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Transplantation cardiaque: 50 ans et toujours un challenge
  • Olivier Gurné

La première transplantation cardiaque a été réalisée il y a 50 ans par Barnard en Afrique du Sud, le 3 décembre 1967, suivi de près par Shumway, quelques mois plus tard. La première greffe en Europe a été réalisée par Cabrol en 1968 et n'a survécu que 2 jours. La première greffe cardiaque en Belgique a été réalisée par Primo en 1973. Les premières greffes cardiaques, à de rares exceptions près, ne survivaient pas plus de quelques semaines, en grande partie à cause du problème du rejet. Ce n'est que dans les années 80 que l'avènement de la ciclosporine permettra de mieux maitriser le traitement immuno-suppresseur et d'envisager cette option comme une thérapeutique à part entière pour des patients en insuffisance cardiaque terminale, avec une survie et surtout une qualité de vie tout à fait acceptable. Le nombre de transplantation cardiaque a fortement augmenté alors pour se stabiliser, en bonne partie lié au nombre de donneurs (tableau 1).

Même si la survie médiane est de l'ordre de 15 ans environ pour les patients transplantés actuellement (nettement meilleure que pour les patients greffés dans les années 80 comme le montre la figure 1), il n'est pas rare de revoir des patient ayant passé le cap des 20 ans même si les trentenaires sont exceptionnels. Malgré les progrès techniques et médicamenteux réalisés, la transplantation cardiaque reste toujours un challenge à différents niveaux.

Le premier challenge est la sélection des candidats. Cette option s'adresse évidemment à un patient atteint d'une cardiomyopathie avancée dont l'espérance de vie et la qualité de vie est limitée, rendant 'indispensable' l'option de la greffe cardiaque. Un bilan complémentaire complet sur le plan cardiaque doit être réalisé, afin de confirmer non seulement l'indication et exclure d'autres possibilités thérapeutiques mais aussi de s'assurer de l'absence de contre-indication, comme par exemple une hypertension pulmonaire trop importante et non réversible. La question du timing de l'inscription en liste d'attente prend ici toute son importance. Une inscription trop précoce n'est pas une solution car le traitement médical moderne de l'insuffisance cardiaque est relativement performant, offrant au patient compensé un meilleur pronostic par rapport à une chirurgie restant à risque (10-15 % de mortalité précoce). À l'inverse, un patient trop avancé dans sa maladie et/ou avec des comorbidités trop importantes en ferrait un risque chirurgical prohibitif contre-indiquant la transplantation cardiaque vu la rareté relative des donneurs. À cela, il faut ajouter la problématique de l'attente d'un greffon une fois le patient listé qui peut approcher maintenant les deux années avec tous les problèmes qui peuvent survenir durant cette période souvent difficile pour le patient et son entourage. Un bilan général est réalisé parallèlement afin de s'assurer de l'absence de problèmes connexes, comme par exemple une source d'infection ou une néoplasie cachée. L'aspect psycho-social a aussi toute son importance dans cette évaluation. A côté du problème organique, la transplantation cardiaque est un évènement majeur dans la vie d'un patient mais aussi dans celle de sa famille avec une série de problèmes potentiels à dépister et à solutionner si possible. La stabilité psychologique, l'existence d'un support familial et/ou social sont autant de facteurs pour assurer une bonne évolution également après la transplantation. La décision finale d'inscrire le patient en liste d'attente repose donc sur des paramètres objectifs et subjectifs qu'il est souvent important de pondérer et c'est pourquoi, elle se fait toujours en réunion pluri-disciplinaire (médecins (cardiologue, chirurgien, intensiviste …), infirmiers (insuffisance cardiaque, transplantation) , assistant social, psychologue …).

Un challenge tout aussi difficile est donc de trouver un coeur 'compatible' avec le donneur. Sur le plan médical, on tient compte essentiellement du groupe sanguin ABO et de la taille respective du donneur et du receveur. Chez certains patients, heureusement une minorité, qui ont déjà développé des anticorps, par exemple suite à une intervention chirurgicale, une grossesse ou une transfusion, on doit tenir compte de la compatibilité avec le système HLA. Le dernier facteur qui joue est le temps passé sur la liste. En Belgique, et contrairement à des pays comme la France, l'Espagne ou l'Italie qui ont leur réseau national, nous faisons partie d'une association de divers pays, Eurotransplant, avec entre autres l'Allemagne, les Pays-Bas et le Luxembourg. Eurotransplant gère donc de façon équitable les offres et les demandes compte tenu de ses facteurs et en tenant compte d'une certaine 'priorité locale', le temps entre le prélèvement et la greffe devant être le plus court possible et ne pas dépasser 3-4 heures. C'est dans ce contexte que la plupart des centres belges se sont groupés (la Belgique est une petit pays par rapport à l'Allemagne!) et ont une liste d'attente commune. Une grande limitation à la greffe cardiaque est donc la disponibilité des organes, expliquant les campagnes de sensibilisation réalisés dans la population, pour encourager le don d'organes. En 2016, seulement 70 greffes cardiaques ont été réalisée en Belgique (dont 2 coeur-poumon) sur les 587 réalisées dans les pays couverts par Eurotransplant (dont 9 coeur-poumons et 3 coeur-rein). C'est aussi un travail de sensibilisation à réaliser auprès des intensivistes qui doivent au quotidien gérer ce type de patients y compris une fois l'état de mort cérébrale diagnostiqué. Préserver l'intégrité des organes qui peuvent changer la vie d'autres patients pourrait paraître moins motivant a priori mais est aussi important. Un problème d'hypernatrémie excessive ou l'utilisation de doses 'trop élevées' d'inotropes / vasopresseurs est délétère pour le greffon.

La question de solutions alternatives se pose sérieusement vu la limitation imposée par le nombre de donneurs et la difficulté de greffer un coeur en urgence (critères sévères avec une revue du cas par au moins deux experts extérieurs, ce qui est assez raisonnable pour éviter les abus). Déjà, on constate que l'âge moyen des donneurs a augmenté de quelques années ce qui a permis d'augmenter un peu le pool disponible. Pour des donneurs plus âgés et/ou avec des facteurs de risque, on réalise une coronarographie préalable en plus de l'échographie cardiaque systématique qui est réalisée. Une solution en cours de développement pour augmenter également le pool des donneurs est le recourt à des donneurs en arrêt cardiaque (non heart beating donor). Cette option est déjà utilisée pour d'autres organes comme le rein où le temps d'ischémie est moins critique et où il existe déjà des machines performantes où l'organe est perfusé avant d'être greffé. Dans certaines circonstances, on a déjà réalisé dans le monde des greffes cardiaques en prélevant le coeur chez ce type de patients. Des machines de perfusion du coeur sont également développées et certains centres comme Cambridge ont déjà une certaine expérience à ce niveau, avec plus d'une trentaine de cas réalisés avec de bons résultats, comparable à une transplantation 'classique'.

La solution la plus fréquemment utilisée dans notre pays pour les patients échappant au traitement médical et risquant donc de ne pas arriver à temps à la possibilité de la greffe cardiaque, reste le recours à une assistance cardiaque implantable (LVAD: Left ventricular Assist device) de type Heartmate (figure 2) ou autre, pour aider le patient à survivre jusqu'à ce qu'un greffon soit disponible pour lui (bridge to transplantation). Cela permet même plus que cela car le patient avec ce type d'assistance peut vivre relativement normalement et avoir une activité physique raisonnable, ce qui permet de lutter contre le déconditionnement, et donc arriver à la transplantation cardiaque dans de meilleures conditions. On peut même imaginer comme dans certains pays l'utilisation de ces assistances implantables chez des patients plus âgés ou chez qui la greffe cardiaque serait contre-indiquée (destination therapy). Ce type d'assistance cardiaque peut également être utilisé en cas d'hypertension pulmonaire sévère qui contre-indiquerait la possibilité d'une transplantation cardiaque. Chez ces patients, l'assistance cardiaque permet en effet souvent de diminuer avec le temps les résistances pulmonaires, ce qui leur permet d'arriver à la greffe cardiaque dans de meilleures conditions. Les inconvénients de ces assistances outre leur coût, sont entre autres, la nécessité d'une anticoagulation pour éviter les évènements thromboemboliques (et donc risque d'hémorragie …) et la présence d'un fil électrique sortant par la peau (et donc risque d'infection à ce niveau). La grande limitation de ces assistances est l'insuffisance du ventricule droit qui augmente le risque de leur mise en place et contreindique même leur emploi si elle est trop sévère. Le coeur artificiel totalement implantable reste actuellement, malgré divers essais dans le monde, encore largement au stade expérimental.

Une fois la transplantation cardiaque réalisée, le challenge continue comme le montre la figure 3. La phase initiale aux soins intensifs reste une période critique pour beaucoup de patients, pouvant être marquée de divers problèmes allant des complications hémorragiques ou infectieuses (comme pour toute chirurgie cardiaque) à des complications plus spécifiques comme l'insuffisance cardiaque droite chez ces patients qui ont souvent un certain degré d'hypertension artérielle pulmonaire. Le risque de rejet malgré les immuno-suppresseurs modernes reste une réalité surtout les deux premières années de même que les complications infectieuses, favorisé par cette même immuno-suppression! Un suivi régulier et spécialisé reste donc de mise mais qui pourra être espacé avec le temps. À long terme, les complications sont surtout marquées par le risque de développer une coronaropathie, une insuffisance rénale (liée à l'utilisation pourtant indispensable de la ciclosporine ou du tacrolimus, même si les doses sont réduites progressivement et sont plus basses que ce qu'on utilisait auparavant).

Malgré ces complications et ces challenges, la transplantation cardiaque reste une opportunité fantastique pour des patients qui, sans elle, auraient eu un pronostic défavorable à relativement court terme. Beaucoup de patients ont pu ainsi reprendre une vie la plus normale possible, reprenant leur activité professionnelle et physique, même si leur suivi réserve parfois des surprises mais à long terme, les complications rencontrées n'ont bien souvent plus aucun rapport avec leur pathologie initiale et leur transplantation: ils ont la 'chance' de vieillir normalement dans leur famille.

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