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La thérapie ferrique en cas d'insuffisance cardiaque
  • Anne Vorlat 

Ces dernières années, et assurément le mois dernier, la supplémentation en fer en cas d'insuffisance cardiaque a fait couler beaucoup d'encre. Le fer est un élément essentiel de nombreux processus physiologiques dans le corps humain. Le transport de l'oxygène, le métabolisme des cellules musculaires squelettiques et cardiaques, la synthèse des protéines et l'hématopoïèse sont autant de processus qui nécessitent du fer. Chez les patients souffrant d'insuffisance cardiaque, on trouve une carence martiale chez 43-68 % des patients anémiques et 14-35 % des patients non anémiques, en fonction de la définition de la carence martiale. Des taux d'hémoglobine et de fer plus faibles chez les insuffisants cardiaques sont associés à une augmentation de la mortalité cardiovasculaire et de la mortalité toutes causes : HR 0,92 ; IC 95 % 0,89-0,95 ; P < 0,001 et HR 0,98 ; IC 95 % 0,97-0,99 ; P = 0,007, respectivement.1 Les suppléments de fer semblent donc être un traitement logique et intéressant pour ces patients.

Les indications en faveur de l'utilité d'une correction de la carence martiale en cas d'insuffisance cardiaque avec diminution de la fonction cardiaque proviennent essentiellement de trois études randomisées, en double aveugle, contrôlées par placebo. Dès 2009, l'étude FAIR-HF, avec 459 inclusions, a pu démontrer une amélioration des critères d'évaluation subjectifs tels que la classe NYHA (New York Heart Association) et les scores PGA (Patient Global Assessment) auto-rapportés chez les patients présentant une carence martiale associée à une insuffisance cardiaque à fraction d'éjection réduite (FEVG < 40 %) (HFrEF), suivis pendant 24 semaines après l'administration de carboxymaltose ferrique par voie intraveineuse.² En 2015, l'étude CONFIRM-HF a inclus 304 patients présentant une FEVG < 45 % et une carence martiale.3 On a noté une amélioration du test de marche de 6 minutes : +18 ± 8 m vs -16 ± 8 m (p = 0,002). Les scores PGA et la classe NYHA se sont également améliorés. En outre, on a constaté une diminution significative du nombre d'hospitalisations pour insuffisance cardiaque. Malheureusement, les auteurs n'ont pas noté de diminution de la mortalité suite à la correction de la carence martiale chez les patients souffrant d'HFrEF. Enfin, l'étude AFFIRM-AHF, plus récente (2020), a étudié la supplémentation en fer par voie intraveineuse (IV) chez des patients ayant une FEVG < 50 % après un épisode d'insuffisance cardiaque aiguë.4 Le critère d'évaluation primaire combiné de mortalité cardiovasculaire et de nouvelles hospitalisations pour insuffisance cardiaque n'a pas été atteint. Par contre, on a observé une diminution significative du nombre de nouvelles hospitalisations pour insuffisance cardiaque.

Ces trois études ont conduit à l'inclusion de la supplémentation en fer IV dans les recommandations de 2021 de la Société européenne de cardiologie (ESC) pour l'insuffisance cardiaque chronique. Le carboxymaltose ferrique IV chez les insuffisants cardiaques chroniques carencés en fer a reçu une indication de classe IIa, et ce, quel que soit le taux d'hémoglobine. Ce traitement permet d'améliorer les symptômes, la capacité à l'effort et la qualité de vie.

Récemment, on a publié les résultats de deux études additionnelles qui semblent confirmer ces résultats prometteurs. D'une part, il y a eu l'étude IRONMAN5, une étude sponsorisée par le fabricant qui a inclus 1 137 patients présentant une HFrEF (Hb 12,1 g/dl), une hospitalisation récente, des peptides natriurétiques élevés et des signes biochimiques d'une carence martiale. Les patients ont été randomisés vers le traitement standard ou du dérisomaltose ferrique IV, et ils ont été suivis pendant 2,7 ans en moyenne. On n'a pas noté de différences statistiques entre les deux groupes en ce qui concerne le critère d'évaluation primaire : hospitalisation pour insuffisance cardiaque ou mortalité cardiovasculaire. En revanche, une analyse de sensibilité COVID-19 a pu montrer une réduction significative du critère d'évaluation (HR 0,76). Cette étude a montré qu'une autre forme de fer IV, le dérisomaltose ferrique (au lieu du carboxymaltose ferrique précédemment utilisé), peut également avoir des effets bénéfiques. Enfin, une récente analyse post hoc de l'étude AFFIRM-HF a examiné les critères d'évaluation dans la même population, mais répartie en sous-groupes selon que l'hémoglobine était supérieure ou inférieure à 12 g/dl.6 Les effets du fer IV sur le résultat final dans ces deux groupes de patients n'étaient pas significatifs.

Toutes les études susmentionnées suggèrent un bénéfice de l'administration de fer IV en cas d'insuffisance cardiaque, sans être véritablement convaincantes et sans gain en termes de mortalité. Tous les espoirs résident dans les méta-analyses pour voir un effet sur des critères d'évaluation plus concrets.

Lors du récent congrès de l'ESC à Amsterdam, Piotr Ponikowski a présenté une vaste méta-analyse portant sur les données compilées des études CONFIRM-HF, AFFIRM-AHF et HEART-FID.7 4 501 patients souffrant d'insuffisance cardiaque légère à sévère et d'une carence martiale ont été répartis entre un groupe recevant des suppléments de fer IV et un groupe recevant un placebo. Le carboxymaltose ferrique a réduit de manière significative le critère d'évaluation commun d'hospitalisations cardiovasculaires et de mortalité cardiovasculaire, comparativement au placebo : RR 0,86 (IC 95 % 0,75-0,98 ; p = 0,029). Le carboxymaltose ferrique a induit une réduction de 17 % des hospitalisations cardiovasculaires et de 16 % des hospitalisations pour insuffisance cardiaque : RR 0,83 (IC 95 % 0,73-0,96 ; p = 0,009) et RR 0,84 (IC 95 % 0,71-0,98 ; p = 0,025), respectivement. L'administration de fer n'a eu aucun effet sur la mortalité. En outre, une sous-analyse a montré que ce sont principalement les patients présentant la saturation de la transferrine la plus basse qui ont tiré le plus de bénéfices de la thérapie ferrique.

Sur la base de cette méta-analyse (parmi d'autres), les recommandations relatives à la thérapie ferrique IV ont été adaptées dans la dernière '2023 Focused update' des recommandations 2021 de l'ESC pour le traitement de l'insuffisance cardiaque.8 Le fer IV est recommandé avec une indication de classe IA pour les patients symptomatiques souffrant d'HFrEF et d'HFmrEF avec carence martiale, afin de soulager les symptômes et d'améliorer la qualité de vie. En ce qui concerne la réduction du risque d'hospitalisation pour insuffisance cardiaque, les suppléments de fer IV reçoivent une indication de classe IIa. La carence martiale est définie comme une ferritine sérique = 100 ng/ml ou une ferritine sérique comprise entre 100 et 299 ng/ml, avec une saturation de la transferrine < 20 %.

Pour savoir si le rapport coût/bénéfices de la thérapie ferrique IV en cas d'insuffisance cardiaque est favorable, il faudrait une analyse NNT. Il est plus que probable que de nombreux patients présentant une carence martiale ressentiront des effets bénéfiques de l'administration de suppléments de fer en termes de capacité à l'effort et de bien-être, et ce quelle que soit leur pathologie sous-jacente. La diminution du nombre d'hospitalisations pour insuffisance cardiaque pourrait faire pencher la balance en faveur de la thérapie ferrique IV dans la population souffrant d'insuffisance cardiaque.

Conclusion

Chez les insuffisants cardiaques carencés en fer, les suppléments de fer IV améliorent la symptomatologie. Selon les '2023 ESC Updated guidelines' pour l'insuffisance cardiaque chronique, il s'agit d'une indication de classe Ia. Le fer IV a le potentiel de prévenir les hospitalisations pour insuffisance cardiaque. Il s'agit alors d'une indication IIa, selon les mêmes recommandations. Ce traitement ne diminue pas la mortalité.

Références

  1. Cleland, J., Zhang, J., Pellicori, P., Dicken, B., Dierckx, R., Shoaib, A. et al. Outcomes of Anemia and Hematinic Deficiencies in Patients With Chronic Heart Failure. JAMA Cardiol, 2016, 1 (5), 539-547.
  2. Anker, S., Comin Colet, J., Filippatos, G., Willenheimer, R. Dickstein, K., Drexler, H. et al. Ferric Carboxymaltose in Patients with Heart Failure and Iron Deficiency. N Engl J Med, 2009, 361 (25), 2436-2448.
  3. Ponikowski, P., van Veldhuisen, D., Comin-Colet, J., Ertl, G., Komajda, M. Mareev, V. et al. Beneficial effects of long-term intravenous iron therapy with ferric carboxymaltose in patients with symptomatic heart failure and iron deficiency. Eur Heart J, 2015, 36 (11), 657-668.
  4. Ponikowski, P., Kirwan, B-A., Anker, S. et al. Ferric carboxymaltose for iron deficiency at discharge after acute heart failure: a multicentre, double-blind, randomised, controlled trial. The Lancet, 2020, 396 (10266), 1895-1904.
  5. Kalra, P., Cleland, J., Petrie, M., Thomson, E., Kalra, A., Squire, I. et al. Intravenous ferric derisomaltose in patients with heart failure and iron deficiency in the UK (IRONMAN): An investigator-initiated, prospective, randomised, open-label, blinded-endpoint trial. The Lancet, 2022, 400 (10369), 2199-2209.
  6. Filippatos, G., Ponikowski, P., Farmakis, D., Anker, S., Butler, J., Fabien, V. et al. Association between hemoglobin levels and efficacy of intravenous ferric carboxymaltose in patients with acute heart failure and iron deficiency: An AFFIRM-AHF subgroup analysis. Circulation, 2023, 147 (22), 1640-1653.
  7. Anker, S., Khan, M., Butler, J., von Haehling, S., Jankowska, E., Ponikowski, P. et al. Effect of intravenous iron replacement on recurrent heart failure hospitalizations and cardiovascular mortality in patients with heart failure and iron deficiency: a Bayesian meta-analysis. Eur J Heart Fail, 2023, 25 (7), 1080-1090.
  8. McDonagh, T., Metra, M., Adamo, M., Gardner, R., Baumbach, A., Böhm, M. et al for the Task force for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure of the European Society of Cardiology (ESC). 2023 Focused Update of the 2021 ESC Guidelines for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure. Eur Heart J, ehad195.

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