa variabilité clinique et son atteinte cardiaque se manifeste dans 1-10 % des cas, souvent sans notion d'une piqûre de tique.2

Présentation du cas

Une femme de 57 ans, infirmière de profession, avec comme seul antécédent médical une hypertension artérielle de grade 2 traitée par bithérapie (perindopril/ indapamide 5/1,25), se présente spontanément au service des Urgences pour des palpitations au repos depuis 2 jours. La patiente décrit une asthénie inhabituelle ainsi que des douleurs sous-mandibulaires depuis plusieurs semaines, associées à une sensation de malaise. Elle ne présente pas d'assuétude éthylo-tabagique et n'a pas d'allergies connues. Les paramètres vitaux aux urgences mettent en évidence une bradycardie à 40 bpm avec une tension artérielle à 153/70 mmHg et une saturation à l'air ambiant à 98 %. L'examen physique est sans particularités. La prise de sang révèle une anémie normocytaire à 10,5 g/dl d'hémoglobine, un léger syndrome inflammatoire avec une CRP à 32 mg/l (norme < 3) sans hyperleucocytose et une légère cytolyse hépatique sans cholestase. L'électrocardiogramme réalisé aux urgences met en évidence un BAV du 2e degré Mobitz 2 (figure 1a).

La patiente est hospitalisée dans le service de Cardiologie sous monitoring de télémétrie. La radiographie de thorax s'avère normale et l'échocardiographie transthoracique met en évidence une fraction d'éjection à 60 % sans anomalie structurelle. Après une anamnèse approfondie, la patiente signale avoir eu un rash de type érythème au niveau de la cuisse droite il y a quelques semaines et avoue se balader dans les hautes herbes de façon régulière, laissant supposer une éventuelle piqure de tique.

Devant la forte probabilité clinique de maladie de Lyme, une antibiothérapie empirique à base de ceftriaxone 2g 1x/jour est instaurée par voie intraveineuse, en attendant les résultats sérologiques. Les anticorps VLsE + IgG et IgM reviennent positifs, respectivement 129,2 AU/ml (positif > 15) et 1,1 (positif > 1,1) ce qui est confirmé par le western blot immunoglobuline IgG (qui revient positif pour VlsE, p83, BmpA, p30, OspC, p21, p17 spécifiques du Borrelia burgdorferi) et IgM (qui revient positif pour le OspA, OspC spécifique du Borrelia burgdorferi).

À 24 heures du début d'antibiotiques, elle développe une pyrexie à 38,5 °C avec réalisation de deux paires d'hémocultures qui reviennent négatives après 6 jours. Au 2e jour d'antibiotiques, la télémétrie met en évidence une amélioration du rythme cardiaque avec alternance de BAV du 2e degré Mobitz 2 et Mobitz 1. Un seul épisode de BAV complet d'une durée de quelques secondes est survenu pendant le sommeil de la patiente au 4e jour de monitoring. Au 5e jour, le rythme alterne entre rythme sinusal à conduction normale et BAV du 2e degré Mobitz 1 (figure 1b). Au décours de l'hospitalisation, nous constatons une dégressivité du trouble de conduction avec un passage en BAV du 1er degré (figure 2). Après 10 jours d'antibiotiques, le BAV est complètement résolu au repos. Nous décidons de réaliser un test d'effort au 11e jour avec une charge maximale de 125 Watts ne mettant pas en évidence de troubles du rythme, ni d'incompétence chronotrope. La patiente sort de l'hôpital au 14e jour avec de la doxycycline per os 100 mg 2x/jour pendant 7 jours pour une durée de 21 jours au total d'antibiotiques. Au décours de l'hospitalisation, le syndrome inflammatoire et la cytolyse hépatique se résolvent.

Le suivi en consultation à 2 semaines post hospitalisation n'a pas retrouvé de troubles du système de conduction (figure 3) et la patiente ne présentait aucune plainte somatique.

Discussion

L'atteinte cardiaque de la maladie de Lyme est relativement rare. En général asymptomatique ou paucisymptomatique, avec un ratio homme:femme de 3:13, elle se manifeste cliniquement dans 10 % des cas. Les principaux symptômes retrouvés sont des palpitations, de la dyspnée, des douleurs thoraciques et des syncopes.4

Selon des registres, 0,3 à 10 % des cas non traités se manifestent par des troubles du système de conduction notamment par des blocs auriculo-ventriculaires, avec dans 50 à 80 % des cas des BAV de haut degré, dans 16 % des cas des BAV du 2e degré et dans 12 % des cas des BAV de 1er degré. D'autres types de blocs ont été décrits (sino-auriculaires, intra-ventriculaires), néanmoins plus rares.5

Au niveau physiopathologique, il existe une atteinte directe du myocarde par le spirochète, responsable d'un processus inflammatoire macrocytaire et lymphocytaire important, dont les principaux infiltrats prédominent au niveau des tissus conjonctifs situés à la base du coeur et au niveau du septum interventriculaire basal, ce qui explique la prédominance de BAV.6 La sévérité des troubles du système de conduction est corrélée au nombre de spirochètes présents dans les tissus ainsi qu'au degré d'inflammation myocardique.7

Les patients cliniquement symptomatiques, ceux avec un BAV du 2e ou du 3e degré, ou qui présentent un espace PR > 300 msec devraient être hospitalisés et mis sous surveillance télémétrique (vu le risque de progression vers BAV complet et asystolie) avec instauration d'un traitement antibiotique empirique s'ils présentent un Suspicious Index in Lyme Carditis (SILC) score intermédiaire ou élevé.8

Le SILC score, proposé par le American College of Cardiology Foundation9 permet d'évaluer la probabilité qu'un BAV de haut degré soit causé par la maladie de Lyme en se basant sur six paramètres : présence de symptômes, aire endémique, sexe masculin, piqûre de tique, âge < 50 ans, érythème migrants. La somme des points de chacune des 6 variables permet d'estimer un score bas (0 à 2), un score intermédiaire (3 à 6) et un score élevé (7 à 12). Le score bas écartant le diagnostic de maladie de Lyme, conduit par conséquent à la prise en charge standard d'un BAV du haut degré d'une autre origine, et dès lors à l'implantation d'un pacemaker; le score de notre patiente était de 8. Les recommandations en termes de traitement suggèrent des antibiotiques IV pour une durée de 10-14 jours (ceftriaxone en 1e ligne) avec un relai per os (à réaliser lors de la résolution du BAV de haut degré - doxycycline ou amoxicilline) pour un total de 14 à 21 jours.9

Les BAV de haut degré s'améliorent et régressent à des niveaux inférieurs endéans une semaine de traitement et la majorité des troubles du système de conduction se résolvent endéans les 6 semaines2, 6, évitant ainsi le recours à un pacemaker permanent. L'implantation d'un pacemaker permanent n'est donc pas recommandée étant donné le caractère résolutif des BAV sous traitement bien conduit. Ces données proviennent d'opinions d'experts basées essentiellement sur des cas cliniques isolés ainsi que sur quelques études rétrospectives et prospectives.3, 9

Des tests sérologiques peuvent confirmer le diagnostic. En général, une procédure en deux étapes est suivie. Premièrement, un ELISA pour les anticorps VLsE + IgG et IgM est effectué, suivi d'un Western Blot (plus spécifique) pour confirmation.10 Il est important de noter que les anticorps peuvent rester positifs pendant 10 à 20 ans. Un dépistage par sérologies est donc recommandé devant un tableau clinique évocateur, en l'absence d'une cause cardiaque primaire ainsi que chez les patients jeunes.10 A titre informatif, des myopéricardites, des cardiomyopathies ainsi que des morts subites ont été décrites dans la littérature.11

Conclusion

La maladie de Lyme avec atteinte cardiaque, et notamment l'atteinte rythmique reste une maladie dont le pronostic est favorable et dont la plupart des cas ne nécessitent pas d'implantation de pacemaker définitif étant donné l'évolution favorable après un traitement antibiotique ciblé. Le diagnostic est à évoquer devant un tableau de BAV surtout chez un patient jeune avec une suspicion clinique. Le SILC score peut être un outil diagnostique à la prise en charge.

Références

  1. Steere, A.C. Lyme disease. N Engl J Med, 1989, 321 (9), 586‑596.
  2. Fish, A.E., Pride, Y.B., Pinto, D.S. Lyme carditis. Infect Dis Clin North Am, 2008, 22 (2), 275‑288.
  3. Glikson M, Nielsen, J.C., Kronborg, M.B., Michowitz, Y., Auricchio, A., Barbash, I.M. et al. 2021 ESC Guidelines on cardiac pacing and cardiac resynchronization therapy. Eur Heart J, 2021, 42 (35), 3427‑3520.
  4. Kostić, T., Momčilović, S., Perišić, Z.D., Apostolović, S.R., Cvetković, J., Jovanović, A. et al. Manifestations of Lyme carditis. Int J Cardiol, 2017, 232, 24‑32.
  5. Forrester, J.D., Meiman, J., Mullins, J., Nelson, R., Ertel, S-H., Cartter, M. et al. Notes from the field: update on Lyme carditis, groups at high risk, and frequency of associated sudden cardiac death-United States. MMWR Morb Mortal Wkly Rep, 2014, 63 (43), 982‑983.
  6. McAlister, H.F., Klementowicz, P.T., Andrews, C., Fisher, J.D., Feld, M., Furman, S. Lyme carditis: an important cause of reversible heart block. Ann Intern Med, 1989, 110 (5), 339‑345.
  7. Cadavid, D., Bai, Y., Hodzic, E., Narayan, K., Barthold, S.W., Pachner, A.R. Cardiac involvement in non-human primates infected with the Lyme disease spirochete Borrelia burgdorferi. Lab Investig J Tech Methods Pathol, 2004, 84 (11), 1439‑1450.
  8. Lantos, P.M., Rumbaugh, J., Bockenstedt, L.K., Falck-Ytter, Y.T., Aguero-Rosenfeld, M.E., Auwaerter, P.G. et al. Clinical Practice Guidelines by the Infectious Diseases Society of America (IDSA), American Academy of Neurology (AAN), and American College of Rheumatology (ACR): 2020 Guidelines for the Prevention, Diagnosis and Treatment of Lyme Disease. Clin Infect Dis Off Publ Infect Dis Soc Am, 2021, 72 (1), e1‑48.
  9. Yeung, C., Baranchuk, A. Diagnosis and Treatment of Lyme Carditis: JACC Review Topic of the Week. J Am Coll Cardiol, 2019, 73 (6), 717-726.
  10. Steere, A.C., McHugh, G., Damle, N., Sikand, V.K. Prospective study of serologic tests for lyme disease. Clin Infect Dis Off Publ Infect Dis Soc Am, 2008, 47 (2), 188‑195.
  11. Centers for Disease Control and Prevention (CDC). Three sudden cardiac deaths associated with Lyme carditis - United States, November 2012-July 2013. MMWR Morb Mortal Wkly Rep, 2013, 62 (49), 993‑996.

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