La sténose aortique est la plus fréquente des valvulopathies. Dans la très grande majorité des cas, elle est causée par une calcification progressive de la valve et se manifeste à un âge avancé. La prévalence de la sténose modérée à sévère est estimée à 3-5 % des patients > 75 ans. La moitié environ des patients qui ont une sténose sévère ne présentent aucun symptôme associé au moment où le diagnostic est posé. Dès que les symptômes apparaissent, le pronostic est mauvais, la mortalité rapportée allant jusqu'à 50 % à un an et 90 % à cinq ans.1,2 Les recommandations européennes donnent par conséquent une indication de classe I pour le remplacement valvulaire aortique (RVA) dans de tels cas. Chez les patients asymptomatiques présentant une sténose sévère, une intervention est indiquée en présence d'une fraction d'éjection ventriculaire gauche (VG) réduite (< 50 %), d'une épreuve d'effort anormale, d'une sténose très sévère ou d'évolution rapide, d'une calcification marquée ou de valeurs de (NT-pro)BNP très élevées.3
Il est important de comprendre que l'apparition de symptômes et la réduction de la fraction d'éjection VG surviennent très tard dans le processus pathologique. La surcharge de pression chronique du VG entraîne une hypertrophie du myocarde visant à maintenir la tension pariétale sous contrôle. Bien que ce mécanisme ait un effet bénéfique à court terme, le myocarde va se rigidifier au fil du temps et les pressions de remplissage intracavitaires vont grimper. L'épaississement progressif du myocarde va donner lieu à une malperfusion par supply-demand mismatch, entraînant la mort de cellules et l'activation du système rénine-angiotensine-aldostérone, ce qui, à son tour, va induire le recrutement de fibroblastes et la formation de fibrose. Il peut s'agir, d'une part, de fibrose interstitielle diffuse potentiellement réversible ou, d'autre part, de fibrose focale de remplacement. Cette dernière forme est irréversible et provoque des dégâts irréparables au myocarde ainsi que - si elle est trop avancée - une dysfonction myocardique permanente.4
Les techniques échocardiographiques plus avancées (p. ex. la déformation longitudinale globale et le travail myocardique) et l'imagerie par résonance magnétique cardiaque (IRMc) permettent une détection précoce de cette atteinte myocardique infraclinique. L'IRMc se révèle particulièrement intéressante dans ce contexte, car la technique permet de visualiser et de quantifier directement la fibrose. Des données observationnelles ont établi un lien clair entre le degré de fibrose et le risque de décompensation et de décès.5 Plus de 50 % des patients qui subissent une intervention pour sténose aortique sévère présentent déjà une fibrose significative du myocarde, qui reste détectable après l'intervention chez une part substantielle d'entre eux.6 Ce dernier point implique que si - conformément aux recommandations les plus récentes - la valve aortique est remplacée, une partie des patients a déjà subi des dommages irréparables au niveau du myocarde.
Lors de l'évaluation d'un patient atteint de sténose aortique, il est essentiel non seulement de quantifier le degré de sténose, mais aussi de cartographier l'effet du rétrécissement de la valve sur la structure et la fonction du coeur in toto. Dans la littérature, le phénomène est souvent désigné par le terme (pas tout à fait logique) extravalvular cardiac damage (atteinte cardiaque extravalvulaire). Généreux et al. ont défini cinq stades d'atteinte cardiaque sur la base des données de l'étude PARTNER 2 : stade 0, pas d'atteinte ; stade 1, dysfonction systolique et/ou hypertrophie du VG ; stade 2, dilatation auriculaire gauche, fibrillation auriculaire et/ou insuffisance mitrale ≥ modérée ; stade 3, hypertension pulmonaire et/ou insuffisance tricuspide ≥ modérée ; stade 4, insuffisance cardiaque droite.7 Des études observationnelles ont démontré que la majorité des patients (environ 40 %) qui ont subi une intervention de RVA en étaient déjà au stade 2. Seuls 3 % d'entre eux n'avait pas d'atteinte cardiaque (stade 0). Dans une récente étude, la corrélation pressentie intuitivement entre l'atteinte cardiaque extravalvulaire et la mortalité à 5 ans a été démontrée clairement et la valeur théorique s'est avérée supérieure vis-à-vis de paramètres hémodynamiques tels que le gradient de pression transvalvulaire et la surface valvulaire calculée. Les investigateurs ont en outre fait un constat au moins aussi important : le stade restait généralement identique après le RVA. Si 16 % des patients notaient une amélioration, 27 % voyaient leur condition se détériorer encore plus.8,9
Sur la base de ce qui précède, nous pouvons déduire que 1) en pratique clinique actuelle, les patients atteints de sténose aortique sévère sont souvent traités à un stade très tardif, 2) un RVA précoce peut éviter (ou limiter) l'atteinte cardiaque, ce qui améliore (probablement) le pronostic et 3) la détermination du stade de l'atteinte cardiaque extravalvulaire peut aider à identifier les patients chez qui un RVA précoce est indiqué (figure 1).

Le traitement d'un patient asymptomatique qui souffre de sténose aortique sévère reste néanmoins un sujet de débat. Le risque d'atteinte cardiaque potentielle et de mort subite dans le cadre d'une stratégie attentiste doit en effet faire l'objet d'une évaluation très minutieuse à l'aune des potentielles complications d'une valvuloplastie chirurgicale ou percutanée. Cette évaluation doit tenir compte non seulement des complications procédurales et périopératoires aiguës (p. ex. hémorragie, fibrillation auriculaire et insuffisance rénale), mais aussi des problèmes susceptibles de survenir à long terme (p. ex. endocardite, accès coronaire plus difficile, nécessité d'un stimulateur cardiaque ainsi que thrombose et dégénérescence de la prothèse valvulaire). Des études observationnelles ayant démontré que le risque de mort subite est faible (environ 1 % par an) chez les patients sous traitement conservateur, les recommandations préconisent toujours de reporter l'intervention jusqu'à l'apparition de symptômes ou de preuves d'une dysfonction VG (cf. supra). Qui plus est, on ne dispose à ce jour d'aucune donnée établissant la supériorité incontestable d'un traitement précoce.3,10
RECOVERY a été la première étude randomisée à démontrer une mortalité significativement moindre et un nombre moins élevé d'hospitalisations pour insuffisance cardiaque aiguë chez des patients asymptomatiques qui avaient subi une intervention précoce pour un RVA, par rapport à un suivi conservateur.11 L'étude AVATAR, dont les résultats à cinq ans viennent d'être publiés, est elle aussi parvenue à la même conclusion.12 Les deux études ont toutefois fait l'objet de critiques en raison de la petite taille d'échantillon et de l'inclusion de patients majoritairement jeunes (âgés en moyenne de 64 et 68 ans, respectivement), courant un faible risque opératoire et présentant le plus souvent une sténose aortique très sévère (gradient de pression transvalvulaire moyen de 63 et 51 mmHg, respectivement). En outre, plus de la moitié des patients inclus dans l'étude RECOVERY avaient une valve bicuspide. La question est donc de savoir dans quelle mesure les résultats des deux études peuvent être extrapolés au groupe plus prévalent de patients âgés, souvent fragiles et présentant plusieurs comorbidités.
Les résultats de l'étude EARLY TAVR ont été publiés au début de cette année. Il s'agit à ce jour de la plus grande étude randomisée ayant comparé le critère d'évaluation après un RVA précoce (uniquement par cathéter (RVAC) dans cette étude) à une stratégie de type watchful waiting chez des patients asymptomatiques atteints de sténose aortique sévère. Après deux années de suivi, le RVAC précoce s'est avéré supérieur en ce qui concerne le critère d'évaluation primaire composite de mortalité, accident vasculaire cérébral (AVC) et hospitalisation pour raisons cardiovasculaires. Mais ce résultat était principalement induit par une forte réduction du taux d'admissions. La différence en termes de mortalité et d'AVC était assez minime.13 Cette étude a conduit à un constat frappant, en ce sens où un quart des patients du bras conservateur ont subi une intervention dans les six mois suivant la randomisation. Une part qui grimpait déjà à 71 % après deux ans. Ce résultat nous invite fort justement à nous demander pourquoi le RVA devrait être reporté s'il se révèle quand même nécessaire à court terme, surtout quand on sait que, dans l'étude EARLY TAVR, cette procédure est devenue nécessaire dans un tiers des cas suite à un épisode de décompensation aiguë nécessitant une hospitalisation. Il s'agit là d'un constat très pertinent sur le plan clinique. Par le passé, des études ont en effet démontré une forte corrélation entre une hospitalisation pour insuffisance cardiaque et un pronostic moins positif. Une autre remarque importante est que, dans l'étude, on est très vite passé de la stratégie expectative à l'intervention (généralement dans les trois mois). Cette rapidité de conversion étant difficile à atteindre en pratique courante, le résultat d'une prise en charge attentiste pourrait en réalité s'avérer moins favorable que celui rapporté dans l'étude EARLY TAVR.14
Les résultats de l'étude EVOLVED ont été publiés plus ou moins en même temps. Cette étude a inclus 224 patients asymptomatiques atteints d'une sténose aortique sévère et d'une fraction d'éjection VG préservée, mais qui avaient une atteinte myocardique documentée. Tous les patients présentaient un ECG anormal ou une augmentation de la troponine cardiaque ultrasensible, ainsi qu'une fibrose myocardique établie à l'IRMc.
Les investigateurs n'ont - contre toute attente - pas relevé de différence significative en ce qui concerne le critère d'évaluation primaire composite de mortalité toutes causes et d'hospitalisation non planifiée pour insuffisance cardiaque, après un suivi moyen de 42 mois, entre les patients ayant subi un RVA précoce et les patients sous prise en charge conservatrice. À l'instar de l'étude EARLY TAVR, EVOLVED a aussi établi une réduction significative des hospitalisations dans le groupe interventionnel.15 Il est à noter que, dans ce bras de traitement 'précoce', il s'est écoulé en moyenne cinq mois entre la randomisation et le RVA. Six patients inclus dans ce groupe étaient décédés avant que le RVA n'ait eu lieu. Les causes de ces décès ne sont pas précisées dans la publication.
Une méta-analyse des études randomisées précitées a été publiée en mars de cette année. Après un suivi de 4,1 ans, un nombre significativement moins élevé de patients du bras interventionnel avait dû être hospitalisé pour insuffisance cardiaque ou à la suite d'un événement cardiovasculaire. Les auteurs ont en outre rapporté un nombre significativement moins élevé d'AVC (figure 2).16 Cette dernière observation est particulièrement intéressante, étant donné qu'il s'agit de l'une des complications les plus redoutées d'un RVA (tant chirurgical que percutané) et qu'il s'agit à ce jour de l'une des raisons justifiant le report d'une intervention chez un patient asymptomatique qui a une fonction VG préservée. Bien que la méta-analyse n'ait pas pu démontrer de différence de mortalité de toutes causes et de mortalité cardiovasculaire, le résultat de l'étude remet sur la table l'antique paradigme thérapeutique des patients asymptomatiques souffrant de sténose aortique sévère. En effet, pourquoi reporter une intervention alors qu'elle se révélera malgré tout nécessaire à court terme, qu'elle peut éviter insuffisance cardiaque aiguë et hospitalisation et qu'elle réduit en outre le risque d'AVC ?17,18

Comme c'est souvent le cas en médecine, c'est rarement tout noir ou tout blanc. Divers facteurs, tant cliniques qu'anatomiques, ainsi que les préférences du patient doivent être soigneusement pris en considération. Au final, c'est la combinaison de ces éléments qui déterminera le plan thérapeutique. Les données les plus récentes suggèrent qu'un RVA précoce doit être privilégié par rapport à la stratégie attentiste, en particulier chez les patients sains et en bonne condition physique. En présence de comorbidités significatives (p. ex. insuffisance rénale chronique de stade ≥ 3, bronchopneumopathie chronique obstructive sévère…), de fragilité et d'anatomie défavorable (p. ex. artériopathie périphérique sévère avec problème d'accès pour un RVAC), les résultats d'une intervention précoce sont moins convaincants (figure 3). Personne n'a donc encore dit, ni écrit son dernier mot sur ce sujet intéressant. Plusieurs études (p. ex. EASY AS, DANAVR et ESTIMATE) sont actuellement en cours. Les résultats sont attendus dans les années à venir et apporteront sans nul doute plus de clarté sur le traitement optimal de ces patients. Reste à voir si les données les plus récentes entraîneront déjà une révision des recommandations pour le traitement des cardiopathies valvulaires qui seront présentées cet été, à Madrid, lors du congrès de l'ESC.

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