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Dissection de l'aorte thoracique compliquée d'un syndrome coronarien aigu : un piège diagnostique évitable
  • Ngah Njabom Claude Berenger , Antoine Canivet , Benoît Cardos , Yilmaz Gorur , Lena Andriollo , Deeba Ali 

La dissection aortique entreprenant les coronaires constitue un défi diagnostique car le tableau clinique peut être confondu avec un syndrome coronarien aigu en raison des anomalies électrocardiographiques souvent observées. Lorsque c'est le cas, le traitement chirurgical est retardé et un traitement anticoagulant, antiagrégant, voire fibrinolytique peut être erronément entrepris.

Le score de détection de la dissection aortique permet d'identifier les patients à risque de dissection aortique.

Nous rapportons le cas d'un patient de 60 ans décédé d'une dissection aortique avec tamponnade cardiaque. Le diagnostic initialement retenu étant celui d'un syndrome coronarien aigu, le patient avait été traité par héparine et acide acétylsalicylique.

Ce cas illustre le piège diagnostique entre le syndrome coronarien « isolé » et celui associé à une dissection aortique. Nous en profitons pour refaire une revue des recommandations 2020 de l'European Society of Cardiology pour la prise en charge des NSTEMI.

Introduction

Le syndrome coronarien aigu associé à une dissection aortique est une pathologie rare et potentiellement mortelle. Il peut être facilement confondu avec un syndrome coronarien isolé. Lorsque c'est le cas, le traitement chirurgical de la dissection aortique est retardé et un traitement anticoagulant, antiagrégant, ou fibrinolytique est entrepris, ce qui peut compromettre les chances de survie du patient.1

Le diagnostic et la prise en charge précoce de la dissection aortique sont essentiels, car le taux de mortalité est de 1 à 2 % par heure pendant les vingt-quatre premières heures suivant l'apparition des symptômes.2

Nous rapportons le cas d'un patient de 60 ans, décédé d'un arrêt cardio-respiratoire sur tamponnade survenu dans les suites d'une dissection de l'aorte thoracique ascendante.

Cas clinique

Un homme de 60 ans avec antécédent d'hypertension artérielle est admis dans notre service des Urgences pour une douleur thoracique, oppressive, irradiante au niveau de la mâchoire et du dos, apparue brutalement et accompagnée d'un malaise lipothymique. Le patient présente également des paresthésies de l'hémiface gauche.

À l'examen clinique, on objective une tendance hypotensive avec une pression artérielle à 90/65 mmHg, une fréquence cardiaque à 60 battements par minute. La saturation en oxygène est à 94 % à l'air ambiant et la température corporelle à 36,4 °C. L'auscultation cardiaque ne révèle pas de souffle évident.

L'électrocardiogramme met en évidence une tendance à la bradycardie sinusale à 56 battements par minute, un susdécalage du segment ST en aVR, V1 et un sous-décalage diffus dans toutes les autres dérivations (figure 1).

La biologie sanguine révèle une hémoglobine à 15,4 g/dl (normes : 12-16 g/dl), la fonction rénale est normale, il n'y a pas de trouble ionique significatif, et la troponine ultrasensible est augmentée à 289 pg/ml (normes : 0-78,5 pg/ml).

Après la mise en position de Trendelenburg et un remplissage intravasculaire rapide de 250 ml de liquide physiologique, la pression artérielle s'améliore rapidement à 107/62 mmHg. Devant ce tableau, un syndrome coronarien aigu de type NSTEMI est retenu avec possible lésion du tronc commun.

Le patient bénéficie conformément à la stratégie de l'institution de l'administration intraveineuse de 300 mg d'acide acétylsalicylique et 5 000 UI d'héparine. Il est décidé de ne pas administrer d'antiagrégant antagoniste du récepteur P2Y12 afin de ne pas compromettre une éventuelle prise en charge chirurgicale urgente au vu de la suspicion de lésion du tronc commun.

Le patient est dès lors transféré en urgence vers un hôpital disposant d'une salle de cathétérisme cardiaque. La coronaro graphie est rapidement réalisée par voie radiale droite et met en évidence l'absence d'opacification des artères coronaires. L'image typique évoque une dissection de l'aorte ascendante via une injection dans la fausse lumière (figure 2). Dans ces conditions, pour connaitre l'extension de la dissection, l'exploration est subséquemment complétée par un angioscanner thoracique. Un centre de chirurgie est également prévenu dans la foulée en sortant de la salle de coronarographie, en parallèle de l'organisation logistique avec l'équipe de réanimation. On notera l'absence de choc lors du passage en salle de cathétérisme avec une pression artérielle proche de 105/65 mmHg.

L'angioscanner thoracique confirme la présence d'une dissection de l'aorte ascendante de type A, débutant dès le plan sus valvulaire aortique et s'étendant jusqu'à l'origine du tronc brachiocéphalique. Il n'y a pas d'épanchement péricardique (figure 3). En salle de scanner, le patient présente des vomissements et on objective une élévation de la pression artérielle jusqu'à 158/86 mmHg, pour lequel un milligramme de nicardipine est administré.

Avant le transfert, le patient développe brutalement aux urgences un arrêt cardio-respiratoire avec un rythme non choquable. Une échographie transthoracique réalisée durant la réanimation cardio-pulmonaire révèle une tamponnade. Un drainage péricardique percutané de dernier sauvetage est alors effectué. Le patient décèdera après 30 minutes de RCP.

Discussion

La dissection aortique est une rupture de la media de l'aorte avec pénétration de sang en son sein et le long de la paroi aortique, entrainant une séparation de ses couches. Une lésion de l'intima y est associée dans la majorité des cas.3 C'est une pathologie rare avec une incidence de 5 à 30 cas par million d'habitants par an.4 Elle s'observe plus fréquemment chez les hommes et l'âge moyen de survenu est de 63 ans.2

C'est une urgence chirurgicale et le diagnostic doit être rapide car le taux de mortalité est de 1 à 2 % par heure pendant les vingt-quatre premières heures suivant l'apparition des symptômes.5

L'hypertension artérielle, le tabagisme, l'athérosclérose sont des facteurs prédisposants. Les collagénopathies telles que le syndrome de Marfan, le syndrome d'Ehlers Danlos et certaines maladies inflammatoires doivent également être recherchées.2

Habituellement, on distingue deux types de dissection selon la classification de Stanford. Dans le type A, la dissection touche l'aorte ascendante, et peut intéresser aussi l'aorte descendante. Dans le type B, par contre, la dissection affecte uniquement l'aorte descendante.6

Le tableau clinique se caractérise par une douleur thoracique ou inter scapulaire sévère d'apparition soudaine. Elle n'est pas systématiquement présente et peut être migrante en fonction de la progression de la dissection. Les patients peuvent présenter des symptômes d'obstruction des branches aortiques, tels qu'un accident vasculaire cérébral (AVC), des douleurs de membre, une paraplégie, une différence tensionnelle ou de pouls entre les deux bras.6 L'angioscanner thoracique est l'examen le plus utilisé pour poser le diagnostic de dissection aortique.7 La chirurgie constitue alors, le traitement de choix et associée à une diminution de la mortalité.

Environ 1 à 7 % des cas de dissection aortique sont associés à un infarctus du myocarde concomitant.5, 8 Cela se produit lorsque la dissection s'étend à l'ostium coronaire, avec une compression de l'artère coronaire par le sang présent au niveau de la fausse lumière ou alors suite à un phénomène d'invagination de la membrane de dissection dans l'artère coronaire.9 L'artère coronaire droite est souvent plus touchée que la coronaire gauche.

Différencier un syndrome coronarien aigu « isolé » d'un syndrome coronarien associé à une dissection aortique peut alors représenter un véritable défi. Le score de détection de la dissection aortique peut alors constituer une aide précieuse. Il s'agit d'un outil diagnostique permettant d'identifier les patients ayant potentiellement une dissection aortique. Sa sensibilité est de 95 %.10 Décrit en 2010 par l'American Heart Association (AHA) et l'American College of Cardiology (ACA), il permet de classer les patients en trois catégories de risque (haut, intermédiaire et bas) en intégrant trois données qui comprennent les antécédents médico- chirurgicaux, les caractéristiques de la douleur et l'examen physique du patient. Les patients avec un score supérieur à 1 sont considérés à haut risque et doivent bénéficier d'une imagerie urgente. Ceux avec un score égal à 1 sont considérés à risque intermédiaire. Chez ces derniers, l'absence d'un STEMI à l'ECG doit faire réaliser une radiographie du thorax à la recherche d'une alternative diagnostique.

En cas de radiographie thoracique normale, une imagerie de l'aorte thoracique est recommandée. Les patients avec un score de 0 sont à faible risque (figure 4).

L'utilisation systématique de l'échographie cardiaque transthoracique en pré hospitalier ou dans le service des urgences peut également être utile. Elle est réputée avoir en effet une sensibilité de 67-80 % pour le diagnostic de dissection aortique de type A, même si les conditions d'utilisation ne sont pas toujours optimales et que la fiabilité est opérateur dépendant.5, 11

Dans notre cas, l'utilisation du score de détection de la dissection aortique aurait classé notre patient dans le groupe à haut risque de dissection aortique, en raison de la présence d'une douleur d'apparition brutale, de l'hypotension et des paresthésies de l'hémiface G. L'angioscanner thoracique aurait révélé plus rapidement la dissection, orientant ainsi le transfert vers un hôpital approprié pour une prise en charge chirurgicale précoce.

L'utilisation, dans ce cas-ci de l'anticoagulation par héparine s'est faite sur la base de la clinique et de l'électrocardiogramme plaidant pour un syndrome coronarien aigu avec atteinte du tronc commun.

Il est à noter que le patient n'a pas reçu d'antagonistes du récepteur P2Y12, afin de ne pas compromettre une éventuelle chirurgie urgente au vu de la suspicion d'atteinte du tronc commun. En effet, dans ses dernières recommandations de 2020 sur la prise en charge des syndromes coronariens sans élévation du segment ST, l'European Society of Cardiology suggère de ne plus administrer les antagonistes P2Y12 comme prétraitement de routine, en cas de coronarographie réalisée rapidement dans les 24 heures ou d'anatomie coronaire non connue.

Il existe encore quelques zones d'ombre sur la question du sus-décalage aVR associée à un sous-décalage diffus du segment ST. Certains le traitent encore comme un STEMI et en effet, la 4e définition universelle de l'infarctus du myocarde, dans sa mise à jour de 2018 le considère comme un équivalent STEMI.12 D'autres le considèrent comme un NSTEMI, tel que repris dans les dernières recommandations ESC de 2020 où il est classé comme un « NSTEMI à haut risque ». Ceci semble plus approprié dans la mesure où ce type de tracé d'électrocardiogramme peut correspondre à une multitude de pathologie parmi lesquelles on retrouve les tachyarythmies, les états de choc non cardiogéniques (choc septique, hémorragique, dissection aortique, embolie pulmonaire). Une étude récente a en effet démontré que seulement 10 % des patients avec ce type de tracé ECG présentait une occlusion coronaire aigue thrombotique.13

Le décès ne peut pas être imputé à l'ischémie myocardique car, bien que les images coronarographiques montrent une stagnation du produit de contraste au niveau du tronc commun et de l'ostium de la coronaire droite, il existe certainement un minimum de perfusion coronaire à travers le jeu des vraies et fausses lumières aortiques. Le décès a été causé par la tamponnade cardiaque survenue après le scanner, probablement favorisé par le pic hypertensif et un terrain fragilisé par l'anticoagulation par héparine lors de la prise en charge initiale.

Pour finir, ce cas est intéressant car il illustre l'intérêt d'une bonne anamnèse et d'un bon examen physique dans la prise en charge d'une douleur thoracique avec des signes électrocardiographiques d'ischémie. Les antécédents médico-chirurgicaux, les caractéristiques de la douleur et la prise de la tension artérielle aux deux bras doivent être pris en compte, afin d'identifier les patients à risque de dissection aortique.

Conclusion

Le diagnostic de la dissection aortique lorsqu'elle est associée à un syndrome coronarien aigu constitue un véritable défi. C'est un diagnostic différentiel qui devrait toujours être évoqué dans la prise en charge d'une douleur thoracique avec des anomalies électrocardiographiques suggérant un syndrome coronarien aigu.

Une bonne anamnèse, un examen physique rigoureux et le calcul du score de détection de la dissection aortique permettent d'identifier les patients à risque de dissection aortique. Si une dissection aortique est suspectée, une imagerie doit être réalisée en urgence, et ce avant de débuter tout traitement anticoagulant, antiagrégant ou fibrinolytique.

Références

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  3. American College of Cardiology (ACA) guidelines 2010.
  4. Kumar, A. Aortic Dissection. Critical Care Secrets, 2013, 3140, 204-211.
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  6. Lentini, S., Perrotta, S. Aortic dissection with concomitant acute myocardial infarction: From diagnosis to management. J Emerg Trauma Shock, 2011, 4 (2), 273-278.
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  8. Hiratzka, L.F., Bakris, G.L., Beckman, J.A., Bersin, R.M., Carr, V.F. et al. 2010 ACCF/ AHA/AATS/ACR/ASA/SCA/SCAI/SIR/STS/ SVM guidelines for the diagnosis and management of patients with Thoracic Aortic Disease: a report of the American College of Cardiology Foundation/American Heart Association Task Force on Practice Guidelines, American Association for Thoracic Surgery, American College of Radiology, American Stroke Association, Society of Cardiovascular Anesthesiologists, Society for Cardiovascular Angiography and Interventions, Society of Interventional Radiology, Society of Thoracic Surgeons, and Society for Vascular Medicine. Circulation, 2010, 121 (13), e266-369.
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  10. Rogers, A.M., Hermann, L.K., Booher, A.M., Nienaber, C.A., Williams, D.M. et al. Sensitivity of the aortic dissection detection risk score, a novel guideline-based tool for identification of acute aortic dissection at initial presentation: results from the international registry of acute aortic dissection. Circulation, 2011, 123 (20), 2213-2218.
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