Utilité d'une unité cardio-gériatrique spécialisée en réadaptation ambulatoire
En raison du vieillissement de la population, une proportion croissante de patients admis en cardiologie interventionnelle a plus de 75 ans. Ces patients présentent souvent un profil de fragilité, une polymédication, des comorbidités multiples et une réserve fonctionnelle diminuée. Or la prise en charge classique en réadaptation cardiovasculaire (RCV) n'est pas toujours adaptée à leurs besoins spécifiques. Il devient dès lors crucial de proposer un parcours de soins innovant et personnalisé, associant réadaptation cardiovasculaire et gériatrique.
Nous présentons ici deux études réalisées dans notre service de cardiologie du CHU HELORA (site Jolimont), incluant des patients gériatriques,1, 2 et comparons leurs résultats à ceux de patients plus jeunes. Alors que le taux de succès des procédures invasives est équivalent, les patients âgés les plus fragiles s'en sortent moins bien en matière de qualité de vie et de récupération clinique, d'où l'idée d'un suivi ou d'une revalidation plus spécifique, à court terme, chez eux.
Étude 1
La première étude revoyait le traitement ablatif chez les patients âgés de plus de 75 ans atteints de fibrillation auriculaire (FA). Bien que l'ablation de la FA paroxystique ou persistante soit supérieure au traitement médicamenteux pour le maintien du rythme sinusal, la stratégie thérapeutique chez les patients âgés ou très âgés restait mal définie. L'objectif de cette étude était d'évaluer les bénéfices et les risques de l'ablation de la FA chez les personnes de plus de 75 ans, en fonction de leur score de fragilité clinique. Il n'y a pas eu de revalidation spécifique post-procédure.
Un score de fragilité clinique (CFS - Clinical Frailty Score) a été attribué à chaque patient à partir des contacts téléphoniques ou des dossiers électroniques.3 Les critères de jugement comprenaient le taux de récidive de FA, le taux de complications aiguës de la procédure, l'amélioration de la qualité de vie, le taux de réhospitalisation pour insuffisance cardiaque ou FA, ainsi que la nécessité à long terme d'un traitement antiarythmique.
Au total, 56 patients (âge moyen : 78,6 ± 3,1 ans ; 56 % d'hommes) ont bénéficié d'une ablation primaire de la FA durant la période étudiée (2020-2022). Parmi eux, 53 % ont été classés comme « non fragiles » (CFS de 1 à 3), et 47 % comme « légèrement à sévèrement fragiles » (CFS de 4 à 9). Le score CHA₂DS₂-VASc était significativement différent entre les deux groupes (4,0 ± 0,9 vs 4,9 ± 1,3 ; p < 0,01), tout comme le taux de réhospitalisation dans les deux ans (7 % vs 60 % ; p < 0,01). Le taux de récidive de FA était similaire dans les deux groupes (26 % vs 30 % ; p = NS), de même que les taux de complications aiguës (11 % vs 12 % ; p = NS), de réhospitalisation pour insuffisance cardiaque ou FA (4 % vs 16 % ; p = NS) et de mortalité toutes causes confondues (0 % vs 8 % ; p = NS). Les patients non fragiles ont rapporté une amélioration plus importante de leur qualité de vie, en comparaison des patients fragiles (96 % vs 62 % ; p < 0,01).
Les auteurs ont conclu que l'ablation de la FA était une stratégie efficace et sûre chez les patients âgés, qu'ils soient fragiles ou non, avec des résultats similaires en matière de récidive, de complications, de réhospitalisation et de mortalité à court terme. Les bénéfices en matière de qualité de vie étaient toutefois plus marqués chez les patients non fragiles, par rapport aux patients fragiles.
Étude 2
La seconde étude comparait des patients âgés de plus ou moins de 80 ans pour la technique de fermeture de l'auricule gauche (LAAC) sous anesthésie générale. L'intervention constitue une alternative thérapeutique chez les patients atteints de FA et ne pouvant bénéficier d'un traitement anticoagulant oral (ACO) à long terme. Certaines études récentes avaient rapporté un excès de complications liées à la procédure et une surmortalité chez les sujets âgés. L'étude était rétrospective (2018-2022).
Les LAAC ont été réalisées à l'aide des dispositifs Watchman ou Amplatzer chez 186 patients : 110 patients de moins de 80 ans (groupe 1) et 76 patients de plus de 80 ans (groupe 2). Les données cliniques étaient similaires entre les deux groupes, notamment les scores CHA₂DS₂-VASc et HAS-BLED, à l'exception de l'âge (72,0 ± 6,6 ans vs 85,7 ± 3,4 ans), du diabète (43 % vs 32 %) et de l'insuffisance rénale (37 % vs 53 %). On observait des différences pour les problèmes gériatriques : CFS plus important chez les patients très âgés (3,5 ± 1,8 vs 2,3 ± 1,6 ; p < 0,01) et une plus grande nécessité de dépendance (Care Home) (8 (11 %) vs 3 (3 %) ; p < 0,01).
Aucune différence significative n'a été observée concernant le taux de succès de l'implantation du dispositif (98 % vs 96 %) et les complications procédurales majeures durant les jours 0 à 7, y compris celles liées à l'accès vasculaire (5,4 % vs 5,2 %). Seuls les patients les plus fragiles (CFS de 4 à 9) ont eu une évolution plus défavorable en matière de mortalité lors du suivi à 50 mois.
Ces deux études montrent donc bien les possibilités de réaliser des procédures invasives chez des patients âgés, avec un taux de succès et de complications équivalent à celui observé chez des patients plus jeunes. On pourrait faire mieux pour l'évolution clinique à moyen-long terme chez eux : proposer une réadaptation spécifique post-procédure ?
La RCV conventionnelle améliore la capacité fonctionnelle, la qualité de vie et le pronostic des patients post-syndrome coronarien ou post-intervention coronarienne, ainsi qu'après chirurgie cardiaque et dans l'insuffisance cardiaque.4 Elle reste toutefois sous-utilisée chez les personnes âgées, notamment en raison de leur fragilité, de troubles cognitifs ou sensoriels, ou d'obstacles logistiques.5, 6 De plus, les programmes standards ne prennent pas toujours en compte les problématiques spécifiques aux personnes âgées, telles que la faiblesse musculaire, les troubles de l'équilibre ou la perte d'autonomie.
De récents travaux suggèrent qu'une approche intégrée, combinant évaluation gériatrique standardisée et programme de RCV, permettrait d'optimiser les résultats fonctionnels et cliniques chez les sujets âgés après toute intervention cardiologique invasive. La gériatrie apporte une vision globale, centrée sur les capacités de réserve, les besoins fonctionnels, les objectifs de qualité de vie et la prévention de la dépendance.7, 8
Des programmes pilotes dits « de cardio- gériatrie » ont montré une amélioration significative de la tolérance à l'effort et de la performance physique (via des tests comme le 6-minute walk test), une réduction du risque de réhospitalisation et une amélioration de l'autonomie.9, 11 Ces bénéfices sont particulièrement marqués chez les patients identifiés comme « fragiles » ou « pré-fragiles » (cf. le CFS).
La création d'une unité spécialisée de réadaptation cardio-gériatrique ambulatoire, intégrée dans un centre de RCV existant, constituerait une innovation organisationnelle pertinente.11
Ce type d'unité permettrait :
- une évaluation multidimensionnelle initiale (fonctionnelle, cognitive, nutritionnelle et sociale) ;
- un programme de réadaptation individualisé incluant entraînement physique adapté, renforcement de l'équilibre et de la mobilité, optimisation de la médication, soutien nutritionnel et interventions éducatives ;
- une coordination multidisciplinaire incluant cardiologue, gériatre, kinésithérapeute, diététicien, psychologue et assistant social ;
- un suivi structuré et prolongé, pour favoriser le maintien des acquis et prévenir les réhospitalisations.
De telles unités répondraient à une nécessité clinique et démographique, et pourraient faire l'objet d'évaluations médico-économiques pour en démontrer la rentabilité à moyen terme, notamment via la réduction des coûts liés aux hospitalisations évitables et à la perte d'autonomie.
Références
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- De Molinari, N., Descamps, O., Ceulemans, A., Mancini, R., de Meester, A. Left atrial appendage closure in octogenarians: a single center experience in Belgium. Acta Cardiol, 2024, 79, 1-2
- Theou, O., Pérez-Zepeda, M.U., van der Valk, A.M., Searle, S.D., Howlett, S.E., Rockwood, K. A classification tree to assist with routine scoring of the Clinical Frailty Scale. Age Ageing, 2021, 50 (4), 1406-1411.
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- Forman, D.E., Sanderson, B.K., Josephson, R.A., Raikhelkar, J., Bittner, V. Heart failure as a newly approved diagnosis for cardiac rehabilitation: challenges and opportunities. J Am Coll Cardiol, 2011, 57, 1609-1610.
- Ekerstad, N., Swahn, E., Janzon, M., Alfredsson, J., Löfmark, R., Carlsson, P. Frailty is independently associated with short-term outcomes for elderly patients with non-ST-segment elevation myocardial infarction. Circulation, 2013, 129, 229-236.
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- Dodson, J.A., Matlock, D.D., Forman, D.E. Geriatric cardiology: an emerging discipline. Can J Cardiol, 2019, 35, 1051-1060.
- Lé, A., Verges, B., Blonde, M-C., Mourey, F. Intérêt de la création d'une unité de réhabilitation cardio-gériatrique au sein d'un centre de réadaptation cardiovasculaire ambulatoire. Kinésithér Rev, 2019, 19 (210), 3-9.
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