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Preloading P2Y12 inhibitor for every ACS?
  • Patrick Coussement, Olivier Van Caenegem

Le vendredi 3 juin 2016, le Groupe interdisciplinaire belge de Cardiologie aiguë (BIWAC) a organisé pour la cinquième fois son symposium biennal. Durant la matinée, un débat 'pour-contre' a été consacré au 'pretreatment with P2Y12 blocking agent in every ACS?'.

Le terme prétraitement fait référence à l'administration - à temps - d'un inhibiteur du récepteur P2Y12 avant la coronarographie (CAG), de sorte que l'inhibition de l'agrégation plaquettaire soit maximale au moment de l'intervention coronaire percutanée (PCI). Le prétraitement peut être effectué dans l'ambulance (phase préhospitalière), aux urgences, dans l'unité coronaire (CCU) ou en salle de cathétérisme, avant la procédure invasive, mais pas juste avant la PCI.

Il semble évident que l'administration d'une dose de charge d'un puissant inhibiteur du récepteur P2Y12, avant la CAG, réduira le risque de complications thrombotiques lors d'une PCI. Ceci est d'autant plus important chez les patients souffrant d'un syndrome coronarien aigu (SCA), chez qui les plaquettes sont déjà fort activées, et qui présentent des plaques instables, rompues, avec formation de thrombi dans la circulation coronaire. En outre, les plaquettes sont encore activées davantage en raison des manipulations intracoronaires durant la procédure de PCI.

Toutefois, la stratégie de prétraitement comporte également des inconvénients, tels qu'un risque hémorragique accru - surtout en cas d'abord fémoral pour la PCI ou de revascularisation chirurgicale urgente (CABG) - ou encore l'allongement de la durée de l'hospitalisation en cas de CABG électif, pour le monitoring préopératoire et le washout de l'inhibiteur du récepteur P2Y12. Sans oublier le prétraitement de patients souffrant de douleurs thoraciques aiguës, chez qui le diagnostic de SCA a été posé erronément.

Quels sont les arguments scientifiques justifiant de donner systématiquement une dose de charge d'un inhibiteur du récepteur P2Y12 à tous les patients souffrant d'un SCA, avant la CAG?

Les propriétés pharmacologiques des quatre inhibiteurs du récepteur P2Y12 disponibles sont résumées au tableau 1.

Clopidogrel

Le clopidogrel est une prodrogue qui doit subir une bioactivation in vivo, et dont l'action est assez lente. Après une dose de charge de 600 mg, il faut encore au moins 2 heures avant que l'inhibition de l'agrégation plaquettaire soit optimale. L'augmentation de la dose de charge de 600 mg à 900 mg ne permet pas de raccourcir ce délai.1 Sur la base du profil pharmacologique du clopidogrel, le prétraitement semble logique et judicieux.

Il est dès lors surprenant que deux études randomisées (PRAGUE-8 et ARMYDA-52, 3) n'aient pas révélé de différences sur le plan de la mortalité et des événements ischémiques entre un prétraitement et une dose de charge 'in-lab' (= administrée en salle de cathétérisme) de clopidogrel, après la CAG.

Ces observations sont confirmées dans la méta-analyse du groupe d'étude ACTION, portant sur le clopidogrel et le prasugrel, qui ne montre pas de différence sur le plan de la mortalité (odds ratio: 0,90; p = 0,24), mais bien une augmentation significative de 30-45 % du nombre d'hémorragies majeures (odds ratio: 1,32; p < 0,0001) avec une stratégie de prétraitement.4, 5

Prasugrel

Comme le clopidogrel, le prasugrel est également une prodrogue de type thiénopyridine, mais dont l'action est rapide, ce qui permet déjà d'obtenir une inhibition optimale de l'agrégation plaquettaire dans les 30 minutes suivant la dose de charge. De ce fait, le bénéfice du prétraitement est moins évident. En outre, le protocole de l'étude TRITON-TIMI 38 avec du prasugrel 60/10 mg versus du clopidogrel 300/75 mg ne prévoyait pas de prétraitement. Les patients souffrant d'un NSTEMI ainsi que 68 % des patients STEMI n'ont reçu la dose de charge du médicament étudié qu'après la CAG, immédiatement avant, voire carrément après la PCI.6, 7 Dès lors, on a mis sur pied une étude randomisée distincte avec le prasugrel, afin d'évaluer l'importance du prétraitement.

Dans l'étude ACCOAST, 4 033 patients souffrant d'un NSTEMI ont été randomisés vers 30 mg de prasugrel avant la CAG (groupe prétraitement) ou vers un placebo (groupe témoin). En cas de PCI, réalisée selon le protocole dans les 2 à 48 heures, avec une médiane de 4,3 heures, on administrait à nouveau 30 mg de prasugrel dans le groupe prétraitement ou 60 mg de prasugrel dans le groupe témoin. L'étude a dû être arrêtée prématurément en raison d'un doublement du nombre d'hémorragies majeures dans le groupe prétraitement (de 1,4 % à 2,6 %, odds ratio: 1,90; p = 0,006), sans qu'il y ait de différence au niveau du critère d'évaluation primaire composite de mortalité cardiovasculaire, d'infarctus myocardiques, d'AVC, de revascularisations urgentes ou d'administration 'bail-out' d'un inhibiteur de la glycoprotéine IIb-IIIa (odds ratio: 1,02; p = 0,81). L'incidence d'hémorragies majeures et d'hémorragies potentiellement mortelles, non liées à la chirurgie coronaire, a augmenté d'un facteur 3 et 6, respectivement.8

Dans une sous-étude pharmacodynamique de l'étude ACCOAST, on constate que l'inhibition plaquettaire au moment de la PCI est plus importante dans le groupe prétraitement, ce qui pourrait expliquer l'incidence accrue de saignements. La plupart des PCI étaient en effet réalisées via un abord fémoral. Toutefois, 2 heures plus tard, il n'y avait déjà plus de différence entre les deux groupes sur le plan de l'inhibition de l'agrégation plaquettaire. De ce fait, il est difficile d'encore démontrer une différence sur le plan des complications thrombotiques.

Suite à l'étude ACCOAST et à d'autres données, le prétraitement par prasugrel est définitivement banni chez les patients souffrant d'un NSTE-ACS. Pour le moment, on ne sait pas encore si cette assertion peut également être élargie aux nouveaux inhibiteurs du récepteur P2Y12 que sont le ticagrelor et le cangrelor, ainsi qu'aux patients souffrant d'un STEMI.

Une comparaison directe entre le prasugrel et le ticagrelor, administrés en prétraitement versus 'in-lab', est actuellement évaluée dans l'étude ISAR-REACT 5, et ce, tant en cas de NSTE-ACS que de STEMI. Le recrutement des patients en vue de cette étude a débuté en septembre 2013.9 Une hypothèse stimulante, en l'occurrence la supériorité d'un prétraitement par ticagrelor versus un traitement 'in-lab' par prasugrel, est évaluée auprès de 4 000 patients souffrant d'un SCA.

Ticagrelor

Le ticagrelor est un puissant inhibiteur oral du récepteur P2Y12 mais, comparativement au clopidogrel et au prasugrel, il s'agit d'une molécule totalement différente, à savoir un inhibiteur direct et réversible du récepteur P2Y12, qui ne nécessite pas de métabolisation pour être actif. Néanmoins, le principal métabolite du ticagrelor est aussi pharmacologiquement actif. Comme le prasugrel, le ticagrelor agit également rapidement, avec un effet maximal à partir de 30 minutes après l'administration d'une dose de charge de 180 mg.

Dans l'étude PLATO, le ticagrelor a été comparé au clopidogrel chez 18 624 patients souffrant d'un SCA 'all-commers'. Le ticagrelor diminue le risque d'événements ischémiques (critère d'évaluation primaire combiné de mortalité cardiovasculaire, d'infarctus myocardiques et d'AVC; hazard ratio: 0,84; p < 0,001), sans augmenter les complications hémorragiques majeures (hazard ratio: 1,03; p = 0,57). On a toutefois noté une augmentation des hémorragies majeures, non liées au CABG, dans le groupe ticagrelor (hazard ratio: 1,25; p = 0,03).10

L'étude PLATO n'a pas comparé le prétraitement par rapport au traitement 'in-lab'. Tous les patients ont reçu le médicament étudié avant la procédure invasive. 81 % de la population a subi une CAG, 64 % une PCI et 10 % un CABG.

La plupart des patients inclus dans l'étude PLATO ont bénéficié de la prise en charge invasive rapide actuellement en vigueur. Dans le groupe ticagrelor, le délai médian entre l'administration du médicament étudié et la PCI atteignait 15 minutes en cas de STEMI et 3 h 54 en cas de NSTEMI.

Sur la base des résultats de l'étude PLATO, le ticagrelor constitue le traitement de choix pour tous les patients souffrant d'un SCA, quelle que soit la stratégie thérapeutique, et même lorsque les patients ont déjà été prétraités par clopidogrel (classe I, niveau de preuve B).

La valeur du prétraitement par ticagrelor a été examinée dans l'étude ATLANTIC, qui a comparé un prétraitement préhospitalier par ticagrelor et un traitement 'in-lab' chez 1 862 patients souffrant d'un STEMI, chez qui une PCI primaire était prévue.11 L'étude n'avait pas la puissance permettant de démontrer la supériorité du prétraitement sur le plan des critères d'évaluation clinique, ce qui explique qu'on a choisi deux critères de substitution, en l'occurrence l'absence de ≥ 70 % de résolution du sus-décalage du segment ST sur l'ecg et un flux TIMI < 3 dans le vaisseau infarci, juste avant la PCI. On n'a pas pu démontrer de différence entre les groupes prétraitement et traitement 'in-lab', vraisemblablement parce que le décalage entre l'administration de ticagrelor dans les deux groupes était très faible - une médiane de 31 minutes. En outre, on note une interaction significative (Pint = 0,005) en cas d'utilisation de morphine, suite à laquelle l'absorption du ticagrelor était retardée dans le groupe prétraitement. Ceci est confirmé dans l'étude IMPRESSION, un protocole en double aveugle de morphine vs un placebo chez des patients souffrant d'un STEMI, ayant reçu une dose de charge de ticagrelor. À cet égard, on a observé que l'absorption du ticagrelor administré par voie orale diminuait de 36 % en cas d'utilisation concomitante de morphine.12

Enfin, dans l'étude ATLANTIC, on a observé une différence numérique au niveau du nombre de thromboses avérées du stent, en faveur du prétraitement (2 dans le groupe prétraitement vs 11 dans le groupe traitement 'in-lab'). Toutefois, assez curieusement, ceci n'était pas associé à une diminution du nombre de décès. Au contraire, la mortalité était numériquement plus importante dans le groupe prétraitement (30 décès dans le groupe prétraitement vs 19 dans le groupe traitement 'in-lab'). La somme des thromboses avérées et probables des stents ne différait pas non plus entre les deux groupes (21 dans le groupe prétraitement vs 20 dans le groupe traitement 'in-lab').

Bien que le prétraitement par ticagrelor soit sûr et qu'il n'augmente pas le nombre d'hémorragies, il n'est pas associé à un bénéfice chez les patients souffrant d'un STEMI, comparativement à une dose de charge 'in-lab' administrée durant la PCI. En outre, il est apparu que 10 % des patients inclus dans l'étude ATLANTIC n'ont pas subi de revascularisation, parce que le diagnostic préhospitalier de STEMI était incorrect et qu'il s'agissait en réalité d'un syndrome aortique aigu, une affection dans laquelle l'administration d'une dose de charge d'un inhibiteur du récepteur P2Y12 est associée à des inconvénients majeurs.

Cangrelor

Le cangrelor est le premier inhibiteur intraveineux du récepteur P2Y12, ayant une action réversible et une très courte demi-vie (< 5 minutes). Il fait partie de la classe des analogues de l'ATP et a un effet inhibiteur direct rapide et puissant sur le récepteur P2Y12.

Le cangrelor a été évalué dans trois vastes études de phase 3, CHAMPION-PCI, CHAMPION-Platform et CHAMPION- PHOENIX. Bien que les études individuelles fussent en majeure partie neutres, une méta-analyse groupée (n = 24 910 patients) indique que le cangrelor diminue les complications thrombotiques périprocédurales en cas de PCI, tant chez les patients 'électifs' que chez les patients souffrant d'un SCA, mais au prix d'une augmentation du risque d'hémorragies (mineures).13 L'absence d'effet dans les études individuelles pourrait être expliquée par la transition courte, voire absente, entre le cangrelor et le clopidogrel dans le bras cangrelor des études, lorsqu'on tient compte en outre de l'action relativement lente du clopidogrel et de la compétition entre les deux médicaments, pour la liaison au récepteur P2Y12.

Jusqu'à présent, le cangrelor n'a pas encore été étudié dans le cadre d'une stratégie de prétraitement, mais il pourrait présenter un avantage comparativement aux inhibiteurs oraux du récepteur P2Y12, étant donné que son effet se dissipe dans les 5 minutes suivant l'arrêt de l'administration, et que cela permet dès lors une chirurgie urgente, notamment en cas de dissection aortique. Il peut également être administré à des patients inconscients, qui ne peuvent rien prendre par voie orale, ou à des patients chez qui l'absorption intestinale des médicaments est réduite en raison d'un choc cardiogénique. Il est intéressant de savoir que le cangrelor bloque la liaison du clopidogrel et du prasugrel au récepteur P2Y12, mais pas celle du ticagrelor.

Le principal inconvénient du cangrelor est son coût: 350 € par flacon. Un flacon permet un traitement de 2 heures chez un patient pesant moins de 100 kg.

Implications pour les recommandations NSTE-ACS et STEMI

Étant donné que toutes les études randomisées au sujet du prétraitement se révèlent négatives, un prétraitement de routine au moyen d'un inhibiteur du récepteur P2Y12 n'est pas indiqué chez les patients souffrant d'un NSTE-ACS et d'un STEMI.

Les actuelles recommandations 2015 de l'ESC pour le NSTE-ACS ont déjà été adaptées dans ce sens, et ne formulent plus de directives au sujet du moment de l'administration de clopidogrel et de ticagrelor. Un prétraitement au moyen de prasugrel est déconseillé. Le prasugrel ne peut être utilisé que si l'anatomie coronaire est connue, et en cas de PCI.

Les recommandations pour le STEMI n'ont pas encore implémenté les données d'études plus récentes telles que l'étude ATLANTIC, et préconisent encore de débuter l'inhibiteur du récepteur P2Y12 'dès le premier contact médical' ou 'le plus rapidement possible après le diagnostic de STEMI', sans spécifier si ceci doit s'effectuer dans l'ambulance, aux urgences ou en salle de cathétérisme. Un prétraitement préhospitalier de routine au moyen d'un inhibiteur du récepteur P2Y12 chez les patients souffrant d'un STEMI peut encore difficilement être recommandé, surtout si le diagnostic est imprécis ou si le patient est inconscient ou en choc. Pour le moment, il semble que lameilleure stratégie consiste à administrer un puissant inhibiteur du récepteur P2Y12 (prasugrel ou ticagrelor), une fois que le patient se trouve à l'hôpital, aux urgences, lorsque le diagnostic de STEMI est confirmé et que le patient est candidat à une PCI primaire.14

Références

  1. von Beckerath, N. et al. Absorption, metabolization, and antiplatelet effects of 300, 600 and 900mg loadinhg doses of clopidogrel: results of the ISARCHOICE trial. Circulation, 2005, 112, 2946-2950.
  2. Widimsky, P. et al. Clopidogrel pre-treatment in stable angina: for all patients > 6h before elective coronary angiography or only for angiographically selected patients a few minutes before PCI? A randomized multicentre trial PRAGUE-8. Eur Heart J, 2008, 29, 1495-1503.
  3. Di Sciascio, G. et al. Effectiviness of in-laboratory high-dose clopidogrel loading versus routine preload in patients undergoing percutaneous coronary intervention: results of the ARMYDA-5 PRELOAD trial. J AmColl Cardiol, 2010, 56, 550-557.
  4. Bellemain-Appaix, A. et al. for the ACTION group. Association of Clopidogrel Pretreatment withmortality, cardiovascular events and major bleeding among patients undergoing percutaneous coronary intervention. A systematic review and meta-analysis. JAMA, 2012, 308 (23), 2507-2517.
  5. Bellemain-Appaix, A. et al. for the ACTION group. Reappraisal of thienopyridine pretreatment in patients with non-ST elevation acute coronary syndrome: a systematic review and meta-analysis. BMJ, 2014, 349, g6269.
  6. Wiviott, S.D. et al. For the TRITON-TIMI 38 Investigators. Prasugrel versus Clopidogrel in patients with acute coronary syndromes. N Engl J Med, 2007, 357, 2001-2015
  7. Montalescot, G. et al. Prasugrel compared with clopidogrel in patients undergoing percutaneous coronary intervention for ST-elevation myocardial infarction (TRITON-TIMI 38): double-blind, randomised controlled trial. Lancet, 2009, 373, 723-731.
  8. Montalescot, G. et al. for the ACCOAST Investigators. Pretreatment with prasugrel in non-ST-segment elevation acute coronary syndromes. NEngl JMed, 2013, 369, 999-1010.
  9. Schulz, S. et al. Randomized comparison of Ticagrelor versus Prasugrel in patients with acute coronary syndrome and planned invasive strategy-Design and rationale of the ISAR-REACT 5 trial. J Cardiovasc Trans Res, 2014, 7, 91-100.
  10. Wallentin, L. et al for the PLATO investigators. Ticagrelor versus clopidogrel in patients with acute coronary syndromes.NEnglJMed, 2009, 361, 1045-1057.
  11. Montalescot, G. et al. for the ATLANTIC Investigators. Prehospital ticagrelor in ST-segment elevation myocardial infarction.NEngl JMed, 2014, 371, 1016-1027.
  12. Kubica, J. et al. Morphine delays and attenuates ticagrelor exposure and action in patients with myocardial infarction: the randomzed, double-blind, placebo-controlled IMPRESSION trial. Eur Heart J, 2016, 37, 245-252.
  13. Steg, P.G. et al. Effect of cangrelor on periprocedural outcomes in percutaneous coronary interventions: a pooled analysis of patient-level data. Lancet, 2013, 382, 1981-1992.
  14. Sibbing D, et al. Pretreatment with P2Y12 inhibitors in ACS patients: who, when, why, and which agent? Eur Heart J, 2015, 37 (16), 1284-1295.

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