Compte rendu du congrès - ESC Preventive Cardiology 2025
La session 'Addressing non-traditional cardiovascular risk factors', basée sur des cas, s'est déroulée le 3 avril dans le cadre du congrès annuel de cardiologie préventive de l'ESC. La session était modérée par Žaneta Petrulionienė (Vilnius University, Lituanie) et Fausto José Pinto (Santa Maria Hospital - CHULN, Lisbonne, Portugal). Quatre présentations de cas ont servi de base à l'approfondissement de facteurs de risque qui restent souvent méconnus dans le calcul classique du risque cardiovasculaire (CV) : les complications de la grossesse, les maladies auto-immunes, le syndrome d'apnées obstructives du sommeil (SAOS) et le traitement antirétroviral (TARV).
Cas n° 1 : Une patiente présentant des complications gravidiques
Martha Gulati - Cedars-Sinai Smidt Heart Institute, Los Angeles, États-Unis
Martha Gulati a présenté un cas dans lequel l'absence de suivi après une hypertension gravidique a donné lieu à un accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique chez une patiente d'âge moyen.
Le cas concerne une femme âgée de 37 ans, qui se présente à 37 semaines de grossesse avec une hypertension et une protéinurie. Lors de sa première grossesse, deux années auparavant, elle a souffert de prééclampsie sans bénéficier d'un suivi médical post-partum approfondi. Pendant cette deuxième grossesse, elle est constatée hypertendue lors d'un contrôle de routine. Pour le reste, elle ne présente pas d'autres plaintes, hormis de légers maux de tête. Une légère protéinurie est détectée par ailleurs. Elle est mise sous traitement par acide acétylsalicylique et hydrazaline IV, puis l'accouchement est déclenché. Sa tension artérielle se normalise dans les 24 heures suivant l'accouchement. Une fois sortie de l'hôpital, aucun traitement n'est instauré et aucun suivi n'est programmé.
Sept ans plus tard, la patiente se présente aux urgences avec d'intenses maux de tête et une parole confuse. La tension artérielle est de 159/92 mmHg. Le scanner confirme un AVC ischémique. Selon Martha Gulati, cet accident aurait potentiellement pu être évité grâce à un suivi correct.
La grossesse, une 'épreuve d'effort naturelle'
Le message central était le suivant : la grossesse constitue une épreuve d'effort CV naturelle. Les complications qui surviennent pendant la grossesse peuvent être considérées comme des signaux d'avertissement précoces de maladies CV ultérieures. Ces adverse pregnancy outcomes (APO) touchent 10-20 % des grossesses et offrent une chance unique d'identifier des femmes qui bénéficieraient d'une prévention primaire de maladies CV athéroscléreuses (atherosclerotic cardiovascular disease, ASCVD).1
Des études telles que la Northern Finland Birth Cohort et l'essai britannique CALIBER ont souligné que les femmes qui connaissent des complications hypertensives pendant leur grossesse sont exposées à un risque majoré d'AVC, d'ASCVD, d'insuffisance cardiaque, de fibrillation auriculaire et de mortalité CV.2,3
La nécessité d'un 'quatrième trimestre'
L'oratrice plaide dès lors en faveur d'un suivi post-partum structuré, ou d'un 'quatrième trimestre' (0-12 semaines post-partum). Cette période devrait être marquée par une évaluation (assess), un conseil (counsel) et un traitement (treat) systématiques. Elle offre une opportunité unique de dépistage et de prise en charge précoces de facteurs de risque CV, surtout chez les femmes à risque accru après une grossesse compliquée. Pensez au dépistage de l'hypertension, du diabète ou des dyslipidémies, mais aussi au conseil en matière de stress, de sommeil et de contraception. Étant donné le grand nombre de femmes qui ne bénéficient actuellement pas de ces soins, cette phase doit être abordée de manière proactive et inclusive.1
Une priorité doit être accordée à l'éducation : les femmes doivent comprendre qu'une normalisation de la tension artérielle après l'accouchement ne signifie pas l'exclusion de leur risque CV. Martha Gulati appelle à des soins post-partum proactifs et plaide en faveur d'une répartition claire des tâches dans les systèmes de soins, afin qu'aucune femme n'échappe au suivi.

Cas n° 2 : Une patiente atteinte d'une maladie auto-immune
Anne Grete Semb - Diakonhjemmet Hospital, Oslo, Norvège
Anne Grete Semb a consacré sa présentation au risque CV chez les patients atteints de maladies auto-immunes, en portant une attention particulière à la polyarthrite rhumatoïde (PR). Pour illustrer son propos, elle a présenté le cas clinique d'une femme âgée de 52 ans, atteinte de PR et présentant des facteurs de risque CV classiques (diabète, hypertension, obésité, tabagisme). Elle avait un LDL relativement bas de 2,2 mmol/l et une CRP élevée de 10. Selon elle, un LDL relativement bas et une CRP augmentée représentent une combinaison typique dans la PR, qui démontre qu'un bon profil lipidique n'est pas toujours rassurant, loin s'en faut.
Elle a ainsi fait référence au dénommé 'paradoxe lipidique', de faibles valeurs de cholestérol chez des patients atteints de PR étant paradoxalement associées à un risque CV majoré. Par le passé, Myasoedova et al. ont démontré que de faibles valeurs de LDL étaient associées, en cas de PR, à un risque plus élevé d'infarctus aigu du myocarde (IAM) et d'insuffisance cardiaque. De plus, l'inflammation s'est avérée être un prédicteur indépendant fort d'incidents CV.4
Les données d'une étude d'enregistrement de grande envergure, menée en Norvège, confirment ce risque accru : les patients atteints de PR présentaient une mortalité cardiovasculaire 41 % plus élevée que la population générale, et ce, malgré de meilleurs traitements antirhumatismaux.5 Ce risque majoré dans la PR est dû à une combinaison de facteurs de risque traditionnels (comme l'âge, le tabagisme et l'hypertension) et non traditionnels, dont l'inflammation systémique, l'activité de la maladie et la charge de morbidité totale. Les outils classiques de calcul du risque, tels que SCORE, sous-estiment dès lors souvent le risque.
Selon les recommandations de la European Alliance of Associations for Rheumatology (EULAR), il convient d'appliquer un facteur de multiplication de 1,5 sur le risque calculé pour les patients atteints de PR.6 L'intervenante a toutefois souligné que l'imagerie a souvent un impact plus important sur la classification du risque : jusqu'à 60 % des patients à risque faible ou modéré se révèlent avoir des plaques athéroscléreuses, qui exigent un traitement hypolipémiant intensif. La recommandation de l'ESC reconnaît les plaques significatives à l'échographie carotidienne comme critère indiquant un risque très élevé.7
Anne Grete Semb a conclu par un message clair : l'évaluation du risque CV dans la PR nécessite une approche différente de celle appliquée dans la population générale. L'inflammation fausse le profil de risque classique et l'imagerie est essentielle pour révéler des risques cachés. Une collaboration pluridisciplinaire entre rhumatologues, généralistes et prestataires de soins CV est cruciale pour assurer une protection adéquate de ces patients.
Cas n° 3 : Une patiente atteinte de SAOS
Sofie Brouwers - AZORG Aalst
La troisième intervenante a présenté le cas d'une femme de 67 ans consultant pour un angor d'effort, qui se manifeste aussi au repos depuis une semaine. Une hypertension artérielle et une dyslipidémie sont déjà connues chez cette patiente. Pour le reste, son profil de risque cardiaque est négatif. Un bilan sanguin antérieur, couvrant la fonction rénale, les électrolytes, la glycémie et le profil lipidique, ne montre pas d'anomalies. L'examen clinique est également normal. L'ECG révèle un rythme sinusal avec susdécalage du segment ST antéro- septal. L'échocardiographie illustre une fraction d'éjection ventriculaire gauche légèrement réduite (45-50 %) avec akinésie apicale. La coronarographie met au jour une occlusion totale de l'artère interventriculaire antérieure (IVA) et une sténose de 50 % de l'artère circonflexe gauche (CG). Une intervention coronaire percutanée (ICP) est réalisée, avec pose d'un stent médicamenteux.
Après l'intervention, la patiente débute une revalidation cardiaque et ne signale plus d'angor, mais bien des troubles du sommeil graves et persistants. Au vu des symptômes et de la suspicion de syndrome d'apnées obstructives du sommeil (SAOS), elle est adressée à un psychologue et se voit prescrire une polysomnographie. Cette dernière confirme les graves apnées obstructives du sommeil, moyennant un indice d'apnée-hypopnée de 78/h. Après l'instauration de la nCPAP, cet indice baisse à 3,4/h, avec une nette amélioration de la qualité du sommeil, de la gestion du stress et de la capacité physique.
Quatre mois plus tard, elle se présente à nouveau avec un angor d'effort. Les examens révèlent une nouvelle sténose significative dans l'artère coronaire droite, justifiant une deuxième ICP.
Ce cas a été présenté pour souligner l'importance du sommeil dans la prévention CV. L'oratrice insiste sur le fait que le sommeil est fondamental, non seulement pour la santé cognitive et mentale, mais aussi pour la santé CV, métabolique et immunologique. Le manque, l'excès et la mauvaise qualité de sommeil augmentent tous trois le risque CV. La nouvelle liste des 'Life's Essential 8' pour la prévention CV énumère désormais explicitement le sommeil parmi les facteurs de risque.8

Le SAOS, en particulier, induit une cascade de mécanismes biologiques tels qu'activation sympathique, dysfonction endothéliale, hypercoagulabilité, inflammation, stress oxydatif et dérèglement métabolique. Cela augmente le risque d'hypertension, d'insuffisance cardiaque, d'AVC, de troubles du rythme, d'IAM et de mort subite.9
Cas n° 4 : Un patient sous traitement antirétroviral
Vincenzo Spagnuolo - IRCCS San Raffaele Scientific Institute, Milan, Italie
Vincenzo Spagnuolo a abordé le risque CV chez les personnes porteuses du virus de l'immunodéficience humaine (VIH).10 Les patients infectés par le VIH courent en effet deux fois plus de risques de développer une maladie CV en comparaison de la population générale.11 Ce thème a été approfondi au moyen d'un cas clinique. Il s'agit d'un homme de 29 ans, dont l'infection par le VIH s'est stabilisée après des années d'observance thérapeutique défaillante. Bien que le VIH soit bien contrôlé, le profil métabolique présente diverses anomalies : LDL augmenté (149 mg/dl), triglycérides élevés (263 mg/dl) et hypertension artérielle.
L'intervenant indique avoir buté sur une limite lors du calcul du risque au moyen du HeartScore : l'outil ne permet pas de réaliser une estimation pour les personnes âgées de moins de 40 ans. Pourtant, le profil de risque de ce patient correspond - en dépit de son jeune âge - à celui d'un individu de 49 ans. Il s'agit pour l'orateur d'un premier point d'attention, étant donné que les jeunes patients infectés par le VIH peuvent rester sous les radars de ce simple fait. La recommandation intermédiaire de la European AIDS Clinical Society (EACS) préconise d'évaluer le risque CV tous les ans chez les personnes infectées par le VIH, à partir de l'âge de 40 ans, à l'aide de l'outil SCORE2 ou SCORE2-OP. En cas de risque accru, un traitement par statines est recommandé, y compris si les valeurs SCORE sont faibles ou modérées, ce qui souligne la nécessité du jugement clinique en plus du calcul formel du risque.
Pendant la discussion, différentes options de prévention CV primaire ont été proposées : améliorer l'observance thérapeutique ou augmenter la dose de rosuvastatine/ézétimibe, envisager les inhibiteurs de la PCSK9, ajouter des antihypertenseurs, et même adapter le TARV. L'intervenant a conclu par une réflexion importante : chez les jeunes patients qui ont un long historique de VIH, l'infection n'est pas la seule à déterminer le pronostic, le risque CV cumulé intervient aussi. Il est dès lors essentiel d'instaurer une prévention précoce et active.
Conclusion
La session a souligné l'importance de reconnaître les facteurs de risque CV non traditionnels. Les cas de patients présentés ont permis d'éclairer l'influence considérable que des affections sous-jacentes telles que la grossesse, l'auto-immunité, les troubles du sommeil et les infections chroniques peuvent avoir sur le profil CV des patients. Une approche proactive et pluridisciplinaire s'impose pour détecter ces facteurs de risque à temps et les traiter de manière adéquate.
Références
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